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SLD #5 - L'interview de Marie Guillaumet

SLD #5 - Marie Guillaumet, consultante en accessibilité numérique @Access42

Pour ce nouvel épisode de notre podcast Salut les Designers ! nous discutons avec la passionnante Marie Guillaumet, consultante en accessibilité numérique chez Access42.

Publié le 07 novembre 2018

SLD-Marie-Guillaumet
Marie Guillaumet et Sylvie Duchateau, respectivement consultante et experte en accessibilité numérique chez Access42, pendant l'UX Deiz #7 d'UX Rennes en novembre 2017.

Bonjour à tous et à toutes !

Réalisé en novembre 2017 au moment de l’UX Deiz #7 sur le Design inclusif, explorons ensemble ce sujet très lié à l’UX et pourtant encore très souvent mis de côté : l’accessibilité. L’occasion pour nous de vous rappeler qu’une transcription complète de chaque épisode est disponible dans nos articles, sous le lecteur audio.

Alors bonne écoute et bonne lecture à tous et à toutes !

Guillaume Genest : Bonjour à tous et bonjour à toutes et bienvenue dans ce nouvel épisode de Salut Les Designers !, le podcast design de l’agence LunaWeb. Aujourd’hui nous sommes en compagnie de Damien, salut Damien !

Damien Legendre : Salut !

Guillaume : Et de Marie, notre interviewée pour ce podcast sur le thème notamment, de l’accessibilité. Et tout simplement la première question c’est, est-ce que tu peux te présenter Marie, bonjour !

Marie Guillaumet : Bonjour ! Moi c’est Marie, je suis consultante en accessibilité numérique pour Access42, qui est une société coopérative spécialisée en accessibilité numérique, basée à Paris. Et moi je travaille depuis Rennes, en télétravail et je me rends régulièrement à Paris pour le boulot. Avant ça, j’ai travaillé environ huit ans en tant qu’intégratrice et web designer dans différentes agences.

Damien : OK merci. Donc c’était Guillaume qui vous parlait tout à l’heure, vous avez reconnu sa jolie voix. Marie est ce que tu peux nous dire ce qui t’a amené à devenir aujourd’hui justement, consultante en accessibilité ?

Marie : Alors c’est Access42 qui m’a contacté au printemps dernier, parce qu’ils ont appris que je cherchais du boulot et ils connaissaient bien mon blog. Quand j’ai appris, enfin ils m’ont dit qu’ils citaient un de mes articles dans une de leurs formations, ça m’a vachement impressionné, parce que pour moi Access42 c’est un peu une des références en France en matière d’accessibilité. C’est eux qui ont contribué à rédiger le référentiel général d’accessibilité pour les administrations, c’est à dire le RGAA, c’est-à-dire le RGAA pour le transcript. C’est le texte légal en France en matière d’accessibilité, voilà.

Guillaume : La thématique de l’accessibilité en particulier, enfin c’est quelque chose que tu avais à cœur depuis longtemps, que tu mettais peut-être déjà un petit peu en œuvre dans tes précédents jobs ?

Marie : Ouais tout à fait. C’est vrai que j’y ai pas mal réfléchi, parce que quand on propose un poste comme ça, qui est très spécialisé, tu te poses toujours un petit peu la question. Est-ce que j’essaie de rester dans un truc plus général, ou est-ce que je vais à fond dans cette spécialisation ? Et en fait je crois que me spécialiser en accessibilité c’est un peu la suite logique de ce que j’avais fait jusqu’à présent. Déjà pendant mes études j’ai eu l’occasion de faire un peu de recherche en matière d’accessibilité, que ce soit à Sciences Po ou au Celsa. J’ai fait des études d’anthropologie on va dire globalement, et j’ai eu l’occasion de faire de la recherche notamment sur l’accessibilité du bâti, mais aussi sur l’accessibilité numérique donc voilà, c’était logique quoi. C’est un sujet qui m’intéresse depuis longtemps.

Guillaume : Quand tu dis l’accessibilité du bâti, c’est-à-dire ?

