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SLD #28 · Florie Bugeaud-Remond, écoconception et design de services

SLD #28 · Florie Bugeaud-Remond, écoconception et design de services

Nous avons le plaisir de recevoir dans le premier épisode de la nouvelle saison de Salut les Designers Florie Bugeaud-Remond, spécialiste de l’écoconception et du design de services ! L’occasion de revenir avec elle sur son parcours, sa vision du design de services et surtout l’apport et l’importance cruciale de l’écoconception dans les années à venir.

Publié le 27 septembre 2023

Bonjour à tous et à toutes et bienvenu·e·s dans ce premier Salut les Designers de la saison !

Un épisode ou Alizée et Justine reçoivent Florie Bugeaud-Remond, designer de service, fondatrice de la société beewö, autrice de Green Service Design, animatrice de la Fresque du climat et tout récemment de la Fresque des frontières planétaires.

L’occasion de revenir sur la discipline parfois un peu galvaudée de design de services et de voir pourquoi l’écoconception va devenir, dans ce secteur comme dans tous les autres, une nécessité absolue.

Bonne écoute à tous et à toutes !

La transcription

Alizée : Bonjour à toutes et à tous, je suis Alizée, bienvenue dans ce nouvel épisode de Salut les designers, le podcast de l’Agence LunaWeb qui aborde des sujets variés consacrés au design et à ses méthodes et qui permet d’échanger avec des professionnels et des passionnés sur différentes thématiques qui forcément nous animent.

Pour ce podcast, je suis accompagnée aujourd’hui par Justine, UX Researcher à l’agence, salut Justine !

Justine : Salut Alizée !

Alizée : Alors, une fois n’est pas coutume, on avait envie aujourd’hui encore d’aborder le sujet de l’écoconception. C’est un thème qui nous stimule, qui nous inspire depuis quelques années maintenant et dont nous sommes toujours avides de connaissance.

Pour parler de ce sujet, on a le plaisir de recevoir aujourd’hui Florie Bugeaud-Remond, designer de service depuis plus de 12 ans, fondatrice de la société beewö, autrice de Green Service Design, animatrice de la Fresque du climat et tout récemment de la Fresque des frontières planétaires.

Elle est également intervenante dans différentes formations afin de sensibiliser et former les participants à l’écoconception de services. Un sacré bagage en somme, que nous souhaitions découvrir et partager avec vous.

Bonjour Florie, merci d’avoir accepté notre invitation, comment vas-tu ?

Florie : Bonjour Alizée, et bonjour aussi Justine ! Je suis ravie d’être avec vous aujourd’hui. Très contente de vous retrouver pour ce nouvel épisode ensemble.

Justine : Avant de commencer, Florie, est-ce que tu voudrais bien te présenter rapidement et nous raconter un peu plus tes débuts, ton parcours professionnel avant ton plongeon dans l’univers de l’écoconception de services et du climat ?

Florie : Oui, avec plaisir. J’ai démarré par des études plus tôt orientées IT et gestion des entreprises. Et puis, dans le cadre de ces études- là, j’ai eu la chance, l’opportunité de faire une thèse de doctorat avec l’Université de technologie de Troyes et un contrat CIFRE chez France Télécom R&D.

Ce sujet de thèse, il portait sur la modélisation des services. Donc déjà, dans le domaine des services, à ce moment-là, avec un point important qui était, finalement, qu’est-ce que c’est qu’un service ? Et comment on peut modéliser cet objet un peu bizarre.

Au début de mon parcours, j’ai eu la chance de pouvoir faire une thèse portant sur la modélisation des services avec une question : comment peut-on modéliser cet objet un peu bizarre ?

Je suis vraiment tombée sur les questions de design systémique et de design de services à travers cette thèse de doctorat, même si à l’époque, on ne parlait pas encore forcément ni de design systémique ni de design de services, mais ça commença à y ressembler assez fortement.

J’ai beaucoup retravaillé à ce moment-là le concept de service pour le présenter vraiment comme un système de services, un objet un peu étrange, un peu intangible, mais très systémique, très holistique, avec plein de dimensions différentes à aborder quand on l’analyse. J’ai retravaillé la manière dont on pouvait l’analyser, le modéliser avec un fort accent sur la dynamique de ces systèmes de services.

Donc une proposition assez orientée, modélisation dynamique et actentielle, dès ce moment-là, mais on va en reparler, des systèmes de services plutôt qu’une modélisation très objet.

Et puis, à la suite de ça, j’ai rejoint une entité qui s’appelle Nekoé, qui est spécialisée sur l’innovation par les services. À ce moment-là, c’était un peu l’une des très rares structures en France à commencer à parler justement d’innovation par les services, de design de services, de design centré client, centré utilisateur.

À cette époque, j’ai beaucoup travaillé à présenter le service comme un système, un objet un peu étrange, intangible, mais très systémique, très holistique, avec plein de dimensions différentes à aborder.

Donc, assez naturellement, j’ai rejoint ce pôle et travaillé avec eux sur du design de services, de la modélisation, mais aussi sur une stratégie de recherche avec, entre autres, des actions autour du montage de partenariats de recherche. Et puis une casquette aussi, un petit peu de prospection, de business développer pour étendre un petit peu notre portefeuille, on va dire, de clients qui étaient au départ très centrés sur la région Centre avec un objectif vraiment d’aider les structures, les organisations de toute taille sur la région Centre à se différencier par les services et par l’innovation.

Et on est allé du coup au-delà de ça puisqu’on a travaillé un petit peu partout en France avec différents acteurs qui, dès ces années-là, donc les années 2010, 2011, 2012, 2013, s’interrogeaient sur qu’est-ce que les services peuvent nous apporter pour être plus innovants, pour nous différencier et pour étendre un petit peu notre portefeuille d’activité.

À la suite de ça, j’ai rencontré des acteurs de chez Safran, donc S.N.E.C.M.A. À l’époque, Safran Aircraft Engines aujourd’hui, qui construit et qui maintient des moteurs d’avion.

À l’époque, le PDG était très visionnaire et souhaitait vraiment mettre en place une équipe dédiée aussi à l’innovation par les services, avec une logique assez implacable sur le fait que faire des produits, faire des moteurs d’avion, c’était bien, ça rapportait beaucoup d’argent mais ce n’était pas suffisant pour l’avenir, parce que tous les concurrents font la même chose avec à peu près les mêmes technos, les mêmes matériaux, etc.

