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SLD #16 - Celia Hodent, Game UX consultant

SLD #16 - Celia Hodent, Game UX consultant

Dans ce nouvel épisode de Salut les designers, nous recevons Celia Hodent. Spécialisée en neurosciences, elle a fait ses armes dans le secteur du jeu vidéo avant de devenir Game consultante UX.

 

 

Publié le 29 septembre 2021

Podcast Salut les designers

Nous sommes ravis de vous retrouver pour une nouvelle saison du podcast et très heureux de vous proposer cette année encore de partir à la rencontre de celles et ceux qui font l’UX d’aujourd’hui.

Aujourd’hui dans cet épisode N°16 nous avons eu la chance de recevoir Celia Hodent, Game UX consultante et autrice des livres « Dans le cerveau du gamer » et « The Psychology of Video Games« .

D’Ubisoft à Epic Games, où elle aura beaucoup contribué au succès d’un jeu vidéo devenu phénomène de société, j’ai nommé Fortnite, Celia explore depuis 2008 l’univers de la psychologie cognitive et des neurosciences pour permettre aux créateurs de jeu de transmettre au plus proche leurs intentions créatives.

Vous découvrirez dans cet épisode le parcours de Celia, sa posture de Game UX consultante au service des joueurs, ses méthodes pour mener des tests utilisateurs sur un jeu vidéo et ses conseils pour mieux dompter son cerveau dans la réalisation de ses objectifs !

Cette année, Salut les Designers devient un rendez-vous mensuel, on se retrouve donc dès le mois prochain pour un nouvel épisode, soyez au rendez-vous !

Bonne écoute à tous et à toutes !

La transcription

Damien : ​​Bonjour à tous et à toutes et bienvenue dans cet épisode de rentrée de Salut les Designers, le podcast de l’Agence LunaWeb !

Aujourd’hui, nous sommes ravis de vous retrouver pour une nouvelle saison du podcast et très heureux de vous proposer, cette année encore, de partir à la rencontre de celles et ceux qui font l’UX d’aujourd’hui.

Pour cet épisode, je suis accompagné de Benoit qui est UX researcher à l’agence, bonjour Benoit !

Benoit : Bonjour Damien !

Damien : Nous avons la chance de recevoir Celia Hodent qui est Game UX consultante, mais qui est surtout l’autrice des livres « Dans le cerveau du gamer » et « The Psychology of Video Games« .

Bonjour, Celia !

Celia : Bonjour Damien, Bonjour Benoit.

Damien : Comment vas-tu ?

Celia : Et bien ça va bien !

Damien : Je ne suis pas sûr que tous nos auditeurs te connaissent, donc est ce que tu veux bien te présenter en quelques mots, s’il te plait ?

Celia : Oui, alors j’ai un doctorat en psychologie cognitive. Je suis spécialisé dans le développement de l’enfant à la base. Après ma thèse, j’ai décidé plutôt de m’orienter vers le jeu et jouet éducatif et très rapidement, je me suis retrouvé dans l’industrie du jeu vidéo. Ça fait une dizaine d’années, même 12-13 ans maintenant que je travaille dans le jeux vidéo et je me suis spécialisé dans l’expérience utilisateur.

Donc, j’ai travaillé chez Ubisoft en France. Après, j’ai migré au Canada, j’ai travaillé chez Ubisoft à Montréal et ensuite j’ai bougé aux États-Unis. J’étais à San Francisco au début, chez LucasArts, donc je travaillais pour les jeux vidéo Star Wars et LucasArts a fermé après que Disney ait racheté tout Lucasfilm. C’est là où j’ai bougé chez Epic Games, en Caroline du Nord.

J’aide au quotidien les développeurs à rendre leurs jeux vidéo funs, utilisables, inclusifs et accessibles

Ce n’est pas la même ambiance que la Californie (rires) et je suis devenue directrice UX chez Epic Games, donc je travaillais au niveau studio. J’ai travaillé sur pas mal de projets différents, y compris bien sûr sur Fornite, un projet sur lequel j’ai bossé de façon assez rapprochée, et ce jusqu’en octobre 2017, date à laquelle je suis devenue indépendante.

Je suis retourné en Californie, donc je suis à Los Angeles aujourd’hui et je travaille comme consultante.

Je travaille beaucoup encore avec l’industrie du jeu vidéo, pour aider les développeurs de jeux à rendre leurs jeux funs, utilisables, inclusifs, accessibles, etc. Je travaille aussi en dehors du jeu vidéo et aussi sur des questions d’éthique et d’inclusion. Voilà en gros.

Damien : Super. Alors comme tu viens de l’évoquer, tu as d’abord un doctorat en psychologie. Pourrais-tu nous dire ce qui t’as amené vers la psychologie et comment ensuite tu es, je ne dirais pas réorientée, mais partie vers les jeux vidéo ? Qu’est ce qui t’a attiré dans ces disciplines ? 

Celia : Déjà j’ai toujours aimé les sciences. J’ai deux grandes passions dans la vie, ce sont les sciences et la musique ou l’art de façon générale, mais plus particulièrement la musique. Et les sciences m’ont toujours intéressé et je ne sais pas… La psychologie, j’aimais bien essayer de comprendre l’être humain, de comprendre comment on fonctionne, pourquoi on fait des choses bizarres parfois, pourquoi on se fait du mal les uns les autres (rires) alors que si on collaborait ce serait tellement plus simple.

J’ai deux grandes passions dans la vie : les sciences et l’art de manière générale, et plus particulièrement la musique 

Et je suis arrivé en psychologie un peu par hasard, je ne connaissais pas tellement. Moi au départ je voulais devenir orthophoniste, j’étais aussi assez orienté vers le soin, mais on m’a dit « oui, orthophoniste, ce serait bien d’avoir quand même des bases en psychologie ». Et donc j’ai commencé à faire de la psychologie.

En fait, j’ai vraiment découvert la psychologie avec notamment la psychologie expérimentale. La psychologie c’est assez large, les gens connaissent la psychologie clinique surtout, mais il y a beaucoup, beaucoup de disciplines en psychologie et notamment il y a de la psychophysique, par exemple.

Donc il y a quand même un côté très recherche, science. Et on a les neurosciences et la psychologie cognitive qui font partie des sciences cognitives.

Au départ, je voulais devenir orthophoniste. J’ai toujours été assez orienté vers le soin

Donc tout ça est quand même assez excitant comme domaines et ça m’a complètement passionné. Donc je suis resté jusqu’au bout et j’ai fait une thèse là dedans.

Et après les jeux, j’ai toujours été joueuse. Dans ma famille, on joue beaucoup et on joue à toutes sortes de jeux, y compris des jeux vidéo. Une fois que j’ai eu mon doctorat en psychologie, comme je m’intéressais à l’éducation, au développement de l’enfant et au jeu — parce que l’enfant apprend énormément par le jeu — c’est naturellement que je me suis orienté vers le jeu.

Et comme le jeu vidéo était en pleine expansion et que ça m’a toujours intéressé, ça c’est un peu fait, pas par hasard mais disons que naturellement, je me suis orienté vers le jeu vidéo.

Damien : Merci ! C’est un parcours peut-être pas atypique mais avec des rebondissements !

Celia : Oui ! (rires)

Damien : Et des remises en question assez récurrentes. Je pense que l’on est tous un peu comme ça mais c’est vrai que c’est intéressant de voir que tu avais carrément envisagé d’être orthophoniste ! On a l’impression que c’est loin alors que finalement, il y a des ponts qui se font.

Et si on s’intéresse un peu plus à ce que tu fais aujourd’hui, est-ce que tu peux nous expliquer quel est ton rôle dans la conception d’un jeu vidéo ? Quelle est la pierre que tu apportes à l’édifice d’un jeu ?

Celia : Oui, alors c’est là que ça devient un peu plus compliqué.

Quand on joue à un jeu vidéo, cette expérience se passe dans notre cerveau, comme quand on écoute un podcast ou quand on regarde un film. Si on veut offrir la meilleure expérience possible, c’est un petit peu important de se détacher de notre point de vue propre pour s’assurer que ce que l’on offre, c’est vraiment l’intention qu’on avait.

Et donc, mon travail, c’est d’aider les créateurs à faire ça. Parce qu’évidemment, quand on crée quelque chose pour nous, c’est très clair et on va utiliser des symboles qui sont clairs pour nous, on va avoir une direction artistique qui est claire pour nous, qui nous parle à nous.

Mais un jeu vidéo, c’est non seulement une forme d’art, mais c’est une forme d’art interactive. C’est très important que les utilisateurs et les joueurs comprennent ce qui se passe. Parce que sans retour du joueur, si les gens n’appuient pas sur les bons boutons, ou n’avancent pas dans le jeu, et bien ils n’ont pas l’expérience du jeu.