Marie : L’accessibilité des bâtiments, de la voirie, enfin tu vois. L’accessibilité urbaine en fait tout simplement. Parce que quand j’étais à Science Po, c’était à Grenoble et à l’époque c’était une des villes en France qui était la plus accessible, donc j’ai eu l’occasion de travailler avec un architecte qui était spécialisé là-dedans, de m’entretenir avec des gens à la mairie de Grenoble et surtout avec une association d’usagers sur place. Et ça m’a vraiment sensibilisé au sujet, parce que moi je connaissais vraiment rien. Et puis après quand j’ai commencé à bosser dans le web, l’accessibilité c’était quelque chose de très important pour moi, mais c’est vrai qu’au fil des années, je me suis vite rendu compte des limites de ta bonne volonté en tant que personne qui prend ce sujet à cœur. J’avais des collègues intégrateurs pour qui c’était également très important mais certains de nos managers et de nos clients ne prenaient clairement pas leurs responsabilités là dessus. Donc au bout d’un moment, t’es limité dans ce que tu peux faire, donc il y avait un peu une frustration suite à ça. Donc maintenant je suis vraiment contente de me spécialiser dans ce domaine-là et sincèrement j’ai l’impression d’être plus utile à la société qu’avant. Qui est un truc important quand même quand ça fait dix ans que tu bosses.

Damien : Et puis dans le cadre de son boulot quotidien c’est chouette de pouvoir ressentir ça. Donc tu le sais à peu près, nous on est plus branché UX qu’accessibilité, c’est pas forcément par choix c’est plus parce que forcément nos trajets nous ont plus portés vers ça. C’est quoi la relation que tu peux faire toi aujourd’hui entre l’UX d’une part et l’accessibilité d’autre part ?

Marie : Alors, je ne ferais pas de distinction aussi nette. Pour moi, l’accessibilité ça fait partie d’une démarche UX tout simplement, je ne vois pas vraiment ça comme un truc vraiment à part. C’est sûr qu’il y a des spécialisations, mais il y a plein de critères d’accessibilité qui sont relativement faciles à prendre en compte, enfin une fois que tu les sais, tu les mets en œuvre naturellement. Tu vois, quand tu es webdesigner, à un moment tu as appris à faire du responsive, c’était peut-être pas spontané tu vois. Il y a dix ans on n’en parlait pas autant et t’as appris à le faire, à réfléchir pour le mobile et tout, ben pour moi l’accessibilité c’est un peu pareil, c’est une corde importante que tu vas rajouter à ton arc. Pour moi le lien entre UX et accessibilité c’est avant tout de remettre les utilisateurs au cœur de la conception, c’est-à-dire d’adapter notre travail aux besoins des utilisateurs et pas l’inverse. C’est pas aux utilisateurs de s’adapter à ce qu’on fait, c’est pas à eux d’apprendre à se servir de nos interfaces. S’ils doivent apprendre et cogiter pendant des plombes, c’est qu’on a pas bien fait notre boulot. Voilà ce que je dirais.

Damien : Et du coup pour prolonger un peu cette idée-là, t’en as parlé récemment à UX Rennes, mais on peut en reparler maintenant. Qu’est-ce que tu conseillerais à des designers comme nous, donc qui sont plus sur l’UX classique et qui ne prennent pas forcément en compte tous les types de handicaps, parce que l’on n’a pas trop l’habitude de bien le faire. Quels conseils tu nous donnerais pour bien entrer dans cette démarche-là, pour y rentrer facilement, simplement, sans se casser les dents et que ça nous donne envie de continuer à aller dans cette voie-là ?

Marie : Alors, il n’y a malheureusement pas de baguette magique qui va faire que, du jour au lendemain, tu vas concevoir de manière accessible. J’aimerais bien que ça marche comme ça, mais c’est pas le cas. Il faut potasser un peu le sujet malgré tout. Déjà, je pense que ce qui est plus important c’est comprendre pourquoi tu as besoin de l’accessibilité et de rendre tes interfaces accessibles. Pour qui tu le fais. Et c’est vrai que s’intéresser aux besoins utilisateurs par exemple, je pense que c’est le truc le plus important. Simplement, pour se familiariser avec justement les types de handicaps, par exemple on parle souvent des personnes aveugles qui utilisent le web et c’est vrai que pour elles l’accessibilité c’est juste fondamentale,  mais il y a d’autres types de handicaps tu vois, par exemple les personnes sourdes qui ont besoin des sous-titres. Il y a aussi les personnes qui ont des handicaps moteurs, pour qui par exemple tabuler ou utiliser un clavier peut être compliqué. Ou à contrario, qui vont avoir du mal à utiliser ce qu’on appelle un pointeur, c’est-à-dire une souris.