Ensuite chez Safran Aircraft Engine, j’ai pu créer une équipe pluridisciplinaire autour de la conception de services. Des UX designers, des Service designers, des développeurs, œuvrant dans un Fab Lab entièrement dédié à cette activité.

On a eu la chance de pouvoir aussi créer un lieu, un Fab Lab entièrement dédié à cette activité- là, pour accueillir les collaborateurs, mais aussi les clients.

Et il avait cette compréhension-là et cette vision-là du monde futur de l’aéronautique dans lequel il se disait « Il faut faire des services, c’est comme ça qu’on va se différencier. » Donc, on a eu la chance à ce moment-là d’avoir un peu carte blanche quand je les ai rejoints pour monter une équipe, recruter des êtres étranges pour Safran à ce moment- là, comme des UX designers, des services designers, des développeurs de différents types, des personnes dans la com.

Donc, on a vraiment créé une équipe pluridisciplinaire autour de la conception de services chez Safran Aircraft Engines. Des services, du coup, bien évidemment, autour des moteurs, liés aux moteurs d’avion, à destination des compagnies aériennes, des loueurs, etc.

On a eu la chance de pouvoir aussi créer un lieu, un Fab Lab entièrement dédié à cette activité- là, pour accueillir les collaborateurs, mais aussi les clients. Et donc plusieurs années à pouvoir aller sur le terrain, observer des compagnies aériennes, comprendre leurs besoins, proposer des services qui répondent à ces besoins.

Et puis, petit à petit, la stratégie de l’entreprise s’est pas mal recentrée sur le produit, sur le moteur, laissant un petit peu de côté les services. Donc, il y a toujours une entité qui fait des services chez Safran Aircraft Engines, mais moi, j’ai décidé de voler de mes propres ailes. Voilà pour le parcours.

Alizée : Et du coup, avant de partir dans l’univers de l’écoconception, est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu plus en détail le rôle d’un designer de service, en quoi ça consiste et qu’est-ce que ça englobe ?

Florie : Avec plaisir, Alizée, c’est un sujet qui me tient à cœur. On en avait parlé déjà ensemble, la définition de ce qu’est un designer de service, c’est un peu galvaudé aujourd’hui.

Déjà, en France, ce n’est pas hyper répandu, hyper connu. Ça, c’est déjà un premier point. Et puis, galvaudé dans le sens où c’est associé en particulier à l’UX Design. Donc effectivement, c’est important de repositionner le rôle et ce qu’est un designer de service.

Pour moi, un designer de service doit avoir une pensée systémique, cette capacité à comprendre un service comme un système, comme un tout.

Un designer de service, c’est vraiment une personne qui va avoir, déjà, première chose importante, une pensée systémique. C’est quelqu’un qui va avoir cette capacité à comprendre un service comme un système, comme un tout, composé de parties, ces parties pouvant être humaines, mais pas que. C’est pour ça que moi, je parle maintenant d’actants, enfin maintenant, depuis très longtemps.

Et ces parties-là, du coup, interagissent entre elles de manière dynamique dans des dimensions assez variées. Donc, le designer de service, il va devoir comprendre toute cette complexité et il va devoir comprendre, intervenir, imaginer, modéliser, prototyper, tester des services sur toutes ces dimensions. Donc, à la fois sur l’aspect spatio-temporel d’un service, où est-ce qu’il va avoir lieu physiquement, à quel moment, etc.

Sur l’aspect physique d’un service, de quels éléments physiques on va avoir besoin, de quels objets tangibles on va avoir besoin tout au long du service ? Sur l’aspect temporel, je le disais d’un bout à l’autre, c’est-à-dire qu’est- ce qui va se passer avant, pendant et après le service ? Sur l’aspect numérique, évidemment, s’il y a des éléments, ce qu’on appelle des points de contact, des éléments soit physiques, soit digitaux, quels vont être ces éléments- là, à quoi ils vont ressembler, etc.

Le designer de service va devoir modéliser, prototyper, tester des services sur toutes ces dimensions. Sur l’aspect spatio-temporel d’un service, mais aussi sur l’aspect économique, émotionnel, juridique, etc.

Ça peut être aussi sur la dimension économique, puisqu’un designer de service va aussi passer du temps à imaginer, travailler, modéliser le modèle économique sous-jacent au service. Mais ça peut aussi être sur des dimensions beaucoup plus émotionnelles ou bien une dimension juridique s’il y a un aspect juridique au service. Ça peut aller très, très loin en termes de nombre de dimensions et de complexité de ces dimensions.

Le designer de service, il est là pour comprendre, concevoir cette complexité, pour pouvoir soit proposer un nouveau service à partir d’une idée, d’une question, d’une problématique, soit reconcevoir un service parce que ce service n’a pas rencontré son marché et est obsolète ou pour plein de raisons différentes.

C’est vraiment cet aspect systémique sur lequel je tiens à insister. Parce qu’aujourd’hui, le terme de design de service est parfois simplifié et donc galvaudé.

C’est vraiment cet aspect systémique sur lequel je tiens à insister. Parce qu’aujourd’hui, on a malheureusement, c’est ce que je disais, le terme de design de service est un peu parfois galvaudé, parce qu’on l’associe à, par exemple, la modélisation de parcours clients. C’est bien de faire un parcours client quand on est designer de service, mais c’est absolument pas suffisant. C’est un tout petit élément sur l’ensemble du système qu’on veut étudier.

Alizée : Parce que le parcours client, il va s’intéresser notamment aussi au point de contact avec le service, finalement. Mais ce n’est pas que ça.

Florie : Oui, exactement. Le parcours client, c’est vraiment une vue, on va dire un angle de vue sur le système de services, c’est-à-dire qu’on va identifier quels sont justement ces clients et qu’est-ce qu’on va leur faire vivre en termes d’expérience. Ça, c’est vraiment le point de vue du client, quelles sont les étapes par lesquelles il va passer avant, pendant, après le service.

Le parcours client n’est qu’un angle de vue sur le système de services. Se limiter à cela ne permet pas d’aborder l’ensemble des éléments complexes en jeu.

Simplement, ce n’est pas suffisant parce que même si ça nous permet d’identifier des points de contact physiques et digitaux qui vont être importants et qu’on va devoir concevoir aussi, on loupe quand même tout ce qui se passe en arrière-scène, tout ce qui se passe en arrière-plan qu’on ne voit pas forcément quand on est client et on loupe un certain nombre de dimensions.