Donc tout l’intérêt de l’apport de l’ergonomie, de l’expérience utilisateur, de l’UX — il y a plusieurs termes pour ça, aujourd’hui c’est plutôt le terme UX qu’e lon emploie — c’est de se détacher de notre point de vue, perspective de créateur ou de créatrice pour prendre le point de vue de l’utilisateur final, donc du joueur dans ce cas là, pour s’assurer que l’expérience que ces personnes ont avec le jeu est bien celle qu’on espérait leur offrir.

Mon travail consiste à aider les créateurs et créatrices de jeux vidéo à offrir la meilleure expérience possible en se détachant de leur point de vue propre, pour s’assurer que ce qu’ils offrent soit compris par les joueurs

Donc ça comprend un ensemble de questions qu’on appelle l’utilisabilité. Est-ce que les gens comprennent comment utiliser le jeu, sur quels boutons appuyer, quels sont les objectifs, etc. Ce sont des notions que l’on a aussi quand on développe des outils.

Par exemple, si vous utilisez une nouvelle plateforme comme Zoom, comme beaucoup de gens ont eu à l’utiliser récemment avec la pandémie, est ce que l’on arrive à l’utiliser assez simplement la première fois que l’on l’ouvre ? Est-ce que ça demande beaucoup d’apprentissage ? Est-ce que l’on fait des erreurs où l’on se retrouve avec une tête de chat dans un meeting sans savoir comment c’est arrivé ? (rires) On a ces notions là aussi dans le jeu vidéo.

Le jeu vidéo se doit d’être engageant. Ce n’est pas un outil, c’est du divertissement

Comment est-ce que l’on s’assure que le jeu vidéo va provoquer les émotions que l’on cherche à provoquer et que le jeu va être engageant, va être fun pour les joueurs.

Et tout ça, c’est compliqué. Le jeu vidéo, c’est très difficile à faire et donc mon rôle, c’est d’aider les créateurs à accomplir leurs buts. Donc on a plein d’outils et on a plein de connaissances aussi en sciences cognitives que l’on applique pour arriver à cette fin.

Benoit : Très bien. Comme tu le sais, à l’Agence LunaWeb on crée des sites web et on est très attaché à avoir une démarche UX. Selon toi, quels sont les liens que l’on pourrait faire entre l’UX design pour le Web et l’UX design pour le jeu vidéo ?

Celia : Effectivement ce qu’on a de commun, c’est vraiment l’aspect utilisabilité.

Dans les deux cas, on veut s’assurer que les gens comprennent. S’ils vont sur une page web, ils comprennent ce qu’ils peuvent faire sur cette page. On a des call to action, on fait en sorte qu’il y ait des boutons, par exemple. Si c’est un endroit où l’on doit souscrire à quelque chose, où l’on peut acheter quelque chose, et bien Il faut que les utilisateurs, assez rapidement, puissent comprendre comment accomplir les objectifs qu’ils avaient quand ils sont arrivés sur le site web.

Ce qu’il y a de commun entre le web et jeu vidéo, c’est vraiment l’utilisabilité

C’est la même chose pour un jeu vidéo, on a des objectifs. Par exemple, sur un écran qui est en deux dimensions (NdR : comme un menu), si l’on doit confectionner une arme ou un piège et bien on doit comprendre quels sont les ingrédients que l’on doit récupérer, si on les a, si on ne les a pas, et comment faire pour les confectionner.

Sur un site web c’est pareil, on est sur une interface, on a peut être un formulaire à remplir ou on veut acheter quelque chose, et bien il faut qu’on comprenne où sont les éléments.

Il y a toutes ces notions d’architecture d’information et de design d’interaction qui sont les mêmes, avec les mêmes préoccupations que dans le jeu vidéo. Donc vraiment tout l’aspect utilisabilité, que les gens comprennent ce qu’ils perçoivent et comprennent quelles sont les actions qu’ils peuvent accomplir.

Et quand ils accomplissent une action, qu’ils aient un retour clair sur ce qui s’est passé, ça ce sont des notions dont on a vraiment besoin dans le jeu vidéo.

Toutes les notions d’architecture d’informations et de design d’interaction, ainsi que les préoccupations qui les accompagnent sont les mêmes dans le web et le jeu vidéo.

Ce qui est différent, c’est que le jeu vidéo n’est pas un outil.

On n’utilise pas le système pour accomplir des objectifs, l’objectif c’est d’interagir avec le système lui-même et d’avoir du fun, d’être diverti de par cette interaction. Donc il y a toute une notion d’émotions qui est aussi importante dans le web, bien sûr. La direction artistique d’une page web va avoir un impact, on sait qu’on n’a plus de plaisir à interagir avec une page web si elle est agréable, si elle est plaisante esthétiquement parlant.

Dans le jeu vidéo, c’est vraiment primordial. C’est-à-dire que l’aspect émotionnel et l’engagement, si on ne l’a pas, ça n’a aucun intérêt. On ne va pas jouer, passer du temps sur les plateformes de jeu sans engagement. C’est surtout ça la grosse différence.

Damien : Il y a un autre parallèle que je peux faire entre le web et les jeux vidéo, c’est que ce sont des métiers relativement jeunes puisqu’ils n’ont que quelques dizaines d’années derrière eux.

Je me rappelle avoir vécu ce moment où, quand l’UX est arrivé dans le web, on est passé par une phase où l’on a dû beaucoup évangéliser sur le fait qu’il fallait prendre en compte l’utilisateur pour faire des sites web qui soient efficaces. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui dans le web, je le précise.

Ma grande curiosité, et je profite de t’avoir pour poser cette question, est de savoir si dans le milieu du jeu vidéo, tu as ressenti ça aussi ?

Celia : Oui, je dirais que c’était assez fort quand j’ai commencé, parce qu’il y avait quand même beaucoup de mauvaise compréhension de ce qu’est l’UX.

Et comme le jeu vidéo, ce n’est pas un outil mais une forme d’art, il y a quand même eut beaucoup de résistance, notamment des artistes et des designers qui se sont dit « mais moi, ce que je fais, c’est de l’art et donc c’est ma perspective et celle de l’équipe, l’idée ce n’est pas de rendre le jeu facile ou de le rendre x, y, z, le but, c’est d’exprimer ma créativité ».

Il faut vraiment comprendre que l’UX n’est pas là pour trahir la créativité du créateur, sa sensibilité d’artiste

Et ce que les créatifs ne comprennent pas forcément, c’est qu’on ne va pas du tout aller à l’encontre de ce but là avec l’UX. Si, par exemple, une équipe veut faire un jeu d’horreur qui va aussi représenter le système capitaliste du monde, très bien. Mais si les joueurs en fait trouvent ça drôle et ne ressentent pas la peur, n’ont pas compris le message, et bien on n’atteint pas notre objectif.

Beaucoup de gens vont aussi distinguer les sciences de la créativité.

Il y a quand même encore cette notion là, où l’on a deux cerveaux, le cerveau gauche et le cerveau droit. Le cerveau gauche est analytique, tourné vers la science alors que le cerveau droit est créatif et fait que l’on va être un artiste. Ces notions là sont complètement erronées, ce sont des mythes qui circulent et sont amplifiées.

On a ces espèces de mythes qui opposent science et créativité alors que les deux fonctionnent ensemble. Et d’ailleurs, pour faire de la science, on a besoin d’être créatif, d’essayer de comprendre comment aborder un problème pour pouvoir monter une expérience et arriver à trouver une solution.

Ces notions sont très dommageables, en fait, pour des gens qui essaient de faire de l’UX dans ce milieu là.

Le mythe du cerveau gauche analytique et du cerveau droit créatif a encore malheureusement la vie dure

Il y a beaucoup d’a priori encore aujourd’hui. Ça va un peu mieux parce que les gens comprennent un peu mieux ce qu’on fait en UX. Mais il y a quand même beaucoup ces notions là.

Il faut vraiment comprendre que l’UX n’est pas là pour trahir la créativité du créateur, sa sensibilité d’artiste. Justement l’UX est là pour l’aider à exprimer cette sensibilité et faire en sorte que les joueurs au final, parce qu’ils vont comprendre ce qui se passe, sur quel bouton appuyer, aient l’expérience que le créateur souhaite.

Damien : Oui, ce n’est pas parce que l’on se met dans une démarche centrée utilisateur assez forte que l’on va être complètement à l’encontre d’un concept.

Il y a des jeux qui ont des concepts extrêmement forts, mais il faut quand même que l’expérience d’usage soit bonne. Je pense à un jeu comme The Longing, je ne sais pas si tu connais, un jeu où il faut 400 jours pour le finir. Le but c’est vraiment d’attendre 400 jours pour terminer le jeu.

