SLD #33 · Guillaume Gronier, Docteur en psychologie ergonomique

SLD #33 · Guillaume Gronier, Docteur en psychologie ergonomique

Dans cet épisode de Salut les Designers, Justine et Bérengère échangent avec Guillaume Gronier, Docteur en psychologie ergonomique et auteur du livre « Évaluer l’expérience utilisateur, préparer, diffuser et analyser vos enquêtes et questionnaires UX ». Un sujet extrêmement riche !

Publié le 30 avril 2025

Bonjour à tous et à toutes et bienvenu·e·s dans ce nouvel épisode de Salut les Designers !

À l’occasion de la sortie de son livre « Évaluer l’expérience utilisateur, préparer, diffuser et analyser vos enquêtes et questionnaires UX » aux Éditions Eyrolles, Justine et Bérengère reçoivent Guillaume Gronier, Docteur en psychologie ergonomique au Luxembourg Institute of Science and Technology.

Conception et utilisation des questionnaires dans l’UX Research, mais aussi étude de la persuasion et de l’acceptation technologique, autant de sujets explorés avec Guillaume dans cet épisode de notre podcast.

Bonne écoute à tous et à toutes !

La transcription

Justine : Bonjour à toutes et à tous, je suis Justine, UX researcher, et bienvenue dans Salut les Designers, le podcast de l’Agence LunaWeb ! Aujourd’hui, je suis accompagnée par Bérangère, également UX researcher à l’agence. Salut Bérangère !

Bérengère : Salut Justine !

Justine : Pour cet épisode, nous avons le plaisir de recevoir Guillaume Gronier, Docteur en psychologie cognitive et en ergonomie. Bonjour Guillaume et merci d’avoir accepté notre invitation !

Guillaume : Merci beaucoup de m’avoir invité, Justine, Bérangère, c’est avec plaisir.

Bérengère : Avant de commencer, Guillaume, si certains et certaines ne te connaissent pas encore, est-ce que tu voudrais bien te présenter rapidement ?

Guillaume : Oui, je m’appelle Guillaume Gronier, je suis chercheur dans un centre de recherche au Luxembourg qui s’appelle le Luxembourg Institute of Science and Technology.

 J’interviens sur différents projets numériques qui touchent à la psychologie, à l’ergonomie, au design de l’expérience utilisateur, et à l’acceptation des technologies.

J’ai un bagage en psychologie appliqué aux interfaces machines, on parle plutôt de User Experience aujourd’hui, et puis j’interviens sur différents projets qui touchent de manière générale à la psychologie, à l’ergonomie, au design de l’expérience utilisateur, à l’acceptation des technologies. C’est plutôt mes domaines de prédilection.

Justine : Et tu viens de sortir récemment le livre Évaluer l’expérience utilisateur, préparer, diffuser et analyser vos enquêtes et questionnaires UX, qu’on vous conseille de lire si ce n’est pas déjà fait.

Dans ce livre, tu présentes de nombreux questionnaires, tu as participé à l’adaptation et la traduction de certains d’entre eux. Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consiste cette démarche ?

Guillaume : La démarche, déjà, de construction d’un questionnaire, elle va passer par une démarche qui ressemble un peu à tout ce qui est design thinking, c’est-à-dire une démarche itérative où on va créer, ou s’inspirer de la littérature, on va créer des items et puis on va les tester. Et petit à petit, on va les affiner, on va faire une sélection aussi de ces items-là en les supprimant pour ceux qui ne nous conviennent pas.

 La démarche de création d’un questionnaire ressemble un peu à tout ce qui est design thinking. C’est d’abord une démarche itérative.

Petit à petit, donc à chaque fois dans une démarche itérative et avec une phase, en quelque sorte, d’évaluation de ces items. Ça, ça repose donc sur un paradigme qu’on appelle le « Paradigme de Churchill » et ça sert à créer les questionnaires.

Et quand on est dans une démarche de traduction ou d’adaptation d’un questionnaire, on est dans une démarche assez similaire. On considère que quand on fait une traduction, on recrée un questionnaire un peu de toutes pièces. On a une démarche de traduction avec des experts. La traduction en elle-même, ce n’est pas le plus compliqué. On fait appel à ce qu’on appelle un comité d’experts où à plusieurs, chacun va faire sa traduction de son côté et puis on va, avec les faire une sorte de convergence de ces traductions.