Puis il y a aussi tout l’ensemble des handicaps mentaux et cognitifs. Je pense par exemple aux troubles DYS. Moi c’est un sujet qui m’intéresse particulièrement, donc bref il y a vraiment une variété d’utilisateurs importante et ça vaut le coup de se pencher là dessus, de lire des interviews de personnes handicapées, de comprendre avec quelle technologie d’assistance ils utilisent le web.

Ensuite, il y a plein de ressources qui ont été publiées par l’État, pour justement aider, non seulement les développeurs, mais aussi les concepteurs, à rendre les interfaces accessibles. Par exemple, cet été il y a eu un guide  » spécial concepteurs  » qui a été publié. Alors je donne l’adresse, c’est un raccourci. De mémoire : http://a42.fr/design-accessible. Donc ça, ça mène directement à la fameuse ressource « Le guide concepteurs ». Et c’est en fait divisé en trois grands chapitres. T’as d’une part la conception fonctionnelle, d’autre part la conception graphique et en dernier la conception multimédia. Et pour chacun de ces types de conceptions, t’as on va dire, des thématiques. Par exemple la thématique des images : comment rendre tes images accessibles. Par exemple, tu veux insérer une infographie qui contient plein de texte dans un billet blog, comment tu rends ça accessible, parce qu’il est évident qu’une personne déficiente visuelle ne pourra pas y accéder, si tu ne penses pas à mettre d’alternatives. Enfin voilà, ce genre de choses. C’est relativement concis. Il y a pas mal d’exemples, et à chaque fois, évidemment, il y a un renvoi vers les critères du RGAA qui est vraiment lié à WCAG, c’est-à-dire, le référentiel d’accessibilité on va dire mondial du W3C (The World Wide Web Consortium ).

Guillaume : Je pense que ce qui est important, en plus de savoir ou de se rendre compte, c’est que les personnes en situation de handicap sont beaucoup plus nombreuses qu’on peut le croire, ou qu’on veut bien le vouloir.

Ne serait-ce que sur des choses comme les gens qui sont daltoniens par exemple, qui est assez commun, assez répandu. Pour l’anecdote d’ailleurs, dans notre équipe, on a quelqu’un qui est daltonien, qui est chef de projet. On s’en est rendu compte « très tard » entre guillemets, parce qu’évidemment c’est pas quelque chose que la personne va crier sur tous les toits. Mais comme c’est un chef de projet, dans son rôle de chef de projet, à un moment donné on s’est rendu compte qu’il y avait des choses qui étaient difficiles pour cette personne de comprendre en terme d’interface. Et c’est vrai qu’il y a comme ça des petites mini-révélations dans ton quotidien où tu te dis « Mince en fait, ben j’ai un collègue, typiquement, qui est dans cette situation où là le site que je suis en train de faire n’est pas accessible pour lui ».

Donc on a tendance à se dire que peut-être, contredis-moi si je me trompe mais, il y a un espèce de truc un petit peu à la marge, alors certes, peut-être que ça l’est mais en même temps ça ne l’est pas tant que ça, en termes quand même de volume de personnes à même de consulter Internet.

Marie : Ouais alors c’est vrai que puisque tu parles des chiffres, c’est vrai que c’est un argument, je pense, quand tu veux convaincre quelqu’un, qui pourrait te dire c’est un truc qu’on entend souvent, genre : « Non mais nous, notre cible c’est pas les handicapés, on s’en fout ! ». C’est des trucs très violents que tu entends, et qui sont devenus presque anodins.