Je parlais de la dimension économique tout à l’heure. Quand on modélise un parcours client, on n’aborde absolument pas ou de manière très partielle éventuellement le prix qui va être payé et encore. Donc voilà, on peut louper quand même beaucoup de dimensions, beaucoup d’éléments complexes de ce système de services si on n’a que cet angle de vue-là.

Justine : Merci pour ce petit rappel sur le design de service.

Pour rentrer un petit peu plus dans le détail de notre sujet d’aujourd’hui, à partir de quand et comment t’es venue cette sensibilisation à l’écoconception ? Est-ce que tu as eu un déclic ?

Florie : Oui, la sensibilité en elle-même, on va dire aux enjeux environnementaux, elle est là depuis toujours. Elle s’est manifestée déjà pendant mes travaux de thèse. Je le disais tout à l’heure, quand j’ai étudié la notion de service sous la forme d’un système, quand je me suis aperçue qu’il n’y avait pas que des humains dans ce système, mais qu’il y avait plein d’autres éléments pas humains, des objets, la nature, la faune, la flore, etc, j’ai commencé à emprunter le terme d’actant à Bruno Latour et à vraiment travailler sur la modélisation des interactions entre ces actants.

Après, j’ai un peu laissé ça de côté, rattrapé par les projets, par le côté quotidien et par ce qui était quelque part demandé par les clients. Mais ces enjeux environnementaux-là sont revenus en force dans ma vie personnelle dans un premier temps. Ça paraît toujours un peu bateau de dire ça, mais comme pour beaucoup de personnes et beaucoup de femmes, je pense en particulier, cette sensibilité-là, elle s’est accrue quand je suis devenue maman, tout bêtement, quand ma fille est née, justement. Il y a des questions qui se posent qu’on ne se posait pas forcément avant pour soi-même. Qu’est-ce que je vais lui donner à manger ? Quelle alimentation pour mon enfant, pour qu’elle soit en bonne santé.

L’écoconception est venue de prises de conscience personnelles, mais a été nourri par les composantes systémiques et multidimensionnelles du design de services.

Et puis de là, on tire le fil et on se pose beaucoup de questions sur l’avenir, sur la société et le monde en manière générale dans lequel nous allons laisser nos enfants dans quelques années. Ça devenait de plus en plus fort dans ma vie personnelle. J’ai changé beaucoup de choses dans mes habitudes de vie, de consommation, etc.

Et à côté de ça, j’avais mon travail de designer de service, donc de designer quand même, avec cette forte connotation systémique et multidimensionnelle. Et puis une question qui revient régulièrement dans ma tête, mais je parle de beaucoup de dimensions, je travaille sur beaucoup de dimensions, mais absolument pas la dimension environnementale.

Et je lisais des bouquins, des articles, je m’intéressais à tout ça et jamais sur les livres ou les articles ou les conférences sur le design de services, j’entendais parler de cette dimension environnementale. Donc ça m’obsédait de plus en plus. Et en même temps, je n’osais pas forcément me lancer sur ça, parce que qu’on se met beaucoup de barrières dans la vie, je pense, en particulier quand on est une femme.

C’est un petit message et un petit coucou à toutes les femmes qui vont nous écouter. Ne vous mettez pas de barrière. Si vous avez quelque chose en tête. Allez- y, osez, foncez. Il m’aura fallu du temps. Il m’aura fallu pas mal de déclics personnels et professionnels pour que ça arrive.

À partir du moment où j’ai commencé à m’y intéresser, je me suis rendu compte que la dimension environnementale était assez absence du design de services.

Mais finalement, c’est le Covid qui a fini d’achever ce déclic, parce que je me suis retrouvée au chômage partiel, quand j’étais chez Safran pendant le premier confinement. Ça m’a laissé beaucoup de temps pour réfléchir, pour me remettre à faire des recherches, savoir un petit peu où on en était.

Et je me suis aperçue qu’en fait, on en était nulle part, qu’on parlait beaucoup d’écoconception de produits, qu’on commençait à pas mal parler d’écoconception numérique. Mais finalement, c’était un regard très objet tangible ou très numérique, qui n’était absolument pas un regard justement systémique, macro sur l’ensemble du service.

Et voilà, donc je me suis dit qu’il était temps de faire quelque chose. Il était temps peut- être de se consacrer à ça et j’ai décidé du coup de créer ma propre entreprise, effectivement, qui s’appelle beewö et qui est vraiment dédiée à ces questionnements-là. C’est quoi l’écoconception de service ? C’est quoi les différences avec le produit ? Pourquoi l’écoconception de produits et le design circulaire ne sont pas suffisants à l’heure actuelle ?

J’ai créé beewö spécifiquement pour traiter de la dimension environnementale et de l’écoconception dans le design de service. Quelles différences avec le design produit ? Pourquoi le design circulaire n’était-il pas plus implanté ?

Ce sont des éléments importants et vraiment très intéressants à travailler, mais pas suffisants pour vraiment écoconcevoir un système de services de bout en bout dans son ensemble, sous toutes ses dimensions. Ça a été le déclenchement de cette aventure.

Ça fait deux ans et demi maintenant que beewö est créé, que je sensibilise, je forme un certain nombre d’acteurs, des designers, mais aussi des entreprises assez variées que j’accompagne des projets de reconception de services ou de co-conception de nouveaux services, beaucoup avec une porte d’entrée et une connotation numérique, parce qu’on est aujourd’hui dans une société, dans un monde où 99,9% des services…

Alizée : Il y a beaucoup de numérique…

Florie : Oui, exactement. Au moins une patte numérique quelque part, une application, un site, peu importe. Ça passe beaucoup par-là, mais j’ai un vrai objectif et je me suis donné en tout cas comme ambition de sensibiliser les acteurs économiques au fait que c’est bien d’écoconcevoir ses produits, c’est bien d’écoconcevoir son site internet ou son application, mais ça ne suffit pas pour dire dire que son offre de services est complètement écoconçue. Il faut vraiment monter au cran du dessus. Voilà.

Justine : Et est-ce que c’est cette envie de sensibiliser qui ça t’a amené à écrire ton livre, Green Service Design ?