C’est un concept ultra fort, l’expérience est très particulière, pas du tout commune. Ce jeu là ne ressemble à aucun autre.

Ça n’empêche qu’il faut quand même faire en sorte que l’utilisateur arrive à confectionner des choses facilement, à s’y retrouver, à avoir une bonne expérience d’usage, sinon il ne va pas au bout d’un jeu qui est déjà long par nature.

Celia : Oui, un jeu vidéo en fait, c’est très difficile à faire. Au final, il y a très peu de jeux qui fonctionnent bien, qui ont du succès et qui engagent les joueurs sur le long terme. Donc c’est difficile oui, on peut avoir un concept et une idée qui peut être intéressante, mais au final l’idée n’est pas aussi importante que l’exécution de cette idée. Si c’est chiant et que personne n’y joue, ça ne va pas fonctionner (rires). Donc effectivement, c’est assez compliqué.

Il y a pas mal de gens qui vont dire « Oui, Picasso n’a jamais fait de tests utilisateurs », c’est-à-dire que oui et non. Les artistes, quels qu’ils soient, vont quand même essayer de regarder comment les gens perçoivent ce qu’ils font. Ils font des croquis, ils font des tests, ils refont certaines choses. Un art qui est interactif est assez différent d’un art qui ne l’est pas.

Il y a une vraie différence entre un art interactif et un art qui ne l’est pas

Si on ne comprend pas forcément une œuvre d’art, on peut quand même l’observer, être intéressé, être attiré. On peut regarder un film, si on ne le comprend pas, on peut quand même le voir jusqu’au bout.

Un jeu vidéo, si on ne le comprend pas, on ne peut pas aller jusqu’au bout.

C’est à dire qu’on ne va pas avoir l’expérience artistique que l’artiste souhaitait si on ne comprend pas comment avancer. Les artistes, en dehors de l’art interactif, sont quand même assez attentifs à comment les gens perçoivent ce qu’ils font — c’est quand même très important — et si leurs œuvres d’art arrivent à exprimer ce qu’ils cherchent à exprimer. Mais en plus de ça, dans l’art interactif, il est primordial que les gens arrivent à interagir avec le système.

Damien : Le design, c’est peut être finalement un peu ce mariage entre l’art et la science au final, on fait des choses à dessein.

Celia : Oui absolument.

Damien : On veut remplir un but mais on peut se baser sur des concepts qui sont peut-être un peu plus créatifs et que l’on va modeler pour en faire quelque chose d’intéressant à la fin pour l’utilisateur. 

Celia : Oui.

Benoit : J’ai bien aimé quand tu as évoqué le fait que dans l’art, il y a aussi une forme de test, d’une certaine manière.

Pour créer nos sites web, le test utilisateur est quelque chose auquel on a recours régulièrement.

Je résume rapidement pour ceux qui ne seraient pas familiers avec le concept, ça revient à mesurer les qualités pragmatiques et hédoniques d’un système. C’est basé sur une méthodologie assez normée — tout simplement par des normes ISO — dont la conception centrée utilisateur et la définition de l’utilisabilité.

Quand on va faire des tests utilisateurs, on va avoir des utilisateurs cibles, des tâches identifiées, un système et un contexte d’emploi identifié. C’est dans ce contexte là que l’on va venir définir des scénarios que l’on va faire défiler auprès d’utilisateurs et on va venir mesurer différentes choses.

L’utilisabilité de manière générale, mais aussi les émotions, l’utilité, la satisfaction. Tout ça est mesuré par des questionnaires standardisés.

Nous ça nous paraît assez simple finalement, pour les sites web, une fois qu’on l’a expliqué comme ça, c’est assez normé, standardisé. Il y a beaucoup d’ouvrages sur le domaine.

Mais dans les jeux vidéo, où finalement il peut ne pas avoir de tâches prédéfinies, comment vous vous y prenez pour mettre en place des tests ?

Celia : C’est une très bonne question. Alors en fait si, on a des tâches assez prédéfinies dans les jeux vidéo, on a des objectifs, on a des missions à accomplir. Ça dépend du jeu vidéo, c’est ça le problème aussi (rire).

Les gens disent « jeu vidéo » mais c’est quand même très, très large, un jeu vidéo.

Déjà, on peut jouer seul ou à plusieurs, il y a des jeux vidéo qui sont solo et d’autres qui sont multijoueurs, il y a des jeux vidéo linéaires et narratifs ou l’on a une histoire qui se déroule et on a des jeux vidéo plus systémiques. Comme par exemple Minecraft, qui est un jeu vidéo systémique où il n’y a pas vraiment d’histoire, ce sont les joueurs eux-mêmes qui se fabriquent leur histoire.

Donc, ça va vraiment dépendre de quel type de jeu vidéo on parle. Mais il y a toujours des tâches à accomplir dans le jeu vidéo.

Par exemple, dans Minecraft, on peut très bien demander aux gens « bon ben voilà, essaye de confectionner une table » et donc les gens doivent comprendre qu’il leur faut du bois, donc qu’ils doivent trouver du bois, et donc chercher des arbres.

On peut leur donner des tâches qui font sens dans le jeu et on va regarder quelles sont les barrières à la compréhension, combien de temps ils prennent pour faire l’activité, etc. Donc, ça peut être des tâches très simples comme des tâches un peu plus complexes ou alors carrément faire une mission du jeu pour voir ce qu’ils comprennent, ce qu’ils ne comprennent pas.

Le jeu vidéo est un objet interactif complexe à tester car il peut être solo ou multijoueur, linéaire et narratif ou systémique

Après on peut aussi simplement observer. Observer comment se déroule un match par exemple si c’est un jeu vidéo multijoueur. On peut faire venir 10 joueurs — imaginons un jeu vidéo où les matchs se jouent à cinq contre cinq — et on va observer comment ça se passe, la dynamique et à la fin on va voir si les gens ont eu du fun ou pas de fun, etc.

Donc on a quand même cette même notion d’objectifs au final, c’est juste qu’en fonction du jeu, ce n’est pas exactement la même chose que l’on va mesurer.

Et ce n’est pas toujours évident de définir le fun, qu’est ce qui fait qu’un jeu vidéo est fun ou pas. C’est pour ça que l’on parle plutôt de questions d’engagement. Est-ce que les gens ont envie de revenir ou pas ? S’ils reviennent c’est que, quelque part, ils ont du fun, on espère.

Mais au final c’est quand même assez proche, ce n’est pas fondamentalement différent. C’est juste qu’on a des questions un peu différentes, l’objet est différent.

Et souvent pour les tests de jeux vidéo multijoueurs, il va falloir que l’on teste en condition. C’est à dire que si c’est un jeu où il faut 10 personnes pour jouer, il faut qu’on ait une salle où les dix personnes vont jouer ensemble et on va pouvoir regarder ce qui se passe. Donc parfois ça peut être un peu compliqué.

C’est pour ça qu’il y a beaucoup de jeux vidéo multijoueurs en ligne qui ont une phase de bêta test. Ça, ça se fait beaucoup.

Le jeu n’est pas encore complètement sorti mais il est fonctionnel, il va être ouvert à plusieurs milliers de personnes et donc on va pouvoir, en ayant des mesures de télémétrie, regarder ce qui se passe. Est-ce que les gens meurent tout de suite, abandonnent ou continuent à jouer, on essaie de comprendre ce qui se passe. On utilise ça et on le couple avec des tests utilisateurs en présentiel, quand on peut bien sûr en pandémie, pour essayer de comprendre un peu plus précisément qu’est ce qui est compréhensible, pas compréhensible, frustrant, etc.

On va s’assurer d’identifier tout ce qui est frustrant et de le corriger sauf si ça l’est par design, c’est-à-dire intentionnel. Un jeu vidéo va être frustrant à certains moments. Si on perd, on est frustré (rire). Mais ça, disons que c’est prévu, que ça fait partie du jeu.

Dans le cas des jeux multijoueur, la phase de bêta test est souvent une alternative à des tests utilisateurs présentiels compliqués à mettre en œuvre matériellement

Ça aussi c’est la grosse différence entre un jeu vidéo et un outil. C’est à dire qu’un jeu vidéo va avoir des frustrations, va avoir des challenges. On ne va pas forcément tout donner, tout rendre compréhensible pour les joueurs. Ce qui est intéressant, c’est d’être challengé, de dépasser certains challenges, de perdre et puis la prochaine fois, de gagner. Donc c’est quand même assez différent à ce niveau là.

Damien : Oui, il y a des jeux typés Metroidvania (NdR : jeu d’aventure labyrinthique souvent en 2D) où le but est vraiment de mourir, de recommencer, etc, jusqu’à ce qu’on arrive à faire le truc. Comme Hollow Knight, qui est complètement dans ce délire là. La frustration, on joue beaucoup dessus.

Celia : C’est ça. C’est à dire qu’un jeu vidéo, le but n’est pas qu’il soit purement utilisable.

Dans ce cas là on clique sur un bouton et on a gagné, ce n’est pas ça qui est fun (rires). Ce qui est fun c’est justement d’avoir des défis.

Contrairement à un site web, un jeu vidéo peut être frustrant par design

En plus en fonction du jeu, que ce soit un jeu de puzzle, de tir ou d’enquête, on va avoir différents types de challenges qui sont soit physiques, c’est à dire de réflexes, soit cognitifs où l’on va réfléchir pour trouver la solution à un problème. C’est ça qui est intéressant, il faut rendre le jeu challengeant mais pas trop.

Si c’est trop challengeant et qu’on n’arrive pas à avancer, c’est très frustrant au point où l’on peut arrêter. C’est le fait de doser ça de façon précise qui est très, très difficile et qui est très différente par rapport au web.

Damien : Oui c’est clair. Et a contrario, il y a des profils de joueurs, ou peut-être même des moments de vie où on aura envie de mettre le jeu en mode facile, parce qu’en fait on aura envie de vivre le jeu.

Je pense par exemple à The Last of Us, quand j’y ai joué, je n’ai pas eu envie d’y jouer en mode très très dur. J’avais surtout envie de vivre le truc un peu comme un roman finalement, de vivre le truc et de ne pas trop galérer contre les monstres.

Et il y a des moments où on a peut-être envie de ça. Là, la frustration doit être mise de côté au maximum parce que ce n’est pas l’objectif.

Celia : Absolument. C’est aussi quelque chose d’important et il faut penser à l’accessibilité. Ce qui est difficile pour quelqu’un peut être facile pour quelqu’un d’autre et la difficulté est très subjective.

Elle est définie pour un jeu arbitrairement par rapport au point de vue des game designers. Mais ce qui va être important, c’est qu’au-delà de la difficulté que les game designers ont défini arbitrairement pour un jeu, on peut et on doit en fait complètement détruire cette barrière pour que le jeu soit accessible et agréable pour tout le monde.

Tout le monde n’a pas envie d’être challengé et ce qui peut être moyennement challengeant pour quelqu’un peut être très challengeant pour quelqu’un d’autre, particulièrement pour les personnes en situation de handicap.

On devrait complètement détruire cette notion de difficulté, définie souvent arbitrairement par le game designer, pour que le jeu vidéo devienne accessible et agréable pour tout le monde

Par exemple, on a souvent dans les jeux vidéo ce qu’on appelle des « quick time event » donc des moments où l’on doit appuyer très vite sur certains boutons, cela teste juste les réflexes.

Pour certaines personnes, ce n’est carrément pas faisable. Là on met une barrière d’accessibilité pour certaines personnes qui pourrait complètement sauter parce qu’elle est complètement arbitraire et n’apporte pas forcément quelque chose au jeu.

Ces notions de difficulté sont complètement subjectives et c’est une très bonne remarque Damien. Céleste par exemple, c’est un jeu très difficile, mais on pourrait très bien en avoir une version « God like » (NdR : une version invincible du personnage) ou une version « On ne meurt jamais » peu importe, on s’en fiche du moment que les gens aient du fun.

C’est aux personnes de décider quel type de challenges elles ont envie d’avoir.

Damien : Pour revenir sur les tests utilisateurs, il y a quand même quelque chose qui m’intrigue. Dans le cadre d’un jeu linéaire, un jeu d’aventure, un God of War par exemple, avez-vous besoin de faire tester l’intégralité du jeu ? Est-ce important de voir l’expérience dans sa globalité ou pas ?

Celia : C’est aussi une très bonne question. Après, gardez en tête que les jeux vidéo ne sont pas forcément très avancés en termes d’UX et tout le monde ne fait pas tester son jeu.

Les tests utilisateurs, c’est plutôt les grosses boîtes. Bon God of War, ton exemple, c’est un jeu publié par Sony, donc ils ont quand même pas mal de moyens. Mais il y a beaucoup de jeux qui ne sont malheureusement pas encore testés et souvent qui se cassent la figure, justement parce que ce n’est pas compréhensible.

Il faut garder en tête que l’industrie du jeu vidéo n’est pas forcément très avancée en termes d’UX. Tout le monde ne fait pas encore tester son jeu

Mais oui, idéalement on va avoir des tests qui vont plus être sur ce qu’on appelle l’onboarding, c’est-à-dire l’embarquement des joueurs.

Ça c’est très important parce que si les joueurs ne comprennent pas les premières minutes ou heures du jeu, ils ne vont pas rester jusqu’à la fin du jeu, ça c’est sûr. Mais en fonction du jeu aussi, on a des jeux qui sont free to play, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas payants. Donc il n’y a pas d’engagement financier du joueur par rapport à ce jeu là. Si les jeux free to play ne sont pas engageants dès le départ, ils se cassent la figure.

Damien : Oui, l’abandon est d’autant plus facile.

Celia : Voilà, les jeux qu’on a payé 50 ou 60 euros, on va quand même faire un effort pour dépasser les premières heures de jeu (rires). Mais même là, c’est quand même important, justement, de s’assurer que les gens ne soient pas complètement frustrés juste parce qu’ils ne comprennent pas le jeu où qu’il y a un truc qui ne va pas.

Idéalement on va faire des tests sur ce que l’on appelle l’onboarding, l’embarquement des joueurs dans les premières minutes ou heures du jeu

On va aussi tester sur le long terme. Ce que l’on souhaite, c’est que tout le monde finisse le jeu quand c’est un jeu linéaire. Sinon, déjà c’est très frustrant pour l’équipe de jeu parce ça prend plusieurs années à faire un jeu vidéo, ça demande beaucoup beaucoup d’efforts. En général, les équipes sont des gens passionnés et peuvent travailler en heures supplémentaires.

D’ailleurs ça, c’est un peu un scandale dans le jeu vidéo, les conditions de travail sont assez difficiles.

Mais oui, on va tester le jeu aussi sur le long terme. Donc ça peut arriver pour les jeux linéaires, on va faire revenir les mêmes participants aux tests, on appelle ça des playtests dans le jeux vidéo. Par exemple, ils peuvent venir pendant cinq jours d’affilée, c’est-à-dire que ce sont les mêmes personnes qui vont revenir, et on va essayer de voir jusqu’où elles arrivent à aller dans le jeu, si elles arrivent au bout ou pas, sinon quels sont les obstacles, etc.

Pour des jeux vidéo plus linéaires, on va faire revenir les mêmes testeurs sur plusieurs jours pour observer jusqu’où ils peuvent aller. On appelle ça des playtests

On veut quand même que les gens en aient pour leur argent, surtout un jeu que l’on paye d’avance. Malheureusement, il y a un pourcentage assez faible de gens qui finissent des jeux linéaires comme ça et c’est frustrant pour tout le monde. Ce n’est pas cool pour les joueurs parce que si on a payé 60 dollars ou 60 euros et que l’on ne finit pas le jeu, on a quand même une sensation d’avoir payé pour ne pas avoir l’expérience en entier.

C’est frustrant aussi pour les développeurs, parce qu’on met tout notre coeur dans le jeu et souvent la fin est beaucoup travaillée. Si il n’y a que 40% des gens qui la vivent, c’est un peu frustrant. Donc voilà, effectivement on va aussi essayer de s’assurer que les gens arrivent jusqu’au bout et aient du fun jusqu’au bout.

Damien : Effectivement quand on regarde parfois les trophées d’achèvement (NdR : récompenses intégrées au système de jeu), je pense à la PlayStation notamment où l’on peut voir les trophées qui sont débloqués, notamment le trophée de fin de jeu.

Il n’est pas rare de voir que 30% des joueurs seulement l’ont atteint. Ça veut dire qu’il y a quand même 70% de gens qui n’ont pas fini le jeu. J’étais presque triste pour eux parfois.

Benoit : À l’opposé, par le biais des succès également, on voit qu’il y a des gens qui ont acheté le jeu et qui n’y ont même pas joué une seule fois, parce qu’il n’ont pas le succès « faire le tutorial « . Parfois tu vois qu’il y a un taux de décrochage assez fort passé la première mission.

Tu parlais de télémétrie, est-ce que ce sont des choses que vous regardez un peu ? Savoir, une fois que le jeu est sorti, si les gens décrochent rapidement. Est-ce que vous analysez ça ?

Celia : Oui, encore une fois ça dépend beaucoup des éditeurs de jeu. Ça dépend des moyens qu’il y a derrière, etc. Mais oui, en tout cas, au minimum. Surtout que la plupart des jeux maintenant sont en ligne et qu’il y en a beaucoup de gratuits. Il faut quand même un minimum vérifier, savoir qui vient et à quel moment.

Il y a cette mécanique sur le web aussi et dans le jeu vidéo elle est encore plus importante, c’est celle du funnel, de l’entonnoir. On va avoir 100% des gens qui ont téléchargé le jeu et après combien l’ouvre ? Déjà là, on perd énormément de gens. Ensuite, combien restent au bout de 5 minutes ? Combien reviennent le lendemain ? etc. Ça, c’est ce qu’on appelle la rétention, qui est un terme assez barbare parce qu’on a l’impression qu’on retient les gens (rires).

La télémétrie est un outil assez important dans la mesure de l’expérience du joueur. Mais les notions d’éthique liées à cet outil sont aussi importantes

En fait, la rétention, c’est de savoir est-ce que les gens reviennent. Est-ce qu’ils sont engagés avec le jeu ou pas ? S’ils ne reviennent pas, c’est très problématique, surtout pour les jeux free to play qui sont gratuits mais dont on sait que les gens vont acheter des choses s’ils sont engagés avec le jeu. Donc s’ils ne sont pas engagés, on va rien toucher.

Il y a beaucoup de boîtes de jeu, même des grosses boîtes, qui ont mis la clé sous la porte parce que ça ne rapportait pas assez de sous. Donc la télémétrie, c’est quand même un outil assez important.

Après, il y a des notions d’éthique qui sont importantes. C’est comme partout, il y a certaines personnes qui sont obnubilées par le chiffre d’affaires, qui vont changer des trucs juste pour voir à quel point ça fait augmenter le chiffre d’affaires.

Moi, dans mon métier, ce qui m’intéresse, c’est l’expérience utilisateur. Donc, si les gens reviennent, est-ce qu’ils s’amusent ou est-ce qu’ils reviennent parce qu’ils se sentent obligés ou parce que quelqu’un d’autre les a forcé ? Ça m’intéresse de savoir pourquoi ils reviennent et pas juste s’ils reviennent.

Il y a quand même pas mal de nuances à apporter sur la télémétrie. Parce que cela nous dit ce qu’il se passe à un instant T, mais pas forcément pourquoi cela se passe

Donc oui, moi je l’utilise et ça m’intéresse de savoir si les gens sont revenus, mais tout seul ça ne va pas me dire grand chose. Je vais avoir besoin quand même d’autres points de mesure.

C’est pour ça que les playtests en présentiel sont assez importants et ça nous permet de voir ce qui se passe. Et si les gens ne reviennent pas, est ce qu’ils ne reviennent pas parce qu’ils sont morts et qu’ils n’ont pas compris pourquoi ? Ou est-ce qu’ils ne reviennent pas parce qu’en fait ce n’est pas le type de jeu qui les intéressent ?

Parfois ce sont des problèmes de marketing, le jeu peut être très bien marqueté, plein de gens viennent, mais au final ce n’est pas le type de jeu qui les intéressent. Donc dans ce cas ça peut être juste un problème de marketing. Il y a plein de gens qui ont téléchargé le jeu, mais au final ils ont été un peu déçus et ce n’est pas le jeu auquel ils pensaient.

On met beaucoup de poids sur la big data en pensant que ça va résoudre tous les problèmes mais ce n’est pas si simple

Ou alors, est-ce que c’est un problème d’utilisabilité, est-ce qu’ils n’ont pas compris ? Ou est-ce que c’est un problème d’engagement ? Est-ce que ce n’est pas motivant, ils ont juste joué une partie, c’était sympa, mais ça suffit.

Donc oui, on utilise la télémétrie dans certaines boîtes. On met beaucoup de poids sur ce qu’on appelle la big data en pensant que ça va résoudre tous les problèmes. Mais c’est pas si simple que ça.

Damien : C’est vrai que le free to play biaise vraiment ces données. J’observe par exemple beaucoup de téléchargement sans installation de jeu.

Je pense notamment au fait que sur les consoles, tous les mois, des jeux sont gratuits à partir du moment où tu es abonné. Je le vois autour de moi, les gens installent les jeux en se disant « peut-être que ça me servira un jour », mais n’y jouent jamais. Il n’est pas installé, il est juste téléchargé.

Donc en fait, si on s’intéresse à ces données là, c’est complètement biaisé parce que le téléchargement ne veut pas dire que quelqu’un y a joué.

Celia : Je ne sais pas s’il y a beaucoup de joueurs qui vont nous écouter, mais il y a ce qu’on appelle les Steam Sales — Steam est une plateforme de téléchargement de jeux PC — et on y trouve des soldes de temps en temps. À ce moment-là les jeux sont moins chers et tout le monde les achète. « Ah oui, ce n’est que 2$ ou un 1$99 » mais ils n’y jouent jamais.

C’est un fait assez connu parmi les joueurs, ils vont acheter beaucoup de jeux pour au final ne pas y jouer.

Benoit : On a un peu évoqué le fait qu’indirectement, finir le jeu est un peu l’aboutissement. On se dit « j’achète un jeu, donc je veux en profiter en entier, je l’ai payé, je veux le finir », on considère que c’est un peu ça le but du jeu.

Mais au final, beaucoup de game designer se disent que ce n’est pas forcément une bonne manière de concevoir un jeu, se disent que ce n’est pas la fin du jeu qui doit apporter du plaisir, mais plutôt l’expérience du jeu.

Et j’ai notamment entendu parler de Before your Eyes, un jeu où le contrôle se fait en clignant des yeux. C’est-à-dire que l’histoire se déroule devant tes yeux, et quand tu clignes des yeux, ce que tu vas finalement forcément faire à un moment ou un autre, de manière physiologique, ça va passer à une autre scène.

Le concept même du jeu fait que tu n’auras jamais l’intégralité du jeu, parce qu’à un moment tu vas cligner des yeux et ça va couper la scène pour passer à une autre.

Adam Millard, le Youtubeur qui parlait de ce jeu, disait qu’il trouvait ce jeu très respectueux du temps des joueurs. Parce que finalement, comme on sait qu’on ne va pas pouvoir faire tout le jeu, dès le début on sait que l’on va rater des bouts de l’histoire, on peut s’arrêter quand on veut. Les jeux qui proposent des missions qui durent 1h30 pendant lesquelles on ne peut pas sauvegarder au milieu, on peut se dire que ce n’est finalement pas respecter le joueur.

Qu’est ce que tu penses de cet arbitrage entre le mode historique des jeux vidéo ou il faut le faire en une traite et ces nouvelles manières de penser, ou finalement ça peut être une expérience plus ponctuelle, peut-être un peu plus porté par des studio indépendants ? 

Celia : Alors moi je suis du côté des utilisateurs, donc je suis du côté des joueurs et je trouve ça important que ce soit flexible.

Effectivement à l’époque on avait des contraintes physiques. C’est-à-dire que moi, quand je jouais sur ma Game Boy avec Super Mario, on ne pouvait pas sauvegarder, ça n’était pas n’était pas possible (rires). Les contraintes technologiques faisaient que ce n’était juste pas possible. Donc forcément, des fois c’était énervant pour mes parents parce qu’on allait dîner, mais j’étais en train de gagner et donc je voulais finir le jeu !

Ça pose des contraintes vraiment physiques qui forcent le joueur à continuer, même s’il aimerait bien une pause à ce moment-là.

L’engagement dans un jeu vidéo peut poser des problèmes éthiques qui sont importants à prendre en compte

Aujourd’hui même si l’on a quand même certaines contraintes technologiques, on en a moins.

Et parfois ce sont des contraintes de gameplay, c’est à dire qu’il y a des jeux qui nous forcent à revenir sinon, je ne sais pas, nos plantes meurent, le jardin est envahi de mauvaises herbes, etc, ce genre de jeux qui nous forcent à revenir.

Si il y a un intérêt de gameplay à le faire, pourquoi pas. Comme les Tamagotchi, c’est un bon exemple que tout le monde connaît à peu près. Il faut que l’on s’occupe du Tamagotchi sinon il meurt. Bon, techniquement, d’un point de vue expérience utilisateur, ça force quand même les gens à revenir, à être engagé avec le Tamagotchi, même s’ils n’en ont pas envie à ce moment-là.

Ça pose des problèmes éthiques qui sont importants à prendre en compte. Mais d’un autre côté, si on enlève cette composante de temps, bah il n’y a plus vraiment de jeu. C’est à dire que tout l’intérêt du gameplay c’est justement d’être une simulation d’un être vivant dont il faut s’occuper.

Pour te répondre, ça dépend (rires).

Ça va dépendre du but derrière le jeu, des intentions de gameplay. Quand il n’y a pas d’intentions véritablement intéressantes de gameplay, je suis toujours pour la flexibilité pour les joueurs. Pour moi, oui tu peux faire le jeu d’une façon linéaire, mais pourquoi ne pas permettre d’avancer au chapitre 10, comme dans un livre ? C’est quand même en général plus conseillé de lire un livre du début à la fin mais il y a aussi pas mal de gens qui aiment bien lire la fin avant, ou sauter quelques pages pour regarder ce qui se passe. Pourquoi pas en fait. Dans un livre, les gens maîtrisent ça complètement.

Je suis pour offrir le plus de flexibilité possible aux joueurs et joueuses, pour qu’ils et elles puissent apprécier le jeu comme ils et elles le souhaitent

Donc moi, je suis pour la flexibilité. On peut très bien indiquer au joueur, « c’est comme ça que ça a été fait, c’est comme ça qu’on espère que vous allez l’apprécier ». Mais maintenant, je suis complètement pour offrir le plus de flexibilité possible aux joueurs pour qu’ils puissent apprécier le jeu comme ils et elles le souhaitent.

Damien : Ça existait presque déjà ! Dans les vieux Mario dont tu parlais, je ne sais pas si tu te rappelles de la fin du premier niveau sur NES (NdR : console 8bits de Nintendo de 1987), tu pouvais aller directement à la fin du jeu si tu le voulais, quand tu connaissais le truc.

Celia : Oui (rires)

Damien : C’est un peu détourné mais… (rires)

Celia : Après on ne peut pas laisser les gens avancer comme ils veulent non plus (rires).

Mais chez Nintendo, ils ont fait plein de tests comme ça justement. Si on a du mal à passer,  on peut carrément faire une avance rapide. Bah voilà, moi je trouve ça très bien. Pourquoi est-ce qu’on devrait passer des heures à essayer de battre un boss ou quelque chose ? On n’y arrive pas et ça nous bloque complètement l’avancée, c’est quand même une façon de penser assez vieille je trouve. Je pense qu’on doit laisser — je n’aime pas ce terme là, consommer les jeux, c’est un peu bizarre — expérimenter les jeux comme ils le souhaitent.

Damien : Je vois que le temps tourne, on va commencer à se diriger gentiment vers la fin et te libérer. On a toujours notre petite question un peu embêtante sur l’introspection.

Est-ce que tu as en tête un événement, un jeu, une association, une rencontre, une lecture, qui t’as fait un jour devenir un peu meilleur dans ton métier ? Quelque chose qui a été une bascule ?

Celia : Oui, pour le coup c’est assez facile. C’est un livre qui s’appelle « Thinking Fast and Slow » de Daniel Kahneman, en français « Système 1 / Système 2, les deux vitesses de la pensée« , il me semble.

C’est un bouquin très intéressant qui explique toutes les recherches que Daniel Kahneman a fait avec Amos Tversky et qui expliquent comment l’être humain est irrationnel (rires), la nature des choix que l’on fait et des décisions que l’on prend et à quel point ces décisions là sont irrationnelles. Ce livre m’a quand même bien marqué.

Quand on étudie la psychologie cognitive, c’est là que l’on s’aperçoit vraiment à quel point notre cerveau est limité

Bon j’étais assez sensibilisé par la psychologie, quand on étudie la psychologie cognitive, c’est là où vraiment on s’aperçoit à quel point notre cerveau est limité. Et des choses que l’on prend vraiment comme normales ou évidentes ne sont pas si évidentes que ça.

Par exemple, notre perception est subjective. On a toujours l’impression qu’on voit le monde tel qu’il est, ce n’est pas du tout le cas. On voit une certaine représentation qui est subjective du monde et on ne va pas tous avoir la même perception du même monde.

On a une attention très limitée, notre mémoire est aussi très limitée, on oublie pas mal de choses et ce dont on se rappelle peut être très falsifié et très erroné, même si on a toujours l’impression que l’on maîtrise. Donc si on a l’impression qu’on peut faire du multitâche et faire plusieurs trucs à la fois, qu’on maîtrise, et bien en fait on ne maîtrise pas. Et donc quand on sait c’est ça, on est déjà assez sensibilisé sur le fait que oui, on a quand même des gros problèmes avec notre cerveau (rires).

Mais quand on lit « Thinking Fast and Slow » ça nous fait vraiment prendre conscience de toute l’ampleur, à quel point on a des biais inconscients.

On passe notre temps dans notre vie à prendre des décisions rapidement et souvent, on va prendre des mauvaises décisions pour ensuite les post-rationaliser en disant « Oui, nan mais si si si, c’était la bonne décision parce que X, Y ou Z » mais en fait, quand on regarde bien, on s’est fait biaiser par quelque chose.

Alors, les deux systèmes de la pensée c’est vraiment une métaphore qui exprime que la plupart du temps, quand on va prendre des décisions, se seront des décisions automatiques.

Par exemple, le matin, on a des routines, on va aller prendre son café, même si on n’est pas complètement éveillé. En général, on y arrive. Ça peut nous arriver parfois de faire une erreur, on va mettre du sel au lieu du sucre dans le café, ça nous arrive quand on est vraiment pas réveillé.

Mais l’importance des routines, c’est que justement, même si on n’est pas complètement réveillé, on arrive à faire des choses quand même.

La notion des deux systèmes de la pensée est une métaphore qui illustre le fait que les décisions que l’on prend sont la plupart du temps automatiques

Ça, c’est le système 1. C’est un système qui est automatisé, qui nous permet de faire des choses dans la journée sans vraiment y réfléchir. Et heureusement qu’on a ça sinon on passerait notre temps à consommer énormément d’énergie à juste réfléchir à chaque truc qu’on va faire.

Dans les comportements automatisés on a aussi le conditionnement. Par exemple, les tables de multiplication, si je vous dis “3×6” normalement vous pensez tout de suite “18” parce qu’on a été conditionné à l’école à apprendre les tables de multiplication par cœur. Ça a un intérêt justement pour ça, pour que lorsque que l’on a besoin de faire un calcul mental, on n’ait pas à réfléchir, que ça vienne tout de suite.

Mais maintenant, on a quand même pas mal de cas dans la vie où il faut vraiment qu’on réfléchisse et qu’on fasse attention à ce qu’on fait, et ça c’est le système 2.

Si je vous dis “23×78”, bon, ben là, ça va vous demander de réfléchir, vous ne pouvez pas répondre instantanément. Tout ce qui est calcul comme ça, quand il faut vraiment réfléchir pour résoudre un problème, tout ça va être le système 2 et requiert beaucoup plus d’attention.

Pour vous donner un autre exemple de différence, par exemple si tous les matins vous prenez le même chemin pour aller bosser, ça va être votre système 1 parce que vous avez l’habitude, c’est une routine, donc au bout d’un moment vous ne faites même plus attention à où vous allez, vous êtes en mode autopilote.

Mais si vous démarrez un nouveau boulot ? C’est la première fois que vous allez faire ce chemin, donc là ça vous consomme beaucoup plus d’énergie. C’est le système 2 qui prend le relais. C’est pour ça que quand l’on démarre un nouveau boulot en général la fin de journée, on est complètement rincé, parce qu’on n’a pas encore beaucoup de routine. De réfléchir à tout, toutes ces décisions que l’on prend, ça consomme énormément d’énergie et c’est pour ça qu’on est crevé à la fin de la journée.

C’est pour ça que l’on a besoin d’avoir beaucoup de routine dans le système 1, pour faire des choses automatisées.

Le problème du système 1 et de ses routines, c’est qu’elles nous conduisent souvent à prendre des décisions complètement biaisées. C’est là que l’on va perpétuer des discriminations sans s’en rendre compte par exemple

Le problème du système 1, c’est que ces routines nous conduisent souvent à prendre des décisions qui sont complètement biaisées, qui marchent parfois, mais qui peuvent ne pas fonctionner. C’est là aussi où l’on a les stéréotypes et ou l’on va perpétuer des discriminations sans s’en rendre compte.

Donc voilà, ça, ça a été vraiment un changement important. Je suis désolé, il fallait quand même que je vous explique pourquoi (rires).

C’est un livre vraiment fascinant et que je conseille à tout le monde.

Damien : Ça donne plutôt envie (rires), je pense que je vais essayer de me le procurer.

Benoit : C’est intéressant oui. J’avais déjà entendu parler de ce livre, je ne l’avais pas encore lu, mais là je pense que tu m’as convaincu de passer le cap.

C’est vrai qu’en plus, ces deux notions de système 1 et de système 2, ça explique très simplement la charge mentale, l’apprentissage, tout ce genre de choses, donc c’est hyper intéressant.

Du coup tu viens de nous parler d’habitudes, de routines qui sont automatiques. Est-ce que toi tu as mis en place des routines ou des habitudes de vie, des processus d’amélioration continue que tu souhaiterais nous partager ?

Celia : Oui, alors quand on comprend un petit peu comment le cerveau fonctionne, c’est là ou l’on se dit « Olala ! Si je ne mets pas en place des routines, ça va être le bordel » (rires).

Donc oui j’essaye, après je suis un peu fainéante comme on dit, donc les routines ça permet aussi de faire des choses sans y réfléchir.

Quand on comprend un petit peu comment le cerveau fonctionne, on se dit « Olala, si je ne mets pas en place des routines, ça va être le bordel »

Par exemple, j’aimerais faire plus attention à mon impact sur l’environnement, donc je vais changer certaines routines.

Je vais faire un travail en amont pour regarder ce qui va avoir le moins d’impact sur l’environnement. Et une fois que j’ai trouvé ça, je vais me faire une routine en fonction, je vais me mettre des alertes.

Par exemple, tous les jeudis, j’ai du poisson qui m’est livré par des pêcheurs à certains endroits. Donc il y a des choses comme ça qui sont de plus en plus offertes, plus faciles, plus utilisables, pour avoir un moindre impact sur l’environnement, toutes ces associations qui proposent de consommer direct par rapport aux producteurs.

Donc je vais instaurer ces routines là, ça demande du travail en amont mais une fois que l’on a trouvé la solution et bien on fait nos routines, on se met des alertes, des listes.

J’ai toujours du mal à faire des check list mais c’est très important. Parce que quand on ne fait pas ça, on s’aperçoit que la charge mentale est énorme. À essayer de se rappeler ce qu’on doit faire, on peut avoir tendance à procrastiner alors que si on voit la liste, on peut commencer par quelque chose de plus simple.

Et puis, si on a une liste un peu compliquée, un item compliqué comme “écrire un livre”, ça peut être compliqué (rires) mais on peut le découper.

Damien : Oui celle-ci est longue, il faut la découper en sous-tâches (rires)

Celia : C’est ça (rires).

Je l’ai récemment biffé donc j’étais très contente de moi. Mais pendant longtemps, il m’a un petit peu énervé celui-là. Mais effectivement, c’est bien d’essayer de découper. Et quand on a un objectif, arriver à ne pas trop se focaliser sur l’objectif à long terme — par exemple si on veut perdre du poids ou si on veut faire plus de sport — mais découper et se donner des objectifs à court et à moyen terme, ceux-là sont plus faciles à accomplir et nous permettent d’avancer.

Parce que c’est dur de, je ne sais pas, perdre 10 kilos, ça prend du temps d’obtenir cet objectif, mais si je me dis « OK, à la fin du mois, je vais avoir perdu un kilo » là au moins, c’est plus facile à atteindre, on va pouvoir être content une fois qu’on a atteint cet objectif.

Segmenter les objectifs nous permet de progresser et de célébrer ce progrès plutôt que de se focaliser sur la destination

C’est en ça qu’il y a beaucoup de choses de gamifiées entre guillemets, surtout dans les applications de santé comme le Fitbit, qui sont intéressantes. Parce que c’est difficile de se dire « Ah bah tiens, il faut que je marche plus dans la journée », c’est assez vague comme objectif mais maintenant sur un objectif de faire 10.000 pas dans la journée, c’est beaucoup plus concret, c’est beaucoup plus facile de l’accomplir.

Ce genre de choses marchent très bien, c’est ce qu’on appelle du béhaviorisme, c’est de la psychologie comportementaliste, on connaît ça très bien.

Mais il faut arriver à se l’appliquer à nous-mêmes et ça nous permet justement de progresser et de célébrer le progrès plutôt que de se focaliser sur la destination. Au final on arrivera plus proche de cette destination en faisant ça.

Donc oui, j’ai des routines, j’ai des check list (rires). Je ne le fais pas toujours et à chaque fois que je ne le fais pas je me dis « Tu es trop bête, pourquoi tu ne le fais pas ? Tu sais très bien que c’est efficace ». Mais voilà, on est toujours biaisé, même quand on sait ce qui se passe, on fait quand même des erreurs.

Damien : Tout ça fait bien écho à la gamification pour le coup, parce qu’avec les mécaniques d’objectifs et de check list on atterri vraiment dans des choses qu’on peut retrouver dans des applis comme Duolingo, etc. ou la gamification est complètement dans la logique d’amélioration.

Et dans des jeux qui sont plutôt récréatifs comme tu disais tout à l’heure, c’est pareil, ce sont des logiques qu’on utilise énormément. Après se les appliquer dans la vie, comme ce n’est plus un jeu, on a peut être plus de mal (rires).

Celia : Oui, après c’est sûr que c’est plus difficile et on n’est pas des robots, donc ça ne marche pas non plus à chaque fois. Et la gamification, c’est bien, mais bien le faire c’est difficile. Les badges, tout ça, ça peut donner un bon retour sur notre progression. Mais encore faut-il que ces récompenses aient du sens? Ça a beaucoup plus de sens si c’est moi même qui me suis défini un objectif. Et quand on y arrive, on a cette motivation intrinsèque de le faire.

Quand on fait de la gamification, on transforme les objectifs en motivations extrinsèques, extérieures à l’utilisateur. Pour fonctionner, il faut donc que ce que l’on propose résonne pour lui

Donc quand on fait de la gamification, on transforme ça en motivations extrinsèques et donc faut que ce que l’on propose résonne quand même avec les personnes. Juste mettre des badges pour mettre des badges, ça ne va pas forcément marcher. Donc, il y a quand même tout un travail important pour rendre ça engageants et faire en sorte que ça ait du sens pour les gens.

Damien : C’est sûr. Écrire un livre, on n’a peut-être pas forcément besoin de le mettre en check list puisque c’est presque une sorte de fil rouge de sa vie, entre guillemets. On n’a pas besoin de le voir sur une liste pour penser qu’il faut le faire. 

Celia : Et bien si ! Je l’ai quand même mis sur ma liste des choses à faire dans l’année (rires) !

Damien : En le disant, je me rends compte que j’ai fait la même chose ! Parce que je suis en train d’essayer d’écrire et je me suis mis un rappel automatique tous les matins sur mon téléphone à 9h « écrire ». Donc en fait ce que je dis est complètement débile, on peut se le mettre en objectif (rires).

Celia : Ouais ! Alors après, il ne faut pas non plus se faire du mal. Ce qui est important, si vous voulez faire ça, c’est de vous mettre des objectifs qui sont réalisables.

Parce qu’on peut très facilement se stresser et être trop difficile avec soi-même. Et au lieu de se dire « tous les matins, je vais écrire une heure » si ce n’est pas quelque chose que vous avez déjà l’habitude de faire, dites-vous plutôt « Tous les deux jours, je vais écrire au moins une demi-heure ».

Il vaut mieux commencer petit, mettre en place justement cette routine avec quelque chose qui est faisable et après on se dit « une fois que j’aurais fait ça, je me permettrai de faire un truc qui me plait ».

Il faut aussi être très honnête avec soi-même et ne pas se punir ou s’auto-culpabiliser. On a tendance à le faire et cela nous empêche d’avancer

Ça permettra de rentrer dans la routine et après ce sera beaucoup plus facile d’augmenter les doses entre guillemets (rires) plutôt que se donner des objectifs qui peuvent parfois être trop difficiles d’emblée. Et ça c’est quelque chose que j’ai tendance à ne pas faire et c’est une erreur.

J’ai des problèmes de dos donc je suis censé faire de l’exercice physique tous les jours et quand je ne le fais pas tous les jours, je me sens mal et je me sens coupable. Et il faut que je réfléchisse en me disant « Mais non, ce n’est pas grave, dis toi plutôt une fois tous les deux jours » tant pis.

Même si je n’arrive pas à le faire tous les jours au moins une fois tous les deux jours, c’est bien, essayons d’au moins marcher tous les deux jours, de faire les dix milles pas, des choses comme ça.

Il faut aussi être très honnête avec soi-même et ne pas se punir et s’auto-culpabiliser. On a tendance à faire un peu ça et c’est ça aussi qui nous empêche d’avancer.

Damien : C’est un peu dans la logique de ce que je disais tout à l’heure, il y a aussi ce plaisir de la procrastination.

C’est à dire que j’ai le rappel tous les jours, par contre aujourd’hui j’ai décidé que je ne le ferais pas et ce n’est pas grave. Mais c’est vrai que tous les jours, il faut quand même que je me rappelle « attention si à ce moment-là, c’est le moment où tu peux avoir du temps, si tu n’as rien de mieux à faire, tu peux peut-être le faire ».

Mais il y a le plaisir de l’envoyer valser, de se dire non, pas aujourd’hui. Et ça, je trouve que c’est important.

Celia : D’être au contrôle du « non, je ne ferais pas » (Rires).

Damien : C’est ça, je trouve ça intéressant.

Avant de te quitter, on a une dernière question, la question en or ! Est-ce qu’il y a quelque chose qui t’as bluffé dernièrement dans ton environnement professionnel ? Mais j’ai même envie de dire pourquoi pas personnel. 

Celia : Oui. Alors après, je travaille dans le jeu vidéo donc ce qui m’a récemment bluffé, ce n’est pas tellement positif.

Je ne sais pas si les gens ont un peu suivi mais il y a eu beaucoup de scandales dans l’industrie du jeu vidéo, notamment sur le harcèlement des femmes. Même si je savais que c’était là dans beaucoup d’industries, ça m’a quand même « bluffé » de voir à quel point c’est encore présent et qu’en 2021, on en est encore là.

Difficile de parler d’un jeu qui m’aurait bluffé quand à coté les questions de harcèlements sont toujours aussi présentes

Je ne sais pas si c’est trop la réponse que tu attendais (rires) mais c’est quand même assez présent.

C’est quand même difficile pour moi de passer outre et de te parler d’un jeu qui m’aurait bluffé, que j’aurais trouvé super cool alors que c’est vraiment présent en ce moment, que tout le monde en parle. Il y a eu beaucoup de scandales avec Ubisoft, avec Riot Games — les développeurs de League of Legends — récemment avec Activision Blizzard qui a créé World of Warcraft et ça n’arrête pas. Et ça, c’est assez bluffant.

Mais je ne veux pas terminer sur une note aussi négative alors ce qui me bluffe aussi, c’est que les jeux vidéo peuvent offrir énormément de choses. On voit que les gens peuvent collaborer justement, dépasser leurs différences et par le jeu avancer sur pas mal de ces questions.

On peut aussi voir des gens collaborer, dépasser leurs différences et par le jeu avancer sur pas mal de ces questions d’inclusion et d’égalité

On explore de plus en plus comment le jeu peut aider à changer les comportements, on parlait tout à l’heure un peu de gamification pour la santé etc, donc c’est ça aussi qui est bluffant. Voir cet engouement pour le jeu, voir à quel point ça prend de l’ampleur.

J’espère qu’on va plus se focaliser sur les points positifs et sur ce que le jeu vidéo peut nous apporter plutôt que sur les points négatifs, dont il faut quand même parler et qu’il faut dépasser.

Benoit : En préparant ce podcast, j’ai découvert que tu étais intervenante au sein de l’association Women in Games France, est-ce que tu peux nous en dire un mot ?

Celia : Oui absolument. Donc Women in Games est une association internationale, il y a Women in Game France mais elle est aussi présente dans beaucoup de pays.

L’idée c’est d’aider les femmes non seulement à entrer dans l’industrie du jeu vidéo mais aussi à y rester, parce que c’est ça aussi le problème.

Le but de l’association Women in Games est d’aider les femmes non seulement à entrer dans l’industrie du jeu vidéo mais à y rester. Le problème est aussi là

Au départ il y a quand même pas mal de femmes qui s’intéressent à l’industrie du jeu vidéo mais elles partent au bout de 5 ans — je crois que la moyenne c’est 5 ans — elles finissent par partir parce qu’elles n’arrivent pas à progresser car il y a un plafond de verre assez important.

Donc non seulement il faut arriver à faire en sorte que les femmes se sentent bienvenues dans l’industrie du jeu vidéo mais aussi que les sociétés de jeu vidéo fassent en sorte de garder les femmes dans l’industrie et ça c’est une autre histoire.

On estime à-peu-près qu’il y a 20% de femmes dans l’industrie du jeu.

Il y a énormément de boulot à faire parce que 20% c’est une moyenne, mais il y a quand même des sociétés ou ce n’est que 5% de femmes par exemple. Il y a donc encore énormément de discrimination et c’est encore plus compliqué si on est transgenre ou non binaire. C’est quand même un milieu assez rude à ce niveau là. Ce n’est pas qu’uniquement dans le jeu vidéo bien sûr, c’est dans la “tech” de façon générale, mais dans le jeu vidéo c’est assez présent.

Moins on aura d’inclusion dans un domaine, moins les contenus seront intéressants et a fortiori inclusifs pour tout le monde

Donc l’idée de l’association c’est déjà de créer un réseau, de faire en sorte qu’il ait une solidarité.

Ce sont des hommes et des femmes dont l’objectif est de mettre en valeur les femmes, de faire en sorte qu’elles soient accueillies, qu’elles puissent avoir plus accès aux formations, qu’elles puissent trouver du boulot.

Et avoir des moyens pour aller par exemple à des conférences comme la GDC, une conférence ou tout le monde se retrouve à San Francisco mais qui est très cher. Donc donner des financements pour que plus de femmes puissent aller à ces conférences là et aussi créer un réseau pour que quand il y a des conférences, ça ne soit pas toujours des hommes qui soient invités à parler.

Donc voilà, ce genre de choses. Offrir du mentorat, de la solidarité pour changer un peu tout ça et casser toutes ces discriminations qui portent non seulement préjudice aux femmes mais aussi à tous les joueurs et joueuses dans le monde entier.

Parce que moins on aura d’inclusion dans un domaine, moins les contenus seront intéressants et inclusifs pour tout le monde. C’est quand même dommage de se priver de ça.

Damien : Merci de nous en avoir dit quelques mots Celia.

Celia : Avec plaisir.

Damien : Et plus globalement merci pour cet échange, c’était vraiment passionnant, ça nous à un peu fait sortir de notre zone de confort, le web, et permis de découvrir le monde du jeu vidéo que l’on ne connaît qu’en tant que joueur finalement.

C’était intéressant de voir les petits et grands ponts que l’on pouvait faire entre les deux, notamment autour des tests utilisateurs.

J’espère que nos auditeurs et auditrices ont pu en apprendre plus sur ton métier et qu’il ont pu voir tous les parallèles que l’on pouvait faire avec le web. On va pouvoir te dire merci déjà et te dire au revoir et à bientôt.

Benoit : Merci beaucoup Celia.

Celia : Avec grand plaisir, si les gens sont intéressés, un des livres que j’ai écris a été traduit en français, c’est assez professionnel, ça s’appelle « Dans le cerveau du gamer » et ça parle de comment le cerveau fonctionne.

Ça aborde énormément de sujets, donc si vous êtes dans le jeu vidéo, ça peut vous intéresser. Mais gardez en tête que c’est un livre assez professionnel donc ce n’est pas forcément simple d’accès pour tout le monde.

J’ai d’autres bouquins qui sont plus grand public mais qui ne sont pas encore traduit en français malheureusement (rires).

Et il faut aussi que je traduise mon site ! Ça, ça fait longtemps que j’en parle, j’ai pas mal d’articles dessus, j’y parle de pas mal de choses mais il faudrait que je les traduise en français.

Benoit : Oui, pour l’avoir lu en partie, on recommande chaudement « Dans le cerveau du gamer » qui est une très bonne introduction je trouve à l’UX, tout ce qui est neuroscience, fonctionnement du cerveau, approche centrée utilisateur.

Un très bon moyen de rentrer dans le vif du sujet.

Celia : Même quand on est pas dans l’industrie du jeu vidéo, vous avez trouvé ça facile à lire ?

Benoit : Oui oui.

Celia : Bon et bien tant mieux (rires), objectif accompli !

Damien : On mettra les liens vers les ouvrages de toute façon dans l’article qui détaillera cet épisode.

Celia : Merci beaucoup en tout cas pour cet échange, c’était super sympa de parler de tout ça et ça m’a fait plaisir d’avoir cet échange.

Damien : Le plaisir est partagé Celia, merci !

Celia : Merci.

Damien : Salut les Designers devient un rendez-vous mensuel, on se retrouve donc dès le mois prochain pour un nouvel épisode, soyez au rendez-vous !

C’est une nouveauté cette saison, vous pouvez à présent aussi vous abonner à la newsletter du podcast pour retrouver l’ensemble des ressources de nos épisodes, les tips et conseils de nos invités ! C’est sur le site salutlesdesigners.lunaweb.fr que ça se passe. 

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À bientôt !