Mais en fait comme je le disais vendredi pendant la conférence, on estime, enfin l’INSEE estime à environs 12 millions, les personnes handicapées en France. Mais si tu inclus en plus les personnes qui ont des incapacités au quotidien, mais qui ne sont pas reconnues officiellement comme handicapées. Et si tu inclus aussi les personnes qui sont en situation de handicap temporaire. Donc par exemple, tu t’es cassé le genou ou le coude, bah ça grimpe vite et ça fait environs 23 millions de personnes. Je sais pas, 23 millions de personnes, sachant qu’on est 66 millions en France, bon bah ça fait pas loin d’un tiers. Donc ça commence à faire pas mal de personnes et puis surtout il y a environ 80% des handicaps qui ne se voient pas.

Alors le truc qui est un peu vicieux, c’est qu’au quotidien tu vois même sur une place de parking et tout, le handicap est toujours signalisé par un picto d’une personne en fauteuil. Et c’est vrai que du coup, mentalement, on a un peu tendance à associer le handicap à ça. Mais dans le contexte de la voirie ou du bâti, c’est totalement pertinent, parce qu’effectivement quand tu es en fauteuil, ça peut être une véritable galère, s’il n’y a pas des rampes d’accès ou des trottoirs qui sont abaissés, etc. Mais sur le web, il y a évidemment beaucoup d’autres handicaps qui entrent en ligne de compte. Et je pense que l’exemple que tu cites avec ton collègue est intéressant, parce qu’effectivement, des fois on ne s’en rend pas compte, en fait. Et comme il y a beaucoup de discriminations à l’égard des personnes handicapées, elles ont tendance à ne pas le dire ou à vouloir le faire reconnaître parce qu’elles ne veulent pas être considérées comme le handicapé de service.

Et c’est vrai que globalement, enfin, l’accessibilité numérique, ça nous renvoie aussi à nos propres biais, je dirais, au quotidien. Moi je trouve que ça interroge sur la notion de citoyenneté en fait. Parce qu’en fait, je me dis « OK, je m’intéresse au handicap dans le cadre de mon boulot, dans le cadre du web », mais je pense qu’il y a des dimensions, je ne perçois même pas quoi, à cette question du handicap. Donc personnellement, c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et ce qui m’aide à mieux faire mon boulot, si tu veux, et à me former, c’est de lire par exemple des interviews de personnes handicapées, enfin, discuter avec elles. J’ai la chance de travailler avec Sylvie Duchateau, qui est aveugle, et c’est sûr qu’au quotidien pour le coup, je la sollicite beaucoup, tu vois, pour tester par exemple, des composants, etc., parce qu’elle maîtrise bien mieux les outils, enfin son lecteur d’écran, que moi, par exemple. Et des fois, même moi en étant formée, il y a des choses à côté desquelles je peux passer, parce que il y a des subtilités, etc. Ou alors, en fonction du code, je me dis « c’est bon ça a l’air accessible » et en fait pas du tout, parce qu’il y a un micro détail qui manquait dans une balise.

Damien : Parce qu’elle l’utilise très au quotidien, elle.

Marie : Voilà c’est ça, et en plus elle a des habitudes de navigation qui sont très différentes de celles qu’on peut avoir vous et moi, par exemple. Une utilisatrice aveugle qui utilise, qui connaît bien son lecteur d’écran, va utiliser beaucoup de raccourcis. Par exemple, pour naviguer dans une page web, pas de manière linéaire comme nous en scrollant, mais par exemple de lien en lien. Ou alors de titre en titre. Donc, si jamais ta page n’est pas bien balisée, par exemple si tu n’as pas utilisé des listes là où il fallait, ou si tu n’utilises pas de titre, enfin tu as des choses comme ça, pour elle ça peut être une véritable galère de se représenter intellectuellement la structure de la page. Enfin c’est vraiment une perception vraiment différente.

Et après, là je te dis idéalement, j’aimerais bien qu’il y ait plus de retours utilisateurs on va dire, d’autres handicaps. Tout à l’heure je parlais des troubles DYS, ça m’intéresserait d’avoir plus de retours utilisateurs, des conférences ou des articles, je sais pas, de personnes concernées par les handicaps cognitifs de ce type-là. Parce qu’il y en a énormément, c’est beaucoup moins documenté et pour le coup il n’y avait pas vraiment de technologie d’assistance qui existe pour pallier à tout ça, parce que ça diffère trop d’une personne à l’autre.