Florie : Oui, effectivement. Je ne me serais pas lancée comme ça dans un livre toute seule. Ce qui m’a permis de me lancer sur l’écriture et la publication de ce livre, c’est une re-rencontre, puisqu’on se connaissait déjà, mais une re-rencontre avec le Pôle Écoconception, qui est le Centre National sur l’écoconception, plutôt de produits à la base, qui est sur Saint-Etienne et qui, quand j’ai commencé à travailler sur la création de beewö, travaillait aussi sur la rédaction d’un guide dédié à l’écoconception de services.

Parce que, justement, ils s’étaient rendu compte de la différence entre produits et services et que lorsque des entreprises venaient les voir avec une problématique services, finalement, ils essaient de faire rentrer au chaussepied des services dans des outils, des méthodologies, des modèles qui sont plutôt faits pour les produits à la base. Donc forcément, ils prenaient là aussi les services par un prisme spécifique et pas dans leur ensemble.

L’idée du livre Green Service Design est née quand je me suis rendu compte qu’on essayait de faire rentrer au chaussepied le design de services dans des méthodologies de design produit.

J’ai été la relectrice de ce guide-là qui a été ensuite mis entre les mains de l’ADEME avant d’être diffusé. Et assez naturellement, on s’est mis à réfléchir ensemble à ce qu’était l’écoconception de services. Eux avec leur regard ingénieur, écoconception produit, moi avec mon regard designer de services.

Et puis tout simplement, un jour, Samuel, le directeur du pôle Écoconception, m’a dit « Écoutes, nous, on édite des livres. On pense que ça vaut le coup, que c’est un sujet intéressant. On te donne carte blanche, écris. » Donc je me suis lancée dans cette aventure en parallèle de la création de bBeewö et de ses premiers projets.

C’est un travail de longue haleine, d’un certain nombre de mois de travail, de rédaction, bien sûr, mais pas que, parce qu’on a voulu aussi absolument y mettre des exemples. Donc il y a des exemples un petit peu fils rouges et puis deux exemples partiels qui sont présentés à la fin du livre. Mais effectivement, ce livre, il va vraiment dans cet objectif-là et dans cette vocation de diffusion du message pour faire prendre conscience à tout le monde que les services aussi ont des impacts et qu’il faut vraiment travailler les services d’une manière différente, les concevoir d’une manière différente.

Le livre Green Service Design a vraiment pour vocation la diffusion du message de l’écoconception de services, avec le plus d’exemples pratiques possibles.

Le livre revient sur la notion de service en tant que système, revient sur les principes fondamentaux du design de service qui n’adressent pas la dimension environnementale, revient aussi sur l’écoconception et sur le design circulaire pour en montrer les apports, mais aussi les limites pour les services.

Et puis, fait une proposition d’une démarche de design de service évoluée, on va dire, ++, dont les fondamentaux sont révisés, dont les outils sont révisés, dont les étapes sont réorientées pour qu’elles ne soient pas seulement centrées sur l’humain, mais aussi centrées sur l’environnement, la planète et son habitabilité.

Alizée : Justement, est-ce que tu as un outil que tu utilises pour évaluer l’impact environnemental d’un service que tu utilises au quotidien ?

Florie : Oui, alors on n’a pas d’outil au sens technique, on va dire pour l’instant, pour analyser et évaluer l’impact environnemental d’un service.

En revanche, on a retravaillé avec le pôle Écoconception, entre autres, un certain nombre d’outils, en particulier le cycle de vie, le fameux cycle de vie qui est si utilisé en écoconception de produits, qui a été aussi revu en écoconception numérique pour s’adapter aux services numériques purement.

Le cycle de vie est l’un des premiers outils que l’on a retravaillé pour l’écoconception de design de services, afin d’en partager une vision commune, que l’on soit une institution, un·e ingénieur ou un·e designer.

Et on l’a retravaillé parce que finalement, le Pôle Écoconception avait justement sa vision, un ingénieur écoconception du cycle de vie d’un service, moi, j’avais ma vision aussi designer de service pour avoir travaillé sur des processus assez linéaires de design de service. J’avais en tête, du coup, une manière de rendre ce processus, on va dire, plus vertueux et donc plus circulaire.

Et en fait, à la croisée de ces deux regards, effectivement, on a pu créer et diffuser un cycle de vie dédié aux services qui nous permet déjà de décrire chaque étape du cycle de vie d’un système de services pour pouvoir les analyser en détail et pour pouvoir y repérer un certain nombre d’impacts potentiels. Ces impacts-là pouvant être ensuite détaillés, priorisés et travaillés pour pouvoir y associer des stratégies, des propositions, des co-conceptions pour réduire les impacts in fine du service.

Ça, c’est un des outils que j’utilise. Après, j’ai tordu et retravaillé un certain nombre d’outils du design de service pour se poser ces questions- là vraiment tout au long du processus. Ça, c’est ce qui est présenté effectivement dans le livre Green Service Design.

Maintenant, nous sommes encore dans une période d’expérimentation au niveau des outils d’écoconception de design de services. Tout l’objectif des années à venir va être d’être en capacité de créer des outils et des bases de données plus macro.

En termes d’outils vraiment après, au sens technique du terme, on a encore beaucoup de choses à construire. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut déjà assez fortement se baser sur les outils qui sont faits pour l’écoconception de produits, en particulier les bases de données qui y sont associées et qui permettent déjà au moins sur la dimension physique d’un service, de pouvoir avoir des mesures, des éléments plus quantitatifs.

Pareil pour la sphère numérique, on a maintenant de plus en plus d’informations, d’éléments et d’outils pour pouvoir mesurer l’impact de la sphère numérique d’un service. Après, tout l’objectif, on va dire, des années à venir, des mois et des années à venir, ça va être d’être en capacité de créer des outils et des bases de données plus macro sur l’ensemble d’une offre de services qui viendront, quelque part, pêcher des informations, par ailleurs, pour les éléments physiques et numériques dans les bases de données existantes.

Justine : Pour rendre ça un peu plus concret, est-ce que tu pourrais nous donner un exemple de projet sur lequel tu as travaillé ?

Florie : Oui, je peux vous donner même plusieurs exemples. Le premier, c’est l’exemple d’une entreprise qui s’appelle Cairn Santé, que j’ai accompagnée et qui met à l’honneur vraiment le lien entre santé durable et alimentation durable. On a travaillé avec sa fondatrice sur son offre de services qui a vocation à remettre, on va dire, au cœur du sujet du débat l’utilisation des huiles, huile de chanvre, huile de lin, huile de cameline, très variées par rapport à ce qu’on peut connaître habituellement et utiliser comme l’huile d’olive ou l’huile de colza.

Remettre vraiment ces huiles-là au cœur du débat et au cœur de l’alimentation et de la consommation des Français. Et ça, ça nécessite de travailler, entre autres, avec les producteurs d’huile, justement pour faire en sorte que leurs productions soient de qualité, qu’elles soient, là aussi d’un point de vue environnemental, les moins impactantes possible, jusqu’à l’étiquetage de ces huiles et la commercialisation et la diffusion de ces huiles auprès du grand public.

Avec beewö, j’ai des clients de différents secteurs, comme Cairn Santé qui allie santé et alimentation. Les accompagner pour que leur offre de services et leurs produits soient les plus écoconçu possible a été intéressant pour travailler le cycle de vie.

Là, on a vraiment travaillé l’ensemble de l’offre de services de Cairn Santé et en particulier son cycle de vie pour comprendre un petit peu qu’elles ont été les étapes du producteur, de la graine même, jusqu’à l’assiette finale. Et ce travail-là nous a permis d’identifier un certain nombre d’impacts qu’on a pu prioriser par la suite. Ça, c’est un travail qui s’est fait de manière assez courte sur ce sujet-là, parce qu’il était assez facile à adresser et que la fondatrice de Cairn Santé connaît extrêmement bien son sujet. Donc c’était assez rapide de pouvoir le faire.

Ce qui va être intéressant, même sur d’autres types de projets que j’ai pu accompagner, c’est d’avoir un vrai travail collaboratif autour de ce type de modélisation et d’analyse, parce que plus on va avoir de regards croisés sur le cycle de vie d’un service, plus ce cycle de vie va être détaillé et plus, du coup, l’analyse de ses impacts et leur priorisation va être réussie.

Ce qui est intéressant dans les projets que j’ai pu accompagner, c’est d’avoir un vrai travail collaboratif autour des modélisations et de l’analyse. Plus nous aurons de regards croisés sur le cycle de vie d’un service, plus il sera détaillé et l’analyse de ses impacts réussie.

Après, on peut avoir plein d’autres exemples dans le domaine de l’énergie, par exemple, sur des offres de services qui vont être liées à la création, à la mise en place et la vie, finalement, de communautés citoyennes d’énergie, par exemple. Ça peut être assez varié sur des thématiques très différentes, qu’elles soient très tertiaires comme la santé, l’assurance, les banques, l’éducation, etc, comme très industrielles. Je parlais des moteurs d’avion tout à l’heure en introduction sur mon parcours, mais on peut très bien travailler aussi à l’écoconception des services qui vont accompagner une offre de produits ou qui vont, non pas remplacer une offre de produits, mais la transformer.

On parle beaucoup d’économie, de la fonctionnalité, de la coopération depuis quelques années. C’est aussi important de se dire si je ne vends plus mon produit, mais que je vends son usage, il y a une offre de services associée. Cette offre de services, elle va avoir des impacts, incluant aussi l’impact du produit. Tous ces éléments-là sont intéressants à travailler avec, entre autres, ce genre de méthode.

Alizée : Ok ! Aujourd’hui, chez LunaWeb, on s’arrête essentiellement sur le service numérique puisqu’on est là pour créer des sites Internet. On accompagne finalement peu ce qui se passe autour de ce service, on analyse peu toute cette partie systémique.

Comment tu arrives à faire prendre conscience aux entreprises qu’il est important de revoir leurs modèles, leurs stratégies à travers le prisme systémique et éco-responsable ?

On se retrouve souvent face à des réfractaires, des gens qui viennent nous voir en disant « On veut un site écoconçu. » et puis finalement, petit à petit, font machine arrière. Comment arrives-tu à faire passer cette parole- là ?

Florie : Déjà, justement, l’écoconception numérique, c’est une très bonne porte d’entrée parce que, j’allais dire, c’est physique. En tout cas, c’est à peu près tangible pour les gens. Donc, on parle de quelque chose…

Alizée : Plus que le service, c’est sûr !

Florie : Voilà, plus que quand on parle de système de services, c’est déjà un peu plus compliqué. Donc, je pense que c’est important de repartir d’éléments qui sont en tout cas plus ou moins tangibles, qu’on peut toucher même virtuellement, mais qui sont assez concrets pour les entreprises.

Donc, ça passe par l’écoconception de leurs produits dans un premier temps, pour ceux qui en ont en tout cas. Ça passe par l’écoconception de services numériques et par, au passage, la diffusion de messages clés en expliquant à ces acteurs-là que c’est très bien d’avoir déjà mis en place ces éléments-là, mais que c’est une fois de plus pas suffisant pour pouvoir se permettre de dire que l’offre de services dans son ensemble, elle est écoconçue.

L’écoconception numérique est une très bonne porte d’entrée pour le design de service, parce que quelque part, c’est plus tangible et surtout plus développé.

Je vous donne un exemple. C’est un des exemples que je donne justement dans le livre Green Service Design. Ce n’est pas parce que le site Internet d’un restaurant a été écoconçu et qu’il a un impact environnemental faible, que l’ensemble de l’offre du restaurant, y compris en partant de ses fournisseurs, de son approvisionnement, jusqu’à ce qu’il propose dans son restaurant en termes de concepts, en termes de menus, de cartes, d’éléments de communication, d’objets dans le restaurant, de décorations, de plats, de tout, d’équipements, d’électroménager, de manière de communiquer, d’échanger avec les clients avant, pendant, après.

Ce n’est pas parce que le site a été bien fait et qu’il a peu d’impact que tout le reste a peu d’impact aussi. Pareil, par exemple, dans le domaine de l’hôtellerie, ce n’est pas parce qu’on vous propose gentiment de ne pas laver vos serviettes ou vos draps d’une nuit à l’autre que l’ensemble de l’offre de l’hôtel est aussi écoconçu et vertueux.

Le site d’un hôtel est un bon exemple pour introduire aux services, car ce n’est pas parce qu’il a été écoconçu que le reste des services le sont aussi.

Quand j’arrive moi dans un hôtel et que je vois ma petite pancarte qui me dit que je ne suis pas obligée de mettre mes serviettes à laver, mais que par contre, quand j’arrive, toutes les lumières sont allumées pour me souhaiter la bienvenue, ça me pose un peu de problèmes. En tout cas, ça me pose question sur la vision que cet hôtel peut avoir de la notion d’environnement et d’impact écologique. Et c’est vrai dans plein de cas.

Donc, il y a déjà une première action qui va être de sensibiliser à ça, de faire comprendre ça, que le service ne s’arrête pas à un objet ou que le service ne s’arrête pas à une application ou à un service Internet, même si c’est déjà une fois de plus très bien de le faire.

Après, il y a différents éléments, pour moi, qu’il faut mettre en avant. Il y a l’évolution très claire de la sensibilité et de la maturité des collaborateurs face à ces questions-là. Je pense que c’est un vrai questionnement que les entreprises doivent avoir dès maintenant. On voit qu’il y a beaucoup, beaucoup de salariés qui démissionnent, qui s’en vont, qui sont en quête de sens, en quête d’un alignement avec leurs propres valeurs.

Je pense que l’écoconception est un vrai questionnement que les entreprises vont devoir avoir à présent. Beaucoup de salariés sont en quête de sens aujourd’hui, en quête d’un alignement avec leurs propres valeurs.

Si les entreprises ne sont pas en capacité d’offrir un terrain de jeu sur ces aspects-là à leurs salariés, il va y avoir un problème de ce point de vue-là, de départ de salariés et de difficultés à recruter.

Un autre élément, bien évidemment, au-delà des collaborateurs, c’est les clients et les utilisateurs finaux de ces entreprises. Parce que là aussi, on voit que la sensibilité est en train d’évoluer, que la maturité est en train d’évoluer et que les choix des gens en termes de consommation, mais même en tant que citoyens, sont en train d’évoluer aussi. Bien sûr, ça ne va pas se faire du jour au lendemain. C’est quelque chose de très long qui est en train de s’installer. C’est un changement profond qui est en train de s’installer.

Et de la même manière que pour les collaborateurs, les entreprises ont un vrai risque à ne pas se positionner assez tôt sur des offres de services écoconçues, puisque potentiellement, leurs clients vont être de plus en plus regardants sur ces aspects-là et vont aller chercher à la concurrence d’autres qui auront été en capacité de le faire et d’offrir des choses plus vertueuses, encore une fois.

Il y a plein d’autres éléments comme ça. Je pense aussi à la partie réglementaire, on en avait parlé. Aujourd’hui, c’est peu encadré, les impacts environnementaux des services, alors qu’on connaît énormément de normes, d’éléments assez factuels sur la partie produit.

Si sur la partie numérique c’est en cours avec le RGESN, peu de chose sont encore légiférées pour les services purs, malgré les normes existantes.

Sur la partie numérique, c’est en cours. Il y a le référentiel général d’écoconception numérique, déjà qui existe et qui est juste une bible absolue pour l’écoconception numérique et qui est présente déjà un premier marqueur qui pourrait tendre vers une réglementation sur le numérique écoresponsable. Il y a déjà des éléments qui sont légaux, j’allais dire, sur l’aspect accessibilité et on tend vers aussi des éléments sur la partie environnementale des sites web. On a plein de marqueurs comme ça, plein d’éléments qui nous montrent qu’on tend aussi vers une réglementation de plus en plus forte sur les aspects environnementaux.

Il y a aussi une anticipation à avoir de la part des entreprises. Quitte à reconcevoir son site ou à concevoir un nouveau site, quitte à reconcevoir une offre de services ou à concevoir une nouvelle offre de services. On est en 2023, faisons-le dès maintenant. N’attendons pas 2024, 2025 ou 2030 pour se dire « Zut, j’y ai passé du temps, de l’énergie, des ressources, de l’argent. Je suis obligée de recommencer parce qu’en fait mes clients ne veulent pas de mon offre, mes salariés s’en vont. Je n’arrive pas à recruter. Et en plus, il y a des normes, des lois qui sont en train d’arriver et qui vont m’obliger à revoir tout ça. »

Dans le livre, j’ai imaginé une grille de maturité sur la partie environnementale. En tant que designer, nous allons aussi avoir ce rôle pédagogique là. 

Après, on fait face à des niveaux de maturité assez variés quand on rencontre des entreprises sur ces sujets-là. Mais peu importe le niveau de maturité, il faut réussir à cranter sur ces éléments-là. Et dans le livre, j’ai aussi réfléchi à une matrice de maturité des entreprises face à ça. Parce qu’en design, on connaît très bien la matrice de maturité face au design qui nous amène d’une entreprise qui ne connaît absolument pas le design, qui ne met pas en œuvre, à celle qui va utiliser le design comme un élément d’esthétique, voilà, pas plus, jusqu’à tout au bout de la grille de maturité, une entreprise qui intègre le design complètement dans sa stratégie, au quotidien, dans ses pratiques, etc.

J’ai imaginé dans le livre aussi une grille de maturité qui nous amène de la même manière à réfléchir à ces éléments sur la partie environnementale. En tant que designer, c’était déjà compliqué de faire monter les entreprises en maturité sur le design comme une stratégie vraiment clé. On va avoir aussi ce rôle- là de faire monter sur ces deux grilles de maturité en même temps, et le design comme une stratégie, et l’environnement comme une stratégie là aussi.

Alizée : Est-ce que tu te retrouves parfois face à des personnes vraiment réfractaires pour cette partie écoconception ?

Florie : Oui, il y a deux choses. Des réfractaires purs, je n’en ai pas ou très peu, tout simplement, parce qu’effectivement, je ne travaille pas avec. C’est un choix. Je me souviens encore de mes cours de conduite du changement. Ça commence à dater, mais mes cours de conduite du changement, quand je faisais mes études, on nous expliquait qu’en conduite du changement, les réfractaires absolus, on les laisse de côté et on va plutôt s’intéresser à faire progresser ceux qui sont déjà pour et puis à faire basculer ceux qui sont un peu entre les deux.

C’est exactement la même chose pour moi dans ce cadre-là. Je pense qu’il ne faut pas forcément forcer absolument les réfractaires à y aller parce que c’est quasi impossible et que c’est vraiment beaucoup d’énergie et de temps passés pour des résultats qui vont être assez moindres avec des retours potentiellement importants. Je préfère effectivement me concentrer sur ceux qui ont déjà cette sensibilité ou qui s’interrogent et qui ont besoin d’aide, justement pour passer le cap.

Peu importe le niveau de maturité des entreprises, il faut réussir à ne serait-ce qu’amener le sujet sur la table, à l’embarquer un peu dans notre process. Rien ne nous empêche de le faire.

Sur les stratégies à avoir face à ça, je pense aussi qu’il est de notre responsabilité en tant que designer de le faire quand même. C’est-à-dire que même sur un projet où on ne nous demande pas spécialement de faire de l’écoconception et de réduire les impacts, pour notre propre conscience, notre propre bien-être et notre responsabilité vis-à-vis des générations futures, tout simplement, enfin, des générations actuelles et futures, eh bien, rien ne nous empêche de le faire, de faire en sorte que ce qu’on conçoit ait le moins d’impact possible.

Alors peut-être qu’on y passera un petit peu moins de temps et parce que ce ne sera pas du tout dans le cahier des charges et donc pas dans le timing du projet et dans le budget, mais il y a tout un tas de petites choses qu’on peut déjà mettre en place dans nos pratiques, dans notre manière de concevoir ou reconcevoir pour minimiser ces impacts. Rien ne nous empêche de le faire, même avec des clients qui ne nous ne leur aient pas demandé ou qui nous diront « Mouais, bof. » Il y a plein de petites choses à mettre en œuvre sans souci.

Alizée : Ok !

Justine : Dans ton métier, tes différentes expériences, qu’est-ce que tu trouves le plus difficile au quotidien ?

Florie : C’est une bonne question…

Alizée : Mis à part les réfractaires (rires).

Florie : Mis à part les réfractaires, mais comme je le disais, je ne m’en occupe pas trop, c’est finalement pas trop un souci au quotidien (rires).

Ce que je trouve difficile et en même temps intéressant, et on a commencé un petit peu à en parler tout à l’heure, mais c’est la prise de conscience des industriels. Parce que les industriels, souvent, face à ces questions-là, disent « Mais nous, on fait du produit. Tu es gentille avec ton service, mais nous, on est des industriels. On fait du produit. » Alors qu’en creusant bien, ils font du service. Ils font souvent beaucoup de service. C’est toujours un peu plus compliqué d’aller sur ces sujets-là avec eux.

Et en même temps, on en avait discuté aussi, mais j’ai fait par exemple une formation l’année dernière auprès d’un certain nombre d’acteurs en inter-entreprises sur les grands principes de l’écoconception de services, justement. Et j’avais parmi les participants des personnes du tertiaire, pas mal, et puis en particulier deux personnes de chez un Industriel qui fait des chaises de bureau et qui s’étaient inscrits à cette formation. Je pense que c’était dans le cadre d’un package complet avec d’autres éléments plutôt sur l’écoconception produit.

Ce qui est compliqué encore aujourd’hui, c’est de faire comprendre aux gens qu’ils font bien souvent des services avec leurs produits. C’est la première étape, avant même de parler d’écoconception.

Dans ce package, on proposait une ouverture, justement, à ce qu’était l’écoconception de services pour aller plus loin. Et donc, au début de la formation, je fais un premier tour de table en demandant en gros pourquoi vous êtes là et qu’est-ce qui vous intéresse ? Et ces deux personnes me répondent « Honnêtement, on est là parce qu’il y avait de la lumière. On est là parce que c’est dans le package, mais on n’attend rien de l’écoconception de services. » Bon, ça commence bien.

Et finalement, à la fin de la formation qui a duré deux heures et demie, je refais un tour de table, du coup, pour un petit peu avoir l’appréciation des participants, ce qu’ils ont retenu, leurs questions, etc. Et ces deux personnes me disent « Florie, mais en fait, on fait des services. Parce que nos chaises de bureau, on fait de la maintenance. Et puis on les livre. Et puis en plus, on commence à réfléchir à les louer. Et en fait, tout ça, c’est des services. » Et donc c’était très drôle de voir comment il y avait eu ce déclic-là en entendant le discours sur les principes…

Alizée : Une vraie prise de conscience !

Florie : Exactement ! Et du coup, j’ai trouvé ça super intéressant. Et donc tout d’un coup, il y a eu la lumière qui est apparue en se disant « Oui, c’est bien, on est en train de travailler sur l’écoconception de nos produits, mais ça ne va pas être suffisant et il va vraiment falloir regarder du côté des services. »

Je crois beaucoup au fait que c’est cette prise de conscience, accompagnée d’exemples concrets qui va permettre aux entreprises de se dire “moi aussi, je peux – et je dois – écoconcevoir mes services”. 

Donc voilà, c’est la partie, je pense, une des choses les plus difficiles sur l’écoconception de services. Et en même temps, on y arrive. On y arrive, mais surtout par des exemples, par le partage de projets, de cas d’école sur différents secteurs, différents sujets. Plus on aura d’expériences d’alimentation, de l’écoconception de services sur différents secteurs, différents sujets, plus on aura ces déclics-là d’acteurs industriels, tertiaires, peu importe, qui vont se dire « Mais oui, si telle entreprise l’a fait et a réussi et a moins d’impact et en plus, a des clients et en plus, ça marche, moi aussi, je peux le faire. » voire « Moi aussi, je dois le faire. »

Alizée : Justement, par rapport à cette sensibilité-là, aujourd’hui, tu animes la fresque du climat et tout récemment, une nouvelle fresque, la fresque des frontières planétaires. Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus à ce sujet ?

Florie : Oui, avec plaisir. Je suis très contente même de vous en parler. Effectivement, on connaît très bien la fresque du climat depuis quelques années et d’autres fresques petites sœurs, je dirais, de la fresque du climat, donc biodiversité, numérique, mais entre autres, puisqu’il y en a beaucoup, beaucoup, beaucoup.

Et donc effectivement, cette année, Arthur de Lassus a créé la fresque des frontières planétaires. Arthur, il a un profil et un parcours super intéressant aussi, puisqu’il est ingénieur à la base. Et puis maintenant, il est maraîcher et il s’intéresse à toutes ces questions-là depuis longtemps et il a eu ce sentiment, comme beaucoup d’entre nous, que toutes ces fresques-là étaient hyper intéressantes et hyper importantes, justement, pour la diffusion des messages clés sur ces enjeux et donc le passage à l’action d’un maximum de personnes, mais que finalement, on les regardait de manière assez silotée.

Si c’est toujours bien de commencer par la fresque du climat, la fresque des frontières planétaires créée par Arthur de Lassus permet d’avoir une vision encore plus macro des différentes dimensions et enjeux environnementaux.

Le climat d’un côté, la biodiversité de l’autre, les océans de l’autre, etc. Alors que tout ça est très fortement interrelié. Donc, il a eu l’idée de créer cette fresque des frontières planétaires pour justement remonter d’un niveau quelque part, comprendre l’ensemble des frontières planétaires qui sont donc les processus naturels qui permettent l’habitabilité de la Terre.

Et il a imaginé sous le même format que les autres fresques, un atelier avec un jeu de cartes qui permet de comprendre déjà, de découvrir pour ceux qui ne les connaissent pas et de comprendre ce que sont ces frontières planétaires, dont le climat, la biodiversité, l’ozone, etc, la pollution chimique, etc, et de comprendre leurs interrelations, de comprendre leurs causes communes ou non, leurs conséquences communes ou non, comment les conséquences de l’une peuvent atteindre les autres.

Avec la fresque des frontières planétaires, on entre encore plus dans une perspective systémique qui nous fait comprendre que notre vision est encore très silotée.

Et là, on rentre encore plus dans une perspective systémique, puisqu’on est vraiment aussi au niveau très macro, et on comprend que si on adresse le sujet climat et qu’on essaye d’y répondre, c’est très bien, mais si on le fait sans regarder les conséquences que ça peut avoir, par exemple, sur la biodiversité, ça peut être, par contre, à l’encontre de la biodiversité et inversement.

Donc c’est vraiment très important, une fois qu’on a compris et qu’on est en action de manière un peu silotée sur ces sujets-là, sur ces enjeux-là, de comprendre ensuite comment ils interagissent, pour éviter justement d’avoir des actions, des engagements qui finalement vont venir peut- être régler une partie du problème, mais l’accentuer de l’autre côté.

Alizée : Il faut quand même plutôt partir de la fresque du climat, de la biodiversité puis faire ensuite la fresque des frontières planétaires, pour comprendre comment le puzzle s’assemble ?

Florie : Oui, exactement. Tu as raison. En tout cas, moi, c’est le conseil que je donnerai. Il n’y a pas d’obligation, mais c’est le conseil que je donnerai parce qu’on arrive comme ça à la fresque des frontières planétaires avec déjà une bonne compréhension de chacun de ses « silos », entre guillemets, ce qui permet d’être plus à l’aise aussi dans les discussions sur les frontières planétaires et leurs interrelations.

N’hésitez pas à vous renseigner et à pratiquer la fresque du climat et leurs cousines, c’est un excellent exercice de pédagogie, à faire en entreprise notamment.

Sinon, c’est un peu plus compliqué d’avoir déjà ce niveau de pensée systémique-là dès le premier coup. C’est un petit peu compliqué, mais en tout cas, elle est vraiment importante pour comprendre, comme tu le dis très bien, l’ensemble du puzzle. J’invite tout le monde à aller sur le site de la fresque des frontières planétaires et à regarder un petit peu plus en détail et à vous inscrire. Il y a des fresques en physique, il y a des fresques à distance. On sera content de pouvoir vous en dire plus (rire).

Alizée : C’est noté (rires).

Justine : Merci beaucoup, Florie, d’avoir partagé ce moment avec nous !

Avant de te laisser, on aimerait te poser notre traditionnelle question ! Dans le monde qui t’entoure, personnellement ou professionnellement, on aimerait bien savoir ce qui a pu te bluffer ou te marquer dernièrement ?

Florie : Ça va être très « frais » parce que ça date d’il y a seulement quelques jours,  j’ai participé au sommet Change Now 2023 à Paris, fin mai de cette année 2023. En conférence d’ouverture, l’invité était Matthieu Ricard. Matthieu Ricard que j’aime beaucoup, dont j’ai lu pas mal d’ouvrages, qui, pour moi, est sage et inspirant.

C’était très intéressant de commencer cet événement par sa venue et par le partage de son regard. C’était à la fois très inquiétant, parce qu’il est très conscient et il partage très bien les enjeux d’aujourd’hui, et en même temps, très doux, j’allais dire, de l’écouter, parce qu’il est venu nous parler de bienveillance, d’altruisme, d’empathie, des sujets qui nous touchent beaucoup quand on est designer, justement, parce qu’on est fondamentalement centré sur l’humain.

La dernière chose qui m’a bluffé, c’est la conférence qu’a donné Matthieu Ricard au sommet Change Now 2023. C’était à la fois très inquiétant, parce qu’il est très conscient des enjeux d’aujourd’hui, mais aussi très doux.

Et il est venu nous parler de compassion et de la manière dont on se devait de regarder le monde avec ces yeux- là, pour pouvoir adresser les enjeux d’aujourd’hui correctement, pour justement englober aussi des questions d’équité, de justice sociale, etc. C’était vraiment hyper inspirant et j’étais très heureuse surtout de pouvoir le voir en vrai.

Je trouvais que c’était très chouette de pouvoir démarrer ces trois jours d’événement par ce regard-là, plein de sagesse et plein de douceur. Notre monde en a besoin.

Alizée : Tout à fait, c’est intéressant. J’espère qu’il y aura un replay, que l’on puisse aussi voir ça, parce que ça donne envie.

Merci beaucoup, Florie, pour le temps que tu nous as consacré aujourd’hui. Ça a été un vrai plaisir d’échanger avec toi sur ce sujet qui nous touche.

Florie : Merci à vous.

Alizée : On espère te retrouver en Bretagne, à Rennes, lors d’un de tes prochains passages pour en discuter et pourquoi pas réaliser cette fameuse fresque des frontières planétaires, alors merci beaucoup en tout cas !

Florie : Merci à vous, c’était super et à très très bientôt.

Alizée : À très bientôt, merci.

Justine : Merci.

Il ne nous reste plus qu’à vous remercier d’être toujours plus nombreux à suivre notre podcast. Nous espérons que cet épisode vous a plu, en attendant le prochain, n’hésitez pas à écouter ou réécouter les épisodes précédents et à vous abonner à la newsletter du podcast pour retrouver l’ensemble des ressources de nos épisodes, les tips et conseils de nos invités. C’est sur le site salutlesdesigners.lunaweb.fr que ça se passe.

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Sur ce, on vous dit à bientôt pour de nouveaux épisodes de Salut les designers !