Ce qui va être le plus lourd, c’est de valider du point de vue statistique, du point de vue psychométrique, le questionnaire que l’on a traduit pour s’assurer que la traduction correspond bien en termes de propriétés statistiques, psychométriques, correspondent bien au questionnaire original.

 Quand on traduit un questionnaire existant, le plus lourd va être de le valider d’un point de vue statistique, psychométrique. Pour s’assurer que la traduction corresponde bien aux intentions originales.

La traduction, elle repose sur, à nouveau, une démarche itérative où on va tester et chercher à valider le questionnaire traduit et on va regarder quelques indicateurs purement statistiques pour à la fin se dire : « OK, le questionnaire traduit, il a bien les propriétés du questionnaire original et on peut l’utiliser en toute confiance », on va dire.

Justine : Et du coup, l’analyse psychométrique, vous allez la refaire plusieurs fois, jusqu’à ce que vous ayez une mesure fiable ?

Guillaume : Oui, effectivement, on va la faire deux, trois fois. Souvent, c’est presque comme un test utilisateur, on a parfois deux, trois itérations en changeant à chaque fois les items. Alors, on va chercher à changer si ça ne va pas bien dès la première version, on va changer les formulations.

 On va regarder si le questionnaire traduit a une bonne fidélité, s’il y a une convergence des items. C’est-à-dire, s’ils mesurent tous la même chose.

Et puis, effectivement, on va regarder s’il y a une bonne fidélité, c’est-à-dire est-ce qu’il y a une convergence des items ? Est-ce qu’ils mesurent tous la même chose ? Et on va s’assurer aussi qu’on a la même structure factorielle, c’est-à-dire que si le questionnaire original a plusieurs mesures, a plusieurs concepts qu’il mesure, c’est le cas de beaucoup de questionnaires, souvent, ça mesure des sous-concepts, on va s’assurer que la traduction, elle mesure également ces sous-concepts.

Bérengère : On se rend compte que le questionnaire standardisé n’est pas toujours pris au sérieux auprès de nos clients. Certains vont nous demander de changer l’ordre et les questions, ou vont remettre en cause les résultats qu’on va obtenir à l’issue de ce questionnaire.

Quels sont les arguments que tu vas donner dans ces cas-là ?

Guillaume : C’est sûr que ça arrive souvent parce qu’en plus, parfois, les questionnaires standardisés, ils sont un peu longs. Donc, le client peut dire : « On va le raccourcir un peu, et puis cette question-là, je ne l’aime pas trop formulée comme ça, on pourrait la changer ».

C’est sûr que c’est embêtant parce que du coup, on risque d’avoir un questionnaire qui n’est plus totalement fiable et quand il n’est pas fiable, on n’est plus sûr de mesurer ce qu’on veut vraiment mesurer, par exemple, la facilité d’utilisation ou le caractère hédonique d’un produit, etc.

 Modifier la logique d’un questionnaire pour un projet, c’est embêtant, parce qu’il risque de n’être plus totalement fiable. Et s’il n’est pas fiable, on n’est plus sûr de mesurer ce que l’on veut vraiment mesurer.

Souvent, j’essaie d’avoir une démarche un peu pédagogique auprès des clients en expliquant déjà qu’un questionnaire, quand il est validé scientifiquement, donc quand il est standardisé, dans sa validation, on est certain que tous les items mesurent une même chose, un même construit, un même facteur. Et on est certain également que ce facteur, c’est bien ce qu’on est censé mesurer. C’est-à-dire, par exemple, la facilité d’utilisation où le caractère hédonique.

Il y a une métaphore que j’aime bien, qui est peut-être un peu compliquée à expliquer comme ça à l’oral, qui est la métaphore de Chapanis sur les questionnaires, qui dit que si on prend l’image d’un tireur d’élite. Le tireur d’élite, il va tirer dans une cible et il va chercher à viser le centre de la cible, bien sûr. Il va y avoir plusieurs tirs.

Il faut imaginer qu’un tir, c’est l’item de la questionnaire et on peut avoir des tirs qui sont groupés. Dans ce cas-là, les items sont groupés, ils mesurent la même chose. Ça, c’est une chose, c’est ce qu’on appelle la fidélité du questionnaire. Et la deuxième chose, c’est quand les items sont groupés, le tireur d’élite va essayer de centrer au maximum ses tirs vers le centre de la cible. Et ça, c’est la validité, c’est-à-dire on mesure bien, on tire dans le mille, en quelque sorte, pour reprendre cette image-là, on mesure bien ce qu’on est censé mesurer. Donc ça, c’est la validité et c’est ces deux aspects qui sont importants dans la construction d’un questionnaire.

 Un questionnaire, c’est comme un tireur d’élite. Si vous lui retirez des cartouches, il a moins de chances d’être précis, d’atteindre sa cible. Si on modifie ou si on enlève des items, on risque d’avoir un questionnaire qui ne mesure pas le concept que l’on veut mesurer.

Et du coup, je leur dis: Si vous retirez à ce tireur d’élite des cartouches, il a moins de chances de tirer dans le mille, d’atteindre sa cible. C’est pareil pour un questionnaire. Si on modifie ou si on enlève des items, on risque d’avoir un questionnaire qui ne mesure peut-être pas le concept que nous, on veut mesurer.

En plus, dans les autres arguments aussi que je donne, c’est que les questionnaires, ils sont construits pour se prémunir de biais de complétion.

Il y a plein de biais de complétion, c’est-à-dire que dans les plus connus, généralement, on a parfois tendance à avoir des notes, ce qu’on appelle le biais de réponse extrême. On a plutôt tendance à répondre « Pas du tout d’accord » où « Tout à fait d’accord » et un peu écarter les points du milieu.

On a aussi un autre billet assez connu, c’est le biais d’acquiescement, où on a plutôt tendance à répondre « Oui » aux choses. Et les questionnaires, tels qu’ils sont construits, cherchent à se prémunir de ces biais-là en insérant, par exemple, des items inversés ou d’autres aspects.

 Un questionnaire bien construit, c’est aussi un questionnaire qui cherche à se prémunir de biais de complétion. En insérant, par exemple, des items inversés.

Mais en tout cas, toute la construction des items, elle permet d’avoir la réponse la plus neutre possible et se prémunir à nouveau du maximum de billets. Donc, c’est pour ça que modifier un item, ça va à nouveau fragiliser les questions qu’on m’a posées.

Justine : Je vais retenir cette image du tireur d’élite qui est assez parlante, merci pour cet argument !

Est-ce que tu pourrais nous donner des retours d’expérience sur la mise en place de questionnaires au sein de tes projets sur lesquels tu as travaillé ?

Notamment quand on s’était rencontrés pour préparer le podcast, tu nous avais parlé d’une situation intéressante dans le domaine bancaire. Est-ce que tu pourrais nous en dire un petit peu plus ?

Guillaume : Oui, parce qu’effectivement, parfois, on a des questionnaires qui ne sont pas parfaitement adaptés au domaine auquel on l’applique. On les utilise parce qu’ils sont assez connus ou parce que dans notre boîte à outils de questionnaire, on n’en connaît que quelques-uns.

Mais je pense effectivement à un cas où pour le domaine bancaire, on utilisait l’AttrakDiff, qui est un questionnaire l’un des plus connus et le plus connu, je pense, pour mesurer l’expérience utilisateur. Mais en fait, dans l’AttrakDiff, il y a des items, il y a des questions qui correspondent peu ou mal au domaine bancaire. C’est-à-dire que quand on vient mesurer la qualité d’une d’une application mobile ou d’une application sur desktop, on a par exemple des items comme « audacieux / prudent » ou « novateur / conservateur ». « Audacieux / prudent », pour l’AttrakDiff, quand un système est audacieux, c’est positif. C’est un aspect qui est important et qui va améliorer l’expérience utilisateur.

 Avec les questionnaires, il faut anticiper les spécificités du contexte. Dans une app bancaire par exemple, les utilisateurices pourraient avoir tendance à attendre une forme de conservatisme plutôt qu’un aspect audacieux. Un terme positif dans un contexte devient alors négatif dans un autre.

Mais dans le domaine bancaire, les utilisateurs, ils ont plutôt tendance à attendre d’une application bancaire qu’elle soit plutôt prudente, pas forcément audacieuse, ou qu’elle soit plutôt conservatrice et pas novatrice. Or, à nouveau, conservateur, c’est plutôt négatif pour l’attractif, mais pour les utilisateurs, d’une application bancaire, Conservateur, c’est plutôt un aspect positif.

Donc, ça montre que tous les questionnaires ne sont pas forcément adaptés à toutes les situations, toutes les applications possibles et qu’il faut bien choisir son questionnaire. Ou éventuellement, parfois, ça arrive de devoir construire de nouveaux questionnaires.

Justine : Et justement, est-ce que selon toi, on peut s’en rendre compte avant de mettre en place l’outil ou c’est vraiment en testant qu’on va comprendre que ce n’est pas forcément le bon outil ou le bon item ?

Guillaume : On peut le savoir un peu avant, simplement en lisant les questions et se dire : « Celle-là, elle est peut-être un peu bizarre par rapport à ma situation ». Maintenant, dans l’exemple avec l’AttrakDiff, on ne s’attendait pas, en tout cas, à avoir ce genre de réponse.

 C’est parfois difficile à anticiper. J’ai un exemple ou, sur un questionnaire AttrakDiff, plus les utilisateurices cochaient négativement certains items, plus c’était en fait positif dans l’analyse.

C’est après coup, en voyant que c’était difficile d’augmenter certains scores, qu’on s’est rendu compte que oui, en fait, plus l’application était meilleure, plus les utilisateurs cochaient négativement certains items. Mais pour eux, c’était positif. Il y a certaines choses où on peut le savoir qu’en l’appliquant.

Justine : On sait que ça peut être complexe de faire évaluer l’expérience utilisateur à certaines tranches de la population, on pense notamment aux enfants, par exemple, qui vont être un public pour lequel il faut parfois adapter les méthodes

Est-ce que tu as pu travailler, toi, sur ces sujets-là ?

Guillaume : Oui, j’ai travaillé un peu sur ces sujets-là. C’est vrai que c’est une vaste question parce que les enfants, ils ont du mal à poser des nuances dans leurs réponses. Ils vont qui vont avoir plutôt tendance à dire : « Oui, je suis tout à fait d’accord » ou « Non, je ne suis pas du tout d’accord » et à ne pas utiliser les scores, les points entre les deux extrêmes.

Et puis, ils ont aussi plutôt tendance à répondre oui, ce qui est normal, parce que souvent, c’est un enseignant ou un adulte qui leur fait passer ce questionnaire et il peut y avoir un peu d’intimidation, on va dire. En tout cas, pour l’instant, Je n’ai pas trouvé de remède miracle pour les enfants et ce type de public en particulier.

 Le public répondant est évidemment un facteur à prendre en compte. Soumettre des questionnaires à des enfants demande par exemple une approche adaptée, pour limiter certains biais et contraintes de compréhension.

Maintenant, par exemple, il y a quand même des études qui sont menées là-dessus, des recherches. Il y a des questionnaires qui sont connus, qui ont été adaptés pour les enfants. Oui, j’ai oublié de préciser, mais aussi pour les enfants, bien sûr, il peut y avoir des problèmes de compréhension de vocabulaire, des questions, bien évidemment.

Je pense, par exemple, au questionnaire qui est le User Experience Questionnaire, qui est un questionnaire assez connu également, qu’on peut trouver librement sur Internet. C’est son business model comme ça, qui est traduit dans plein de langues. En plus, il y a le UEQ+, qui est qui est sorti il y a moins d’un an où il y a plein de mesures différentes en dehors de l’expérience utilisateur. Il y a une version uniquement à base d’emojis de ce questionnaire à l’air là. Il n’y a pas tous les items.

Les chercheurs qui ont fait cette adaptation à base d’emojis n’ont pas pu placer d’emojis pour tous les items, mais ils ont une version qui fonctionne malgré tout avec des emojis qui sont bien compris. C’est vraiment les emojis hyper classiques qu’on trouve sur nos téléphones. Ils n’ont pas créé d’emoji particulier et ça marche bien. Du coup, ça crée déjà quelque chose qui est vraiment attractif pour les enfants, que j’ai déjà utilisé pour tester un prototype, quelque chose d’un peu complexe à expliquer comme ça, une sorte de tapis numérique. Ça marchait très bien. Les enfants, ça leur donnait envie de répondre au questionnaire et en plus, les icônes sont compréhensives. Donc ça, ça ne marche pas trop mal.

 Le UEQ+ propose aujourd’hui une version à base d’emojis, notamment pour un jeune public, qui fonctionne plutôt bien.

Mais il faut toujours rester vigilant, ces émojis qui viennent montrer des extrêmes, ça vient un petit peu en contradiction avec d’autres études qui disent plutôt que les enfants, il faut leur dire précisément quelles sont les nuances de chacun des points d’une échelle de Likert. Donc, de « Pas du tout d’accord » à « Tout à fait d’accord », il faut vraiment leur dire : « Ça, ce n’est pas du tout d’accord. Ça, ce n’est un petit peu pas d’accord, etc ». Et c’est comme que les enfants répondent avec le plus de nuances. Mais du coup, avec deux emojis opposés, on n’a pas ces nuances-là, bien sûr. Mais voilà, ces deux aspects aident, donc des emojis, des nuances qui sont clairement expliquées sur une échelle de Likert par exemple.

On a, avec un collègue, Stéphane Faida, travaillé sur un questionnaire qui m’intéresse beaucoup parce qu’il mesure l’expérience eudémonique dans le contexte scolaire, c’est-à-dire le bien-être des enfants dans le système scolaire. On sait, même si on a l’impression que ce n’est pas toujours appliqué, que plus l’enfant est heureux à l’école, plus il se sent bien dans son groupe, dans sa classe, dans ses études et mieux, il va apprendre.

 J’ai travaillé sur un questionnaire qui mesure le bien-être des enfants dans le système scolaire. Il a fallu rendre les questions simples pour aborder des concepts complexes. C’est une étude toujours en cours.

Ce questionnaire-là, il y a un gros effort qui est fait, c’est une étude qui est toujours en cours. C’est des questions qui sont posées aux enfants. Il faut du coup des questions qui soient le plus simples possible, mais qui viennent aborder des concepts un peu complexes : le bien-être à l’école, savoir si on se sent bien dans un groupe, savoir si on se sent pas jugé dans une évaluation, etc. Ce n’est pas évident. Aussi, il y a des questions qui se posent comme combien de points on donne, combien de nuances on donne en termes de réponses. Plus il y a de nuances, plus ça peut être compliqué de se positionner aussi pour un enfant. Mais là pour ce questionnaire particulier qui s’appelle le QEES, Q-E-E-S, on est sur quelque chose d’assez standard avec des points de 1 à 5, mais on a vraiment décrit chacun des points pour les enfants.

Justine : Vous n’avez pas ajouté d’émoji ou de smiley ?

Guillaume : Non, là pas pour ce questionnaire-là. D’un commun accord, on s’est dit : « Allez, là, on ne va pas chercher à illustrer ». Parfois, ça peut, à l’inverse, un peu complexifier la compréhension des phrases.

Justine : Un autre de tes sujets pour lesquels tu as mené des recherches, c’est la « Persuasion technologique ». Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est et comment tu le mets en place au sein de tes projets ?

Guillaume : La « Persuasion technologique« , pour la résumer simplement, c’est utiliser les technologies pour encourager les utilisateurs de cette technologie à changer de comportement. On est vraiment sur la persuasion de manière générale en psychologie sociale, changement de comportement et technologique, parce qu’on va utiliser une application mobile, un site web ou d’autres formes de technologies pour ça.

Actuellement, effectivement, je mets en place ce type de concept, de recherche sur la perception technologique dans le cadre d’une application qu’on a développée, là où je travaille, au LIST, pour encourager les citoyens à avoir des des consommations d’électricité plus flexibles, c’est-à-dire faire en sorte que les personnes puissent consommer leur électricité plutôt sur toute la journée et en dehors des pics de consommation qui sont généralement entre 17h00 et 20h00.

 Je travaille aussi autour du concept de “persuasion technologique”, qui vise à utiliser les technologies pour encourager les utilisateurs à changer de comportement.

Parce que les gens arrivent chez eux, ils branchent leur chauffage, ils mettent à faire préchauffer le four, etc, ils font la cuisine. Tout ça, ça consomme de l’énergie électrique et le plus dur à pour le réseau électrique, c’est ces pics de consommation. Et en ce moment, et puis ça ne fera bien sûr que s’aggraver, on a l’arrivée des véhicules électriques qui sont des gros consommateurs d’électricité. Et là aussi, les comportements classiques, c’est on rentre chez soi, on branche son véhicule électrique, on le met en charge et puis c’est tout, on n’a pas besoin d’y penser.

Il y a de plus en plus maintenant de véhicules électriques qui ont des recharges intelligentes comme nos téléphones qui étalent la consommation ou qui se mettent en charge au moment où il y a moins de consommation d’électricité, donc plutôt à des périodes après 21h00, par exemple, ou 22h00. Mais quand on n’a pas ces systèmes-là automatiques, il faut changer les états d’esprit. Parce que quand on discute avec les gens, souvent, quand ils rentrent du travail, déjà, ils n’ont plus envie de penser à brancher leur véhicule, donc ils le font tout de suite en arrivant. Ils ont aussi des contraintes ou du stress en se disant : Si je ne mets pas tout de suite en charge mon véhicule et que je dois le reprendre en urgence le soir, s’il n’est pas chargé, je vais être embêté, donc je vais tout de suite le mettre en charge.

Donc, tout ça, on essaye de changer ces attitudes, ces comportements-là, en proposant une application qui vient proposer chaque jour une petite activité. Ça peut être un défi : « aujourd’hui, je branche mon véhicule électrique plus tard dans la soirée » ou « aujourd’hui, je programme mon lave-vaisselle pour le lancer après 21h00 ou pendant la nuit », « aujourd’hui, j’éteint tous mes appareils en veille ».

 L’idée est de proposer des conseils, voir des défis pour inciter les utilisateurices à changer leurs usages de manière graduelle et personnalisée.

C’est des choses vraiment très simples. Il y en a plein d’autres. Ça, c’est les plus évidentes, mais ça peut être des conseils de ce type, des défis. Ça peut être aussi des conseils en disant : « Pendant les journées ensoleillées, on peut mettre en place des consommations un peu plus importantes parce qu’on a de plus en plus d’énergie solaire ». Et l’énergie, on sait que ça se stocke très mal, donc il vaut mieux consommer l’énergie quand elle est là. Et quand on a, par exemple, du vent, quand on est dans un contexte assez éolien, là, on peut consommer un peu plus d’énergie. En tout cas, mettre des choses en charge ou consommer de l’énergie électrique dans ces moments de production d’énergie un peu plus importante.

Et puis, dans cette application, il y a plein d’autres choses. Il y a des quiz pour sensibiliser et pour intéresser les personnes, pour leur faire prendre un peu plus de connaissances, pour leur donner un peu plus de connaissances sur la consommation d’électricité. Et puis, on leur donne aussi des conseils pour diminuer leur consommation. Ça, c’est de la persuasion technologique. À nouveau, c’est trouver des moyens personnalisés.

Nous, on a mis en place par rapport aux profils des différents conseils, différents quiz, etc. Parce qu’on sait qu’il y a des personnes qui vont être très sensibles à des arguments plutôt environnementaux. Et puis d’autres personnes qui vont être plutôt sensibles à des arguments financiers, budgétaires. Et pour ces personnes-là, du coup, on va s’adresser différemment à eux. Voilà. Donc, c’est pour résumer ce projet-là.

Justine : Super intéressant. Mais du coup, pour voir les effets, justement, de la persuasion technologique, comment vous allez regarder ?

J’imagine aussi qu’il y a un côté sur le long terme aussi, s’assurer que ces comportements-là restent sur le long terme. Est-ce qu’il y a des choses à savoir ?

Guillaume : Oui, alors, c’est une bonne question parce qu’effectivement, ça va être le plus difficile. On part du principe, on ne l’invente pas, mais que cette flexibilité énergétique, donc laisser sa consommation électrique, elle repose beaucoup sur les connaissances que l’on a. C’est ce qu’on appelle l’énergie littératie, donc les connaissances que l’on a vis-à-vis de l’énergie électrique.

Ce que l’on fait, parce que c’est facile à faire, c’est qu’on mesure régulièrement les connaissances. On a une sorte de questionnaire qui fait une quinzaine de questions. Et puis, régulièrement, On reformule un peu différemment les questions, on les présente dans un autre ordre, mais on vient évaluer cette connaissance sur l’énergie.

 C’est un travail sur le long terme qui nécessite de mesurer régulièrement nos connaissances dans le domaine, et de les croiser avec des données issues de dispositifs de mesure installés chez les usagers.

L’autre mesure que l’on a également, qui est un peu plus complexe à mettre en place, mais c’est qu’on peut se connecter à des smart meters, des appareils qui sont sur les compteurs électriques des citoyens, et on peut là très finement mesurer leur consommation électrique sur une journée. Ça, on peut effectivement corréler. Est-ce que l’application, par rapport au début, c’est là, on est sur une phase pilote où on demande aux personnes d’utiliser cette application pendant trois mois et on mesure au début, avant les trois mois, au milieu et à la fin, est-ce qu’on a un changement de comportement dans la consommation d’électricité, sur la journée.

Bérengère : Tu as aussi écrit des articles sur l’acceptation. Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur le sujet ?

Guillaume : Oui, J’ai écrit quelques articles sur l’acceptation, sur l’acceptation des interfaces de manière générale. J’ai quelques projets, mais c’est peut-être courant chez les UX designers, des projets où on me demande ou des entreprises me demandent : “Comment on peut faciliter l’acceptation d’un système qu’on vient mettre en place dans une entreprise ? ». Parce que l’une des craintes, c’est que ce système soit mal utilisé ou pas utilisé, qu’il soit un peu bouder par les utilisateurs.

Donc bien sûr, en entreprise, ils sont quelque part un petit peu forcés à l’utiliser, mais quand on a investi plusieurs milliers, centaines de milliers ou millions d’euros dans un système, on a envie qu’il soit pleinement utilisé. Oui, c’est de l’acceptation. Il n’y a pas de recette miracle. On sait que l’acceptation, ça repose sur l’utilité du système. Est-ce que ça sert vraiment mon travail ? Et puis la facilité d’utilisation. Donc ça, c’est des mesures que je fais aussi régulièrement.

 L’acceptation technologique est aussi un domaine qui m’intéresse beaucoup. Comment peut-on faciliter l’acceptation d’un système que l’on vient de mettre en place ?

Mais je pense aussi, l’acceptation, ça peut concerner plein d’autres technologies. J’ai pas mal travaillé sur l’acceptation d’une technologie particulière qui est la voiture autonome, la voiture sans conducteur qui est une technologie qui arrivera peut-être un jour en France, en tout cas qui est déjà implémentée dans d’autres villes dans le monde.

Je pense à San Francisco où il y a une grosse flotte de véhicules autonomes qui sont des espèces de robotaxi. On fait appel à l’aide d’une application à un de ces taxi-là. Et puis, il n’y a personne au volant et on s’assoit à la place du conducteur. Non, pardon, pas du conducteur, c’est interdit, du passager où on se met derrière. On n’a pas le droit de se mettre à la place du conducteur qui n’est pas là.

Ce qui est intéressant, c’est que quand on demande comme ça à un public, est-ce qu’eux prendraient un véhicule comme ça sans conducteur, il y en a assez peu. Il y a, on va dire, les deux tiers qui ne lèvent pas la main, qui sont plutôt craintifs des véhicules autonomes. Ça, c’est une forme d’acceptation.

En tout cas, j’ai travaillé sur qu’est-ce qui fait peur, en dehors des aspects sécuritaires, bien C’est sûr, c’est un facteur important, mais il y a des personnes aussi qui ont peur que les véhicules soient par exemple, piratés et que leur course soit pris en charge par quelqu’un de malhonnête ou que leurs données soient capturer, leur donner… Je ne sais pas s’ils rentrent dans un véhicule qu’on puisse capturer ou pirater leurs données bancaires ou je ne sais quoi.

En tout cas, il y a des craintes comme ça assez générales. Il y a des craintes aussi vis-à-vis des passagers, mais vis-à-vis aussi des personnes qui sont à l’extérieur des véhicules, les piétons, notamment, traverser devant un véhicule sans conducteur.

 La voiture autonome est un sujet complexe sur lequel j’ai pu travailler l’acceptation technologique, les craintes étant nombreuses. Est-ce que le véhicule va vraiment me laisser passer si je m’engage sur le passage piéton ? Avec un conducteur, je peux lui faire signe, mais sans, comment cela va t’il se passer ?

Les grandes questions qui se posent, c’est : « Est-ce que le véhicule va vraiment me laisser passer si je m’engage sur le passage piéton ? Est-ce qu’il ne va pas redémarrer alors que je suis en train de traverser. Quand il y a un conducteur, je peux lui faire signe. On peut avoir une sorte de communication implicite. Mais s’il n’y a pas de conducteur, comment ça va se passer ? ».

Là aussi, c’est une forme d’acceptation et on travaille sur des solutions qu’on peut apporter pour faciliter ces communications entre piétons et véhicules ou entre passagers et véhicules. Comment on peut améliorer le confort ? Comment on peut améliorer la perception de la sécurité ? Il y a beaucoup de travaux là-dessus, mais il y a encore beaucoup à faire parce que ça arrive, on a en France pas mal de bus autonomes, des minibus, des petites navettes qui circulent sur des trajets assez courts, mais il y en a quelques-uns comme ça de minibus.

Justine : Il y en a un sur le campus de Rennes, il me semble, si je dis pas de bêtises.

Guillaume : Oui, il me semble bien.

Justine : Merci beaucoup, Guillaume, d’avoir partagé ce moment avec nous. Avant de te laisser, on aimerait te poser notre traditionnelle question : dans le monde qui t’entoure, personnellement ou professionnellement, qu’est-ce qui t’a bluffé ou marqué dernièrement ?

Guillaume : Oui, professionnellement, je pense comme ça à une thèse à laquelle j’ai participé en tant que membre de jury, que j’ai trouvée intéressante et peut-être novatrice, peut-être que ça s’immiscera dans dans les technologies de demain. C’était une thèse qui faisait le lien entre la personnalité des utilisateurs, donc vraiment par rapport à un modèle qu’on appelle le Big Five, qui est un modèle classique de description de la personnalité, est-ce qu’on est extraverti, introverti ? Est-ce qu’on est plutôt consciencieux ? Est-ce qu’on est plutôt dans l’action, etc. ?

Il faisait le lien entre la personnalité et la manière dont les utilisateurs interagissaient avec la souris. Avec des micromouvements, l’objectif étant de déterminer par avance la personnalité de quelqu’un à travers le mouvement qu’il fait de la souris. Quand on a, justement, quand on peut déterminer sa personnalité, on peut lui proposer des contenus adaptés en fonction de cette personnalité. Donc, par l’intermédiaire des micromouvements de la souris, déterminer la personnalité et là, proposer sur un site, sur une application, des menus, des contenus adaptés à la personnalité de la personne. Donc, c’est peut-être quelque chose qui arrivera.

 Récemment, j’ai été membre de jury d’une thèse qui essayait de faire le lien entre les modèles de description de la personnalité et la manière dont la souris d’ordinateur était utilisée. J’ai trouvé ça très intéressant pour de la personnalisation.

En tout cas, la personnalisation, je pense que c’est quelque chose qui est plutôt sympathique, ça peut toucher beaucoup de domaines, mais souvent, la question, c’est : comment on adapte ? À part poser quelques questions à la personne ou lui demander de faire des choix d’interface, de menus, si on arrive à détecter comme ça le profil d’une personne instantanément, en tout cas en quelques seconde, parce que ça allait très vite, je me suis dit que ça pourrait peut-être révolutionner un peu nos interactions.

Justine : Effectivement. Est-ce que cette thèse est publique ?

Guillaume : Cette thèse n’est pas publique parce qu’elle a été faite avec une entreprise qui va exploiter ces données-là. Par contre, il y a sûrement un article, quelque chose qui va être rédigé par rapport à ça. À ma connaissance, ce n’était pas encore le cas. Et je pourrais vous l’envoyer pour l’intégrer au podcast.

Justine : Super, ça pourrait être intéressant.

Merci beaucoup, Guillaume, d’avoir partagé ce moment avec nous. On est ravis d’avoir pu en apprendre plus sur les questionnaires standardisés et toutes leurs démarches ainsi que tes sujets de prédilection. Donc, merci beaucoup.

Guillaume : Merci à vous !

Justine : Il ne nous reste plus qu’à vous remercier d’avoir suivi ce nouveau podcast.

Nous espérons que cet épisode vous a plu. En attendant le prochain, n’hésitez pas à écouter ou réécouter les épisodes précédents et à vous abonner à la newsletter du podcast pour retrouver l’ensemble des ressources de nos épisodes et les conseils de nos invités.

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