Guillaume : Si je ne me trompe pas, il me semble qu’à Blend (NDLR : Blend Web Mix) cette année, il y avait une conférence d’une personne autiste, ou en tout cas parlant de cette catégorie de personnes et travaillant dans le web. Donc oui, on peut retrouver ses vidéos sur le site de la conférence, donc des choses comme ça effectivement, des personnes à s’exprimer je pense qu’elles sont encore assez rares, mais elles existent, donc il ne faut pas hésiter.

Marie : Ouais c’était la conférence de Sylvain Brillant. Je crois que ça s’appelait « Le handicap invisible ». Et c’est marrant que t’en parles parce que, j’ai écrit là-dessus ce matin dans mon compte-rendu de Blend. Et c’était vraiment intéressant. Et justement, c’était un autre point de vue, qu’on entend moins. Tu vois par exemple, Sylvie elle a déjà donné beaucoup de conférences et pour peu que tu aies un pied dans le microcosme Paris Web tout ça, t’as des chances de l’avoir déjà entendue parler, ou l’avoir déjà vue faire des démos, mais c’est vrai qu’on a besoin de plus de diversité je pense, des orateurs et des oratrices qui interviennent sur scène.

Mais c’est difficile en fait, pour les personnes handicapées parce qu’elles ont l’habitude d’être invisibilisées de toute façon. Et quand elles ont des handicaps lourds, par exemple des polyhandicaps, c’est-à-dire différents handicaps. Par exemple, tu imagines bien qu’une personne qui a un handicap moteur lourd, par exemple au niveau du haut de son corps, on imagine bien que monter sur scène, être sur scène, ça peut être vachement difficile. Car déjà pour toi ou moi c’est déjà une épreuve de monter sur scène, alors imagine si en plus tu as ça quoi, il y a ce manque de représentation qui fait que ça paraît extraordinaire et ça devrait pas l’être. Et un autre sujet je pense, c’est aussi la diversité des équipes de conception en fait. J’avais cité Mike Monteiro vendredi, et dans son petit livre rouge « Design Ethics », il dit « Si vous voulez savoir comment les femmes utilisent votre produit, embauchez des femmes dans votre équipe ». Le design accessible pour moi c’est pareil, quoi. Idéalement, il faudrait des équipes de conception plus diversifiées à ce niveau-là aussi.

Guillaume : Alors justement, dans ta journée de travail, dans ton quotidien. C’est quoi, un petit peu, tes zones d’intervention ? À quel moment tu interviens sur les projets ? Quels sont les expertises que tu mets en œuvre ? Et c’est quoi tout simplement, les typologies de projets que tu peux avoir chez Access42 ?

Marie : Comme je suis consultante, je fais plein de choses. Il y a une partie de mon travail, c’est de faire de l’audit. C’est-à-dire, estimer le niveau d’accessibilité d’un site web par exemple. Ou le niveau d’accessibilité de maquettes graphiques, avant même que le développement commence, j’interviens pour dire « Regardez les maquettes », tu vois, checker les niveaux de contraste, enfin voilà, ce genre de choses. Donc ça prend un certain temps. J’ai pas 15 ans d’expérience, comme certains de mes collègues, et des fois ils font ça en un jour et demi. Moi j’ai besoin d’un peu plus de temps. Et après il y a la rédaction du rapport, et après il y a encore un temps de restitution, auprès des clients et de leurs équipes. Donc ça, on va dire, c’est une partie de mon travail.

Je suis en train aussi de préparer une formation design accessible. D’ailleurs je donne la première fin novembre, je suis ultra stressée. Donc ça je pense que ça va être très intéressant aussi, de commencer à donner des formations. C’est un truc que j’ai jamais fait et j’en attends beaucoup, parce que je pense que je vais autant apprendre que les gens qui seront là. Donc je me doute qu’au début, ce sera pas parfait mais, à mon avis, c’est vraiment un truc pour m’améