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SLD #22 - Remi Guyot, Chief Product Officer

SLD #22 - Remi Guyot, Chief Product Officer

Embarquez dans la quête de simplification de Rémi, de la création de sa méthode d’idéation dite C.O.E.U.R. dans le cadre de son travail chez PayPal à la publication toute récente de son livre, Discovery Discipline, fruit de ses nombreuses expériences de conduite de projet chez Blablacar.

Publié le 29 juin 2022

Bonjour à tous et à toutes et bienvenue dans cet épisode tout à fait spécial de Salut les Designers, le podcast de l’Agence LunaWeb !

En effet, c’est premièrement le dernier épisode de cette saison de reprise du podcast. Une saison synonyme de plus d’ouverture dans nos thématiques avec notamment de l’UX Gaming avec Celia Hodent, de l’UX Writing avec Gladys Diandoki et surtout de l’éco-conception avec Frédéric Bordage, une thématique qui nous tient particulièrement à cœur.

C’est un épisode spécial ensuite parce que nous rêvions depuis longtemps maintenant (2019 en fait) d’échanger avec Rémi Guyot, Chief Product Officer chez Blablacar, et qu’il nous a fait l’amitié d’être l’invité de ce season finale.

Embarquez donc avec nous dans la quête de simplification de Rémi, de la création de sa méthode d’idéation dite C.O.E.U.R. dans le cadre de son travail chez PayPal à la publication toute récente de son livre, Discovery Discipline, fruit de ses nombreuses expériences de conduite de projet chez Blablacar.

Nous, on vous retrouve en septembre, après une petite pause estivale ! En attendant, n’hésitez pas à écouter ou réécouter les épisodes de cette nouvelle saison de Salut les Designers.

Bel été et bonne écoute à tous et à toutes,

Les Designers de l’Agence LunaWeb.

La transcription

Damien : Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans le dernier épisode de cette nouvelle saison de Salut les Designers, le podcast de l’agence LunaWeb. Déjà douze épisodes depuis la reprise du podcast, il y a presque un an, on ne boude pas notre plaisir !

Ici Damien et Alizée, Salut Alizée !

Alizée : Salut Damien !

Damien : Alors nous sommes très heureux de terminer cette nouvelle saison du podcast en recevant Rémi Guyot, Chief Product Officer chez Blablacar, mais également auteur de méthodes de simplification et d’un livre qui vient tout juste de sortir, Discovery Discipline, paru chez Thiga et co-écrit avec Tristan Charvillat, lui-même VP Product Design chez Malt.

Bonjour Rémi, comment vas tu ?

Rémi : Très très bien, ravi d’être là Damien et Alizée, merci beaucoup de m’accueillir.

Alizée : Avec plaisir.

Damien : Alors oui Rémi, il fallait que nous enregistrions un jour ce podcast parce que depuis notre rencontre, suite à ta conférence de Blend Web Mix de 2019, il faut dire que nous sommes repartis vraiment inspirés de l’événement et de nos échanges avec toi.

Alizée : Avant de commencer Rémi, est-ce que tu veux bien te présenter rapidement s’il te plait ?

Rémi : Bien sûr, donc je m’appelle Rémi Guyot, j’ai 40 ans, je suis marié avec une femme dont je suis terriblement amoureux, j’ai deux enfants de 5 à 6 ans et donc aujourd’hui effectivement je travaille chez Blablacar depuis bientôt sept ans en tant que Chief Product Officer.

Professionnellement, j’ai un peu balayé tous les types de structures qui peuvent exister, de l’association à la grande entreprise américaine.

Avant ça, j’ai travaillé chez PayPal pendant sept ans, toujours dans des fonctions de design. Et puis avant ça, j’ai aussi bossé dans une toute petite association qui bossait à la croisée de l’éducation et de la santé, ou j’ai appris beaucoup de choses, notamment parce que j’étais un peu tout seul.

Et avant ça encore, j’ai bossé dans une agence web pendant un an et encore avant à la mairie de Lyon. Donc voilà, j’ai un peu balayé tous les types de structures qui peuvent exister.

Alizée : Effectivement, sacré parcours ! Tu le disais en amont, cela fait sept ans que tu es chez Blablacar, en tant que Chief Product Officer. Cette fonction n’est pas vraiment connue de tous, est-ce que tu veux bien nous expliquer en quoi elle consiste ?

Rémi : Peut-être que la meilleure manière d’expliquer mon travail, c’est de comprendre qu’en fait, j’appartiens à deux équipes. Chez Blablacar, il y a une équipe qu’on appelle le comité exécutif, qui sont les plus hauts dirigeants de la société. Et la deuxième équipe, c’est l’équipe produit.

La meilleure manière d’expliquer mon travail chez Blablacar, c’est de comprendre que j’appartiens à deux équipes, la direction et le produit.

Et je crois avec le temps que mon travail consiste, quand je suis au sein de l’équipe du comité exécutif, à représenter l’équipe produit. Et quand je suis au sein de l’équipe produit, à représenter le comité exécutif.

Et donc je crois que je passe mon temps à changer de casquette, d’une équipe à l’autre. Ce que ça veut dire, au sein du comité exécutif, c’est avoir une attention particulière à comment est-ce que la vision du produit que l’on cherche à construire devra évoluer et comment est-ce que cette vision-là contribue à la stratégie générale de l’entreprise.

Je crois que je passe mon temps à changer de casquette, d’une équipe à l’autre, de la vision stratégique à la vision produit.

De la même manière, quand je suis au sein de l’équipe produit, l’idée c’est d’essayer de réfléchir à comment est-ce que le travail que l’on mène collectivement peut avoir des répercussions sur d’autres enjeux qui dépassent l’équipe produit. Sur l’équipe engineering, sur l’équipe marketing, etc. Donc j’essaie de passer de l’une à l’autre.

Damien : J’aime beaucoup cette idée de double représentativité, c’est vraiment intéressant.

On en parlait en préambule, on a fait ta rencontre à l’occasion de Blend Web Mix 2019 et à l’époque, tu venais de partager une conférence qui s’intitule « Combattre la complexité » que l’on peut retrouver sur YouTube. D’ailleurs, c’est un sujet qui anime énormément de designers à l’agence et on aime beaucoup cette notion de simplification.

Est-ce que tu veux bien nous parler du regard que tu portes sur justement cette simplification du design ?

Rémi : Bien sûr. Cette conférence, c’était un peu la synthèse d’une longue réflexion sur le sujet. Et le point de départ de cette réflexion – et de ce qui est devenu une obsession – c’est l’association dont je parle, qui s’appelle Sécurité Solaire.

Et donc il y avait trois employés, j’étais la seule personne qui était chargée de tout ce qui était lié à Internet, notamment. D’un côté, il y avait un site web, évidemment, mais il y avait aussi des processus de commandes pour les enseignants qui avaient besoin de matériel qu’on leur fournissait dans les classes, etc.

La conférence de Blend Web Mix en 2019, c’était la synthèse d’une longue réflexion sur le sujet de la simplification.

Et à un moment, un des projets que je devais mener, c’était de faire une refonte totale du site. Et je me suis retrouvé face à face à une interrogation, non pas technique, parce qu’à l’époque je faisais tout, je faisais aussi bien la conception que le code, j’administrais le serveur, etc, en réalité j’étais le webmaster de l’association. Je me suis retrouvé face à une question qui était : Je comprends toutes les choses qu’on pourrait faire, mais j’ai du mal à savoir lesquelles on devrait faire, lesquelles vont vraiment avoir de la valeur pour les utilisateurs.

À l’époque, je traînais sur des forums pour essayer de répondre à certaines de ces questions. Et quelqu’un m’a dit « tu devrais lire un livre qui s’appelle Getting Real » d’une entreprise qui s’appelait 37 Signals – Thirty Seven Signals – et qui est devenu connu par la suite sous le nom de Basecamp. Ils ont d’ailleurs très récemment annoncé qu’ils allaient reprendre ce nom de 37 Signals. Et donc ce livre, « Getting Real » ça a un peu été une révélation puisque ils avaient quelques points de vue assez radicaux sur la conception de produits digitaux.

Le livre « Getting Real » de Basecamp a été une révélation car ils avaient des points de vue assez radicaux sur la conception de produits digitaux.

Et notamment, il y avait une citation qui est difficile à traduire en français, je vais la dire en anglais, puis je vais essayer d’expliquer. En gros, un des principes du livre, c’était « Build half of a product, not a half-ass product« . Qu’est ce que ça veut dire, ça veut dire « Construisez un produit plus petit, un demi produit plutôt qu’un produit qui a le cul entre deux chaises« . Et ce point de vue là, ça a été le point de départ de la suite.

Après, il y avait aussi toute la dimension centrée utilisateur qui a émergé à cette époque là. C’est à ce moment-là que j’ai rejoint PayPal et à ce moment-là, les sujets de simplicité étaient un peu dans l’ombre. Et en fait j’ai été, en arrivant chez PayPal très, très impressionné par la qualité intellectuelle des gens qui m’entouraient – enfin pas que intellectuelle, par la qualité des gens, mais notamment d’un point de vue intellectuel.

En arrivant chez PayPal, j’ai été très impressionné par la qualité intellectuelle des gens qui m’entouraient.

Moi, j’avais un BTS en communication et j’étais entouré de gens qui sortaient tous de très grandes écoles et qui étaient visiblement très intelligents et qui en permanence avaient des concepts, des théories, des références que je n’avais pas. Donc j’apprenais énormément mais j’avais un petit complexe d’infériorité.

Jusqu’au jour où j’ai eu le courage, face à un nouveau projet qu’on était en train de lancer et que je ne comprenais pas bien, j’ai eu le courage de dire au product manager qui m’expliquait un travail que je devais faire : « Est-ce que tu peux juste me simplifier un peu ? J’ai deux, trois questions un peu précises, je ne comprends pas le projet, mais peut-être qu’il y a une complexité qui me dépasse. Est-ce qu’on peut juste répondre à deux où trois questions simples, en fait on cherche à atteindre quoi, qui la cible exactement et on commence comment ? »

J’ai eu le courage de dire au Product Manager : « Est-ce que tu peux juste me simplifier un peu ?” Et là surprise, cette personne n’avait pas de réponse simple à me donner.

Et là il y a eu une surprise, c’est que les réponses complexes, cette personne les avait et les réponses simples, cette personne ne les avait pas. Et je me suis rendu compte que peut-être mon complexe d’infériorité allait me servir. Et en posant des questions qui étaient à ma portée, en réalité j’allais peut-être comme ça apporter de la valeur.

Et donc le point de départ de mon obsession pour la simplicité, ça a été de me dire que dans un environnement de complexité, il n’y avait pas tout le temps quelqu’un qui posait des questions qui demandaient des réponses simples. Et que quand ça avait lieu, quand on avait cette discussion là, non seulement ça m’aidait moi, mais en fait ça aidait tout le monde. C’est ça le point de départ. Ça a été de se rendre compte que des fois, dans l’océan de bruits qui entourait n’importe quel projet un peu complexe, il manquait un peu un signal fort, clair qui capturait l’essence de ce qu’on est en train de faire et qui serait très, très fédérateur.

Je me suis rendu compte que parfois, dans l’océan de bruits qui entourait n’importe quel projet un peu complexe, il manquait un signal clair qui capturait l’essence de ce qu’on est en train de faire et qui était très fédérateur.

Et donc ça a été au départ un peu un moyen pour moi de survivre (rire), je me suis rendu compte que ça avait un pouvoir, un potentiel plus grand qui me dépassait largement. Ça c’est le point de départ. Et le point d’arrivée, en réalité ce n’est même pas la conférence puisque c’est plus encore le livre que l’on vient de sortir avec Tristan Charvillat, qui est la continuité de la conférence et qui vise à essayer de développer cet état d’esprit sur tout le processus de développement, de produit, de design, etc.

Alizée : Tu parles de cette obsession que tu as pour la simplicité, on est assez curieux de savoir comment tu l’appliques au quotidien, comment tu la partages avec tes équipes ?

Rémi : La première chose, c’est que je pense que le mot obsession est juste, parce que je ne crois pas que c’est toujours sain d’avoir des obsessions (rires), et donc parfois ça va un peu trop loin et ça prend trop de place. Mais la manière de le partager avec les équipes, il y a eu plusieurs événements. L’un d’entre eux a été intéressant je trouve, chez Blablacar.

C’était à une époque où Blablacar avait besoin de se retrouver.

Entre 2016 et 2017, Blablacar traversait une période compliquée. On se rendait compte que livrer de nouveaux projets sur la roadmap était de plus en plus difficile, que l’on était de plus en plus lent.

On se rendait compte notamment que livrer de nouveaux projets sur la roadmap était de plus en plus difficile, on était de plus en plus lent. Chaque nouveau projet qui semblait facile devenait compliqué et on s’est rendu compte qu’on avait accumulé une dette technique et une dette fonctionnelle.

La dette technique, on en entend souvent parler, c’est quand la quantité de code, qui a évolué avec le temps, ne nous permet plus de pouvoir faire des changements rapidement.

La dette fonctionnelle, c’est un peu pareil. On s’était rendu compte qu’il y avait énormément de fonctionnalités qu’on avait accumulé avec le temps, pour plein de bonnes raisons, parce qu’on explorait, parce qu’on testait. Et que ça créait un produit très, très compliqué à changer. À chaque fois qu’on voulait faire un changement en réalité cela créait quinze cas d’exception « Oui mais il y a ce cas là ou dans tel pays on n’a pas mis en place« , c’était l’enfer.

En 2017 il se passe un truc très drôle. Dans notre roadmap, il y a plus de projets qui visent à enlever des features que de projets qui visent à en rajouter.

Donc en 2017, il s’est passé un truc très rigolo, c’est que dans notre roadmap, il y avait plus de projets qui visaient à enlever des choses, que de projets qui visaient à rajouter des choses, ce qui est la chose la plus contre intuitive pour une boîte tech grosso modo. Donc c’est à cette époque là que tous les product managers de Blablacar ont dû mener leur projet de simplification, de réduction. On avait identifié plein d’opportunités, mais ce n’est pas parce qu’on avait identifié plein d’opportunités qu’il fallait forcément la mettre en œuvre donc chaque product manager devait choisir un sujet en se disant « là, est ce qu’il y a une opportunité ?« .

Cette année-là chez Blablacar, tous les product managers ont dû mener leur projet de simplification, de réduction comme on disait.

Donc, il faisait exactement le même travail qu’il faisait d’habitude sur d’autres projets qui visaient à ajouter de la complexité mais là, l’objectif c’était de dire « Est-ce qu’on a une opportunité d’aller plus vite en enlevant ça ?« .

Un autre exemple qui a plus été initié par Tristan Charvillat à l’époque a été de mettre sur pied la méthode dont on parle, qui s’appelle Discovery Discipline. Le lien avec la simplification, c’est que c’est une méthode qui met beaucoup l’emphase sur les moments de convergence. Il y a beaucoup de méthodes de design qui visent à diverger et à explorer le champ des possibles, et nous avons parfois l’impression que certaines équipes ont plus de mal dans les moments de convergence.

La Discovery Discipline est une méthode qui met beaucoup l’emphase sur les moments de convergence.

Donc là, on a mis beaucoup d’emphase là-dessus. Et le fait de concevoir puis de déployer cette méthode là à travers toutes les toutes les équipes, ça a été une manière de partager cet état d’esprit là.

Damien : C’est amusant parce que tu parles d’un paradoxe de la simplification, qui va à contre sens de la vie d’un produit web – numérique en tout cas – et pourtant, pour un designer, la simplification, c’est un peu le but ultime, de faire l’interface où il y a le moins de bruit possible. C’est amusant de voir la différence qu’il peut y avoir entre ces deux visions.

Je reviens sur Blend Web Mix et notamment la conférence que tu nous avais présenté à l’époque. Lors de cette conférence, tu avais présenté une méthode de simplification que tu avais imaginé, qui s’appelait alors la méthode H.O.R.S.E. et qui désormais a été renommée méthode C.O.E.U.R.

À l’agence, on utilise régulièrement cette méthode, on en a parlé dans un article et dans un épisode de la Capsule Design d’ailleurs dernièrement. Tu veux bien nous raconter comment est née cette idée et comment tu l’utilises ?

Rémi : Le point de départ de cette approche, c’est un concept qui s’appelle “First Use Case”, qui est un concept que l’on a développé avec Tristan Charvillat en 2010. Sans le savoir, on était en train de poser les premières briques de notre livre. Et ce principe, c’était de poser la question de manière provocatrice. Chez PayPal, on travaille en anglais et donc la question que l’on posait était « What the F.U.C. ?« , qui était une manière provocatrice de dire « What the First Use Case ?« .

À l’origine de la méthode C.O.E.U.R, il y a une question que l’on posait chez PayPal : « What the F.U.C. ? », qui était une manière provocatrice de dire « What the First Use Case ? »

En réalité, dans tous les projets, en tant que designer, on refusait de commencer à travailler tant que la product manager avec qui on travaillait n’était pas capable de répondre clairement à cette question là. Il se trouve qu’il y a une personne qui s’appelle Ulrich Dacosta, qui était à l’époque le responsable de l’ensemble du design chez PayPal, qui a adoré ce concept là. Lui aussi était un fan de simplicité et il nous a dit « c’est intéressant comme point de départ, mais vous pouvez aller plus loin« .

Donc il nous a poussé à essayer de développer quelque chose de plus large qui aurait visé à appréhender les processus de simplification – qu’à l’époque il appelait les processus de réduction – à n’importe quel moment du projet. Et donc j’ai beaucoup lu à titre personnel, je me suis beaucoup renseigné sur d’autres domaines dans lesquels on avait déjà réfléchi à ça, et j’ai essayé de simplifier et de réduire ces principes là à cinq grands principes qui sont ceux qu’on retrouve dans la méthode C.O.E.U.R.

Ensuite, j’ai essayé de leur donner un nom dont la première lettre formerait un acronyme qui serait plus facile à mémoriser. Pendant longtemps, c’était une méthode qui était basée sur l’intuition que ces questions avaient de la valeur. Et il se trouve que récemment, une étude scientifique a été menée, parue dans le magazine Nature et qui démontre que l’être humain a une tendance instinctive, naturelle, à privilégier des solutions qui consistent à ajouter quelque chose plutôt que des solutions qui visent à enlever quelque chose.

La méthode C.O.E.U.R c’est pour moi la démonstration de pourquoi faut-il développer des outils de simplification. Parce que la simplification, ce n’est pas quelque chose de naturel pour l’humain. C’est quelque chose de contre-intuitif.

Et donc, pour moi, c’est un peu le chaînon manquant de ma théorie sur la simplicité, puisque c’est la démonstration de pourquoi est-ce qu’il faut développer des outils de simplification. Parce que la simplification, ce n’est pas quelque chose de naturel, c’est quelque chose de contre intuitif. Par ça je ne suis pas en train de dire que la simplification c’est mieux ou c’est plus important que les processus de complexification ou d’addition, mais par contre, qu’il faut aider le cerveau humain à les adopter et à chercher ces solutions là puisqu’elles ne viennent pas naturellement. Donc voilà, c’est un peu ça l’histoire de la méthode C.O.E.U.R.

Alizée : Est-ce que tu as d’autres idées ou de concepts de simplification ? Comment tu choisis de passer de l’idée à la mise en forme concrète de ce genre de choses ?

Rémi : Alors la manière dont ces idées émergent, c’est toujours la même chose. C’est un mélange de sources d’inspirations extérieures qui est confronté à une problématique concrète dans un projet. Donc c’est vraiment ça le principe. Les sources d’inspiration peuvent venir de n’importe quel environnement. Par exemple, en ce moment, j’ai découvert une nouvelle pratique sportive qu’est le tir à l’arc et qui est en train de me créer une quantité d’idées, d’observation fabuleuse dont je ne sais pas vraiment quoi faire aujourd’hui, mais dont je suis certain qu’avec le temps, ça va me donner des idées et que ça va me permettre de boucler avec avec les problèmes que je rencontre.

Ces méthodes émergent toujours de la même façon, c’est un mélange de sources d’inspirations extérieures confronté à une problématique concrète dans un projet.

Donc ça, c’est un peu ma manière de passer beaucoup de temps à faire attention aux choses auxquelles je suis exposé. Et c’est pour ça que j’ai en permanence un carnet sur moi ou je note des choses. Les gens qui me connaissent très bien se moquent beaucoup de moi par rapport à ça, parce que j’ai toujours un carnet à la main et ils se demandent toujours ce que je fais dans ce carnet et ce qui est compliqué, c’est que je ne sais pas bien, j’ai rarement de bonnes réponses à ça puisqu’au moment où j’observe quelque chose, je ne sais pas en quoi cette observation va être utile.

Donc ça, c’est le principe général. Cette méthode C.O.E.U.R., cette méthode de simplification, c’est celle que j’ai poussé le plus loin jusqu’à ce qu’on écrive le livre avec Tristan. Et j’ai l’impression que d’autres méthodes, qu’on avait découvert séparément ou ensemble, ne méritaient pas forcément une incarnation plus poussée que la méthode C.O.E.U.R. Ce qu’il y a de particulier dans les processus de simplification, c’est que – là aussi, c’est un autre paradoxe – si il est bien fait, il devient complètement invisible et donc donne l’impression que le travail était facile. Or c’est exactement l’inverse. C’est un travail de stabilisation terriblement difficile à mener. D’où le besoin de trouver des approches ludiques pour le mener. Et donc le fait que ça prenne la forme de cartes, ce n’est pas un hasard.

Les processus de simplification, s’ ils sont bien fait, deviennent complètement invisibles et donnent donc l’impression que ce travail est facile. Or c’est exactement l’inverse.

Quand on a une carte dans la main, qu’on doit jouer une carte, il y a plein d’enjeux émotionnels, d’ego, qui disparaissent et on peut rentrer dans la mécanique de la méthode en contournant les biais humains qui sont liés à ça. Donc là, j’avais l’impression qu’il y avait un besoin de trouver une approche très très ludique pour atteindre l’objectif. C’est pour ça que celle-là, elle a pris cette direction.

Damien : De notre côté on utilise souvent les méthodes de simplification et notamment pour l’éco-conception web ou il est de bon ton de simplifier pour réduire l’impact environnemental du numérique.

Est-ce que tu as déjà pu aborder la simplification sur cet aspect précis ? Est-ce que tu as des idées d’autres méthodes adaptées pour éco-concevoir ?

Rémi : La raison pour laquelle je suis extrêmement heureux qu’on discute aujourd’hui, c’est parce que pour moi, l’approche de l’agence LunaWeb est exemplaire dans votre capacité à prendre le concept de quelqu’un d’autre, de vous l’approprier et de l’appliquer à quelque chose pour lequel il n’avait pas été conçu.

Ce que je veux dire par là, c’est que moi, je n’avais pas réfléchi directement au sujet de l’éco-conception. Ça m’avait un peu effleuré l’esprit, mais je ne l’avais pas du tout creusé. La raison pour laquelle aussi ça me fait très plaisir que vous ayez choisi cet angle là, c’est parce que, très volontairement – et je pense que ça se voit quand on a le jeu dans les mains – ce jeu de cartes est conçu pour être assez agnostique d’usage.

Pour ces méthodes, je n’avais pas réfléchi directement au sujet de l’éco-conception donc ça me fait très plaisir de voir que votre angle d’utilisation valide le fait que les cartes C.O.E.U.R. sont très agnostiques d’usage.

J’aurais pu avoir un niveau de précision des actions qu’on peut mener, des grands principes, beaucoup plus précis parce que beaucoup plus appliqué à mon domaine personnel. Mais j’avais l’impression d’avoir mis le doigt sur des méthodes de simplification assez universelles. Et donc mon espoir secret, c’était qu’il y ait des personnes qui s’en empareraient et qu’ils l’appliqueraient dans des domaines auxquels je n’avais pas réfléchi.

Et c’est exactement ce que vous avez fait.

Donc découvrir l’éco-conception telle que vous la pratiquez à travers les podcasts ou tous les articles que vous partagez, pour moi c’est absolument fascinant. Je suis à la fois très fier d’avoir contribué à ça et en même temps très admiratif de la manière dont vous vous en servez.

Alizée : Trop chouette ! Est-ce que tu as des idées d’autres méthodes adaptées pour l’éco-conception ou est ce que cette application n’était vraiment pensée à la base, mais l’idée est surtout d’avoir des méthodes de simplification simples à mettre en place ?

Rémi : Je ne suis pas un expert sur ce sujet là. En revanche, l’autre jour Damien m’a partagé la présentation qui a été utilisée pour un des ateliers que vous avez donné sur le sujet et je me rendais compte que ce qui fait énormément écho avec d’autres méthodes que l’on utilise avec Tristan ou d’autres approches que l’on a, c’est que que l’éco-conception force à se concentrer sur l’essence de ce qu’on cherche à accomplir.

Alizée : Tout à fait.

Rémi : Et donc, de ce point de vue là, il y a énormément de ponts avec d’autres objets ou d’autres activités qui visent à être simplifiée. Et tout notre livre, Discovery Discipline, au fond, ne vise qu’à. Ne vise qu’à faire des choix forts basés sur beaucoup d’observations utilisateurs, pour capturer l’essence d’une situation, l’essence d’un problème et parfois aussi l’essence d’une solution. Et j’avais l’impression que, en creusant un peu les sujets d’éco-conception, ce qui peut être amélioré c’est ce qui est de l’ordre du bruit, ce qui est de l’ordre des choses qui ne sont pas forcément inintéressantes en soi mais qui, en terme de ratio coût/efficacité, ne s’y retrouve pas.

J’ai l’impression que l’éco-conception, c’est aussi améliorer c’est ce qui est de l’ordre du bruit, des choses qui, sans être inintéressantes, n’ont pas un bon ratio coût/efficacité.

Et donc c’est de ce point de vue là qu’il y a d’autres méthodes que l’on propose dans le livre qui pourraient aussi s’appliquer dans le cadre d’une démarche d’éco-conception.

Alizée : Tout à fait. Et justement avec ce livre, tu rebas en quelque sorte les cartes du processus de création, et précisément de la phase de découverte. Est-ce que tu peux nous en parler ?

Rémi : Oui, bien sûr, donc Discovery Discipline, c’est un livre écrit par Tristan Charvillat et moi, édité par Thiga, qui vient de sortir. Et je suis très surpris par l’accueil extrêmement positif qu’il est en train de recevoir. Ce qui me fait dire qu’on arrive sûrement à point nommé et que cette frustration que l’on ressentait, elle est partagée par beaucoup de monde. Cette frustration, c’était la frustration de ne pas avoir l’impression d’avoir un socle méthodologique solide au moment de se lancer dans un travail de Discovery.

L’accueil extrêmement positif que notre livre Discovery Discipline est en train de recevoir me fait dire que l’on arrive sûrement à point nommé pour répondre à une frustration que l’on ressentait et qui était partagée par beaucoup de monde.

Peut-être rappeler sa définition pour les personnes qui ne seraient pas familières avec ce terme là. Dans le domaine de l’industrie tech en général, on a parfois tendance à opposer les phases de Discovery, qui visent à découvrir quel est le problème que l’on cherche à résoudre et ensuite de découvrir la meilleure solution aux phases de Delivery qui consistent, à partir d’une solution qui a été identifiée, à faire en sorte qu’elle soit mise en production et mise à disposition des utilisateurs.

Autant dans les domaines de Delivery, il y a énormément de méthodes claires qui ont émergé, quelques unes d’entre elles ont un peu remporté l’adhésion des équipes, autant sur les sujets de Discovery, ce n’est absolument pas le cas et c’est pour ça que je pense qu’il y a beaucoup d’équipes qui tâtonnent, font des efforts qui ne sont parfois pas complètement récompensés.

Notre proposition est à la fois très ambitieuse et en même temps elle s’appuie sur beaucoup de pratiques, beaucoup d’échecs et quelques réussites. On pense qu’il y a quelques bonnes pratiques qui doivent être adoptées et elles consistent essentiellement à poser quelques questions fondatrices.

Autant dans les domaines du Delivery, il y a énormément de méthodes claires qui ont émergé et ont remporté l’adhésion des équipes, autant sur les sujets du Discovery, ce n’est absolument pas encore le cas.

Donc c’est ça qu’on propose dans la méthode Discovery Discipline, c’est de découper le processus de Discovery en sept étapes. Alors il y a quelques personnes qui vont être effrayées à l’idée de se dire « Oula, alors sept étapes, ça paraît énorme« . En réalité, sept étapes ça correspond à sept livrables, chacun des livrables pouvant être remplis en moins de cinq minutes. Donc c’est une méthode qui peut prendre une demi heure, 1 h, etc.

La raison pour laquelle elle peut avoir une puissance très grande, c’est parce qu’en réalité ces livrables là, ils servent de mécanisme de feedback à l’équipe qui est en train de travailler. Par exemple, tout à l’heure, je parlais du First Use Case qui est un des livrables clés, le deuxième livrable de la méthode. Si l’équipe qui essaie de remplir le First Use Case, donc le cas d’usage majeur que l’on cherche à adresser et que l’équipe se rend compte qu’en fait la définition de ce cas d’usage, en suivant template qu’on propose, est extrêmement difficile ou extrêmement floue ou confuse, c’est probablement un signe pour l’équipe qu’elle va avoir besoin de passer plus de temps, en explorant des données quantitatives et qualitatives pour essayer de mieux comprendre le problème utilisateur que l’on cherche à résoudre.

La raison pour laquelle la Discovery Discipline peut avoir une très grande puissance, c’est parce ses livrables servent de mécanismes de feedback à l’équipe qui est en train de travailler.

Et donc cette méthode-là fonctionne comme ça. On a des livrables à remplir qui peuvent être très très rapides à remplir si on est clair sur ce qu’on cherche à faire et qui peuvent nécessiter beaucoup plus de travail si on ne l’est pas. Donc c’est flexible, et donc ces sept étapes, elles s’adaptent au niveau de clarté de l’équipe qui est en train de mener le projet.

Alizée : Tu sous-titres ton livre « La méthode radicale pour exceller en Product Discovery« . Pourquoi cela te semble si radical ?

Rémi : La radicalité dont on parle dans le sous-titre, elle est multiple. D’une part, un des points de vue radical que l’on propose dans le livre, c’est de se dire que tous les projets méritent une phase de Discovery. On est un peu opposé à cette idée qu’un travail de Discovery, c’est quand on peut, quand on a le temps, si les circonstances le permettent. On pense qu’il y a toujours besoin et toujours la place de faire un travail de Discovery. Et ça c’est un point de vue radical je pense, pour pas mal de personnes. Après ce n’est pas magique, on ne pense pas qu’on puisse toujours consacrer des mois entiers à un travail de Discovery. Mais il y a toujours la place pour UN travail de Discovery, même si il est réduit à un peu de temps, peu de moyens.

La première posture radicale que l’on propose dans le livre, c’est de dire qu’absolument tous les projets méritent une phase de Discovery.

La deuxième idée radicale, c’est l’idée de se dire qu’effectivement, il faut toujours passer par cette étape et que ce n’est pas à la carte, ce n’est pas si on a le temps ou qu’on a envie et c’est toujours par ces sept étapes. Encore une fois, on peut le faire très rapidement, et puis après, on décide de quelle quantité de moyens on met derrière, mais on passe toujours par cette étape.

Et la dernière idée radicale, elle est vraiment au cœur de nos discussions puisque ce sont les livrables, qui sont des outils de convergence et qui forcent la radicalité, forcent le choix fort et empêchent les équipes de passer leur temps à diverger sans jamais converger vers quelque choix fort.

Une autre radicalité au cœur du livre se sont les livrables. Ils deviennent des outils de convergence qui forcent les choix forts.

C’est pour ces trois raisons que l’on a insisté sur le concept de radicalité.

Damien : OK, on comprend un peu mieux le sous-titre qui est fort et qu’on remarque assez vite finalement, quand on découvre le livre.

Avec ce livre, on comprend assez vite que la Discovery fait écho à ta recherche de simplification. L’idée au cours de cette étape c’est, je te cite, « d’éliminer le bruit pour ne garder que le signal« . En clair, faire un gros tri dans tout ce qu’on découvre.

Pourquoi est-ce que tu as ressenti ce besoin de faire le ménage dans cette phase de design, et pourquoi l’avoir matérialisée avec ce processus précisément ?

Rémi : Là on va rentrer dans une discussion un peu plus méta puisque le processus de simplification dont je parle, s’applique aussi aux méthodes de travail selon moi. En réalité, le livre n’est que l’aboutissement de quinze années d’exploration, d’expérimentations, de tentatives de réussites, d’échecs. On propose un certain nombre d’activités dans le livre qui visent justement à remplir ces livrables quand on n’est pas clair.

Toutes les activités du livre sont celles qui ont tenu le test du temps, celles que l’on a pratiqué et qui systématiquement nous ont apporté de la valeur.

Toutes ces activités, celles qui restent dans le livre, c’est celles qui ont tenu le test du temps, c’est à dire que c’est celles que l’on a pratiqué et qui systématiquement nous ont apporté de la valeur. Il y a énormément d’autres activités, d’autres méthodes qui ne sont pas dans le livre parce qu’elles n’étaient pas aussi fiables, pas aussi solides Donc quelque part, ce qui reste du livre – qui est un livre relativement court et relativement rapide à lire en fait – ce n’est pas un dictionnaire de méthode, ce n’est pas un catalogue mais une sélection basée sur la pratique.

Et donc toutes les méthodes inefficaces ou intéressantes en théorie et compliquées en pratique, elles ont disparu et ce qui reste c’est donc l’essence selon moi des méthodes de Discovery qui fonctionnent.

Ce livre est relativement rapide à lire, ce n’est pas un dictionnaire, un catalogue de méthodes mais une sélection basée sur la pratique.

Honnêtement, là je le décris de manière peut-être plus claire que ce qui s’est passé, dans les faits on a beaucoup galéré et beaucoup tâtonné. Mais je me rends compte que c’est vraiment ça, le processus qui a opéré avec le temps, c’est que, un peu naturellement, quand tu rencontres une méthode de travail qui aide à aller plus vite ou à faire quelque chose avec plus de qualité ou de manière plus claire, tu as tendance à la réutiliser. Il y a un processus de sélection naturelle qui s’est fait avec le temps et ce qui reste, c’est celles qui ont survécu à ça.

Damien : On vient de te demander de résumer en deux minutes quinze ans d’expérimentations (rires).

Rémi : (Rires).

Alizée : Tu abordes l’importance pour une nouvelle équipe sur un projet donné, de se plonger avant tout dans l’historique du projet, de comprendre le cheminement effectué précédemment.

J’imagine que c’est un écueil que tu as pu vivre ou observer, est-ce que tu peux nous en parler ?

Rémi : Oui, complètement. Tout à l’heure, Damien évoquait le fait qu’il y a un certain nombre de designers qui aspirent à faire des choses simples. Je crois que ce n’est pas toujours le cas, en tout cas, inconsciemment. Dans les paroles et dans les déclarations, je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui me disait que la simplicité, c’était pas un objectif.

On dit souvent que les designers aspirent à faire des choses simples. Je crois que ce n’est pas toujours le cas. Je crois que les designers ont besoin de prouver l’ampleur d’un travail.

Mais dans les faits, un des biais humains naturels du designer, contre lequel il faut lutter, c’est de penser qu’une création simple est un très mauvais témoignage de la quantité de travail qu’il a nécessité d’accomplir. Ça, c’est certain que ça joue sur les choix que l’on fait. C’est quelque chose que j’ai vécu personnellement car pour arriver à une quantité de simplicité qui est exactement la bonne, il faut passer par un travail fou en fait. Mais quand on présente le résultat, c’est incroyablement frustrant que personne ne se rende compte du travail qui a été nécessaire.

Alizée : Complètement.

Rémi : Et donc la tentation de vouloir faire en sorte que ce travail là se voit, c’est une des raisons qui expliquent que des solutions proposées par des designers soient plus complexes que ce qu’ils seraient capables de faire. En réalité, à ce moment-là, ils essaient de crier au monde entier « regardez à quel point le problème que j’essaie de résoudre est complexe« .

Damien : Très clairement. 

Et c’est aussi dû au fait que les personnes que l’on va devoir convaincre par le design, les décideurs, les clients, sont souvent malgré eux un peu incapables de se rendre compte de tout le travail qui a été fait pour réussir à simplifier tout ça. 

D’où l’importance d’avoir des livrables qui prouvent mieux qu’un design qu’il y a du travail à faire pour la simplification.

Rémi : Oui, oui, absolument. C’est une longue réponse à la question d’Alizée mais sur laquelle je veux revenir. Quel est le lien entre ce que je viens de dire et le fait d’aller dans l’historique d’un projet ? C’est que, en réalité, il faut injecter dans tout projet une quantité d’humilité importante qui consiste notamment à dire « Je m’appuie sur du travail qui a déjà été fait par d’autres » et un autre biais peut consister à dire « Non mais moi je veux, je veux être créatif, je veux de la liberté, je ne veux pas être pollué par d’autres explorations » et je pense que ça, c’est la meilleure solution pour réinventer la roue ou répéter des erreurs.

Il faut injecter dans tout projet une quantité d’humilité importante qui consiste notamment à dire “Je m’appuie sur du travail qui a déjà été fait par d’autres”.

Donc une des manières de faire de la Discovery efficace, c’est ne pas faire semblant qu’on part de zéro parce que c’est très rarement le cas. En réalité, il y a souvent quelque part des informations qui ont déjà été accumulées par nous, par d’autres, mêmes dans le monde. Aller les récupérer, c’est le meilleur moyen de faire de la Discovery qui va avoir le meilleur ratio entre temps et impact.

Damien : C’est certain.

Je reviens sur une autre partie du livre que l’on a trouvé très intéressante, c’est celle qui parle de la phase de découverte et plus précisément des interviews utilisateurs. Tu y dresses un constat que l’on partage au sujet de l’aspect chronophage et de longue haleine de cette phase de recherche avec les utilisateurs.

Tu proposes des solutions pour rendre ça plus digeste dans le livre, tu veux nous en parler ?

Rémi : Dans le livre, il y a énormément de technique de récolte de retours utilisateurs. Et énormément de variété entre celles qui vont prendre quelques minutes et celles qui peuvent prendre des heures ou des journées entières. Le livre ne prescrit pas lesquelles il faut utiliser et à quel moment. Donc là, il y a un peu de jugement à pratiquer et la première étape du livre, qui vise à quantifier l’impact qu’on cherche à avoir et le temps qu’on alloue à ce projet là, c’est une manière, un peu de pouvoir choisir ensuite la complexité des activités qu’on va mener.

Les gens se disent « je n’ai pas le temps de faire un travail de Discovery » parce que dans leur tête, cela veut dire rencontrer des utilisateurs pour faire des interviews qui prendront 3h à analyser. Ce n’est pas la seule manière de le faire.

Mais j’insiste sur un point, c’est que les interviews utilisateurs, c’est un moyen, ce n’est pas une fin en soi. Je pense que parfois les gens qui se disent « je n’ai pas le temps de faire un travail de Discovery » c’est parce que dans leur tête, un travail de Discovery égal « je dois rencontrer des utilisateurs pour faire des interviews d’une heure qui vont prendre 3 h à analyser chacune d’entre elles« . Ce n’est pas un problème en soi, mais ce n’est pas la seule manière de le faire. Et donc dans le livre, on propose une batterie de méthodes, d’activités qui permettent peut-être parfois d’y arriver plus rapidement avec le même résultat en termes d’insight.

Notamment nous chez Blablacar par exemple, les retours que nos équipes service clients reçoivent sont d’une quantité folle en termes de de sources d’information, qui nous permettent de mieux résoudre des problèmes. Aller chercher ces informations là, c’est beaucoup plus rapide que de faire comme si elle n’existait pas. On devrait aller découvrir des gens pour faire comme si on allait redécouvrir des choses alors qu’en réalité il y a déjà des gens chez Blablacar, pas forcément les designers – en l’occurrence là les équipes de service clients – qui le savent déjà pertinemment ?

Les services client, les reviews d’app store sont autant de ressources – certes biaisées – qui permettent d’accélérer la recherche d’insights utilisateur.

Ça dépend évidemment des secteurs d’activité mais, pour un service grand public comme la gare, les commentaires qui sont laissés dans les App Store, c’est pareil, source très très très utile d’information. Toutes ces techniques comportent des biais, il faut en être conscient et il faut en tenir compte quand on choisit de les utiliser. Mais ce sont des méthodes complémentaires et c’est intéressant de les avoir dans sa besace de design.

Après, si on explore un sujet qui est complètement nouveau pour nous et qu’on ne sait pas comment aller chercher les retours utilisateurs. Et bien effectivement, à l’époque chez PayPal, on a fait beaucoup de visites à domicile.  Donc réellement, on essaye non seulement d’avoir des longues discussions avec les personnes qui font partie de notre cible, mais on va chez eux dans leur contexte pour capturer énormément de choses qui ne seront pas dites, mais qui seront présentes dans l’environnement de la personne.

Beaucoup de projets incrémentaux ne nécessitent pas forcément ce genre de grosse recherche utilisateur un peu lourde à mettre en place.

Donc ça, c’est quelque chose qu’on a fait à une époque parce qu’on travaillait sur des sujets qui visaient à découvrir des nouveaux chantiers complets chez PayPal. Mais en réalité, il y a beaucoup de projets qui sont incrémentaux et donc qui ne nécessitent pas ce genre de moyens un peu fastidieux, un peu lourds à mettre en place.

Damien : OK, merci de donner un peu moins l’impression que cette méthode est chronophage justement…

Alizée : Lourde !

Damien : Oui, lourde à mettre en place et qu’il y a des façons de le faire, de générer des livrables un peu plus facilement, c’est ce que l’on voit dans ton livre notamment.

Alizée : Et d’aller récolter de l’information sans devoir utiliser des processus aussi complexes effectivement.

En tout cas, on a vraiment apprécié ce livre et toutes les nouvelles idées qu’il peut apporter pour celles et ceux qui participent à ces phases de découverte sur les projets. C’est un regard parfois différent de nos habitudes posé sur nos pratiques alors c’est forcément intéressant à lire.

Avant de nous quitter, on aimerait te poser la question traditionnelle que l’on pose à chaque podcast. Dans le monde qui nous entoure, personnellement et professionnellement, qu’est ce qui a pu te bluffer dernièrement ?

Rémi : Alors, j’évoquais tout à l’heure ma passion récente et nouvelle pour le tir à l’arc. Il y a un détail en particulier que je peux partager où là j’ai assez rapidement trouvé le pont entre mon métier et cette activité perso. Donc cette activité, j’ai eu la chance de la découvrir en tant que débutant complet sous la direction d’un coach qui s’appelle Lionel Torres et qui a une particularité, c’est que c’est un ancien numéro un mondial en tir à l’arc.

J’ai rapidement trouvé le pont entre mon métier et cette activité perso dans ma passion récente et nouvelle pour le tir à l’arc.

Donc c’est quelqu’un qui, il y a une quinzaine d’années, était le meilleur tireur, le meilleur archer du monde. Pourquoi je vous dis ça ? C’est parce que le premier jour ou j’ai assisté à un stage de tir à l’arc organisé par lui, il me demande de prendre un arc, de prendre une flèche et de tirer. Il ne regarde pas la cible, il me regarde moi. Et il me dit « OK, prends une deuxième flèche, tire de nouveau » je tire de nouveau, il réfléchit et il m’explique que la manière dont ma main droite tient l’arc n’est pas correctement axée dans la direction de la cible. Donc il me montre comment est-ce que je dois placer mon pouce et mon index pour que ça pointe la cible et qu’il s’arrête là.

Et je me dis « Attends le gars, c’est un ancien champion du monde, la quantité de problèmes dans le geste que je viens de faire, ça doit être sans fin pour lui ». Et je lui dis « OK, très bien, je vais travailler là-dessus. Et sinon, quoi d’autre ? » Et il me dit « Non rien, travaille là-dessus« .

Et je ne comprends pas en fait.

Alizée et Damien : (Rires).

Rémi : Donc, il me réexplique « Tu vois la manière dont tu prends l’arc, ton pouce et ton index » il me montre avec sa main, il essaie de bien me placer dans la poignée, etc. Bon ok, donc je passe une matinée à m’entraîner. Un peu plus tard – c’est une méthode de coaching entièrement individualisée – il passe derrière les différents archers, puis il fait des commentaires, un par un.

Mon coach de tir à l’arc, Lionel Torres m’a expliqué que sa méthode de coaching était d’améliorer chez ses élèves une seule chose à la fois.

Et donc un peu plus tard dans la matinée il vient me voir et me regarde tirer et il me dit « Rémi, la main dans la poignée, il faudrait que tu la place dans la direction de la cible et que tu corriges encore légèrement le geste » et il repart. Là je me dis « Et bien dis donc, ça va être un peu long ce stage ».

Alizée et Damien : (Rires).

Rémi : Je pense qu’il a dû se passer 48h avant qu’il me fasse un autre commentaire, où il m’expliquait que la manière dont mon épaule gauche était positionnée était un peu trop tendue, et là encore, il se passe 24h etc.

Et il m’expliquait qu’en fait sa méthode de coaching, c’était une chose à la fois. Et tant que cette chose n’était pas faite, on ne passait pas à autre chose. Et évidemment, vous doutez bien qu’avec mes sujets d’obsession pour la simplicité, à quel point ça fait écho.

Cette manière de coacher a fait écho à ma manière de manager des équipes, à ma manière de faire des retours constructifs aux autres.

Mais en réalité, l’écho que ça m’a fait, c’est en termes de management d’équipe en fait. Ça arrive très souvent, quand je sors d’une réunion et qu’il y a quelqu’un, la personne qui anime la réunion, qui me demande un peu de feedback sur ce qui vient de se passer spontanément, naturellement, sans trop réfléchir. Et mon réflexe va être de lister tous les trucs qui se sont bien passés et tous les trucs qui se sont mal passés.

Et depuis que j’ai fait la découverte de cette méthode de coaching, il y a des fois ou j’adopte une autre approche et j’adopte exactement cette approche là. Faire un commentaire sur un truc qui était top et un commentaire sur un truc qui pourrait être amélioré, point.

Maintenant j’essaye d’adopter cette approche. Faire un commentaire sur un élément positif et un commentaire sur un élément qui pourrait être amélioré. Point.

Et tout le reste je le garde pour moi. Et charge à moi de bien choisir la bonne chose, de choisir la chose qui semble être la plus importante à ce stade là et en gros – et on en revient à notre sujet de prédilection commun – de garder pour moi toute la complexité de ce qui se passe dans ma tête, tout le bruit, etc. Ça c’est mon problème. La personne, elle demande quelque chose d’utile pour s’améliorer pour la prochaine fois, je vais me concentrer sur l’essence du feedback que je peux lui faire.

C’est une source d’inspiration très immédiate que j’ai découverte avec le tir à l’arc et grâce à Lionel Torres.

Damien : Ok. On voit aussi du coup que c’est la réduction du bruit, là encore, qui fait qu’on va se focaliser sur un élément. C’est la perfection que l’on t’a demandé de viser sur un aspect précis fait que tu te focalise plus que là dessus. Ce doit être assez efficace effectivement.

Alizée : C’est une priorisation de tout quelque part.

Rémi : Complètement.

Damien : C’est génial. Je crois que tu as donné envie à plein de gens de se mettre au tir à l’arc et de faire un stage avec cette personne dont j’ai oublié le nom. Mais si il fait une tournée en France, il va y avoir des inscrits !

Rémi : Il s’appelle Lionel Torres et donc il fait des stages sous le nom LT Coaching, il est à Perpignan et ça vaut le détour.

Damien : En tout cas moi j’en ai envie, j’y vais demain (rires).

Rémi : (Rires).

Damien : Ok, merci Rémi ! Avant de clore ce 22ème épisode du podcast, je tiens à te remercier de nous avoir accordé un peu de ton temps pour cette émission. C’était vraiment un plaisir de parler de simplification de process et de méthodes de design avec toi aujourd’hui.

Vraiment un grand merci, on souhaite tout le succès qu’il mérite à ton livre qui vient de sortir, donc coécrit avec Tristan Charvillat, comme on a pu le dire.

Merci Rémi, à bientôt j’espère, pour discuter design !

Alizée : À bientôt, merci beaucoup.

Rémi : Merci à tous les deux pour cette discussion et merci pour tout le travail que vous faites au sein de l’agence. Vous faites partie des personnes qui me touchent beaucoup dans la clarté du travail que vous faites, dans l’attention que vous portez aux détails aussi bien dans vos projets mais aussi dans la communication que vous faites autour de vos projets.

J’étais très content de passer du temps avec vous aujourd’hui.

Alizée : C’est gentil, merci beaucoup.

Damien : C’est gentil et c’est partagé.

Rémi : (Rires).

Damien : Merci Rémi.

Rémi : Bonne journée.

Damien : À bientôt.

Alizée : Comme nous le disions au début de ce podcast, c’est donc la fin de cette nouvelle saison de Salut les Designers. Nous avons été ravis cette année de pouvoir continuer à vous partager nos entretiens avec celles et ceux qui font le web de demain et d’avoir ouvert cette année nos thématiques à l’UX Gaming avec Celia Hodent, à l’UX Writing avec Gladys Diandoki et surtout à l’éco-conception avec Frédéric Bordage.

Une thématique dont il nous semble à présent urgent de diffuser les bonnes pratiques au quotidien. On se retrouve en septembre après une petite pause estivale et d’ores et déjà un beau programme pour la fin de l’année.

En attendant, n’hésitez pas à écouter ou réécouter les épisodes de cette saison, à vous abonner à la newsletter du podcast pour retrouver l’ensemble des ressources de nos épisodes, les tips et conseils de nos invités. C’est sur le site salutlesdesigners.lunaweb.fr que ça se passe.

On vous invite chaleureusement à commenter cet épisode et les autres sur Apple Podcasts et Spotify et mettre forcément cinq étoiles si ils vous ont plu, ça aide vraiment le podcast à être diffusé au plus grand nombre.

Sur ce, on vous souhaite un bel été, à bientôt pour de nouveaux épisodes de Salut les Designers !

Découvrez tous les mois un nouvel épisode de Salut les Designers consacré au design et à ses méthodes. UI, UX, motion, accessibilité, éco-conception, recherche, nous échangeons avec des professionnel·le·s passionné·e·s au grès de nos rencontres pour mieux comprendre leurs méthodes de conception centrée utilisateur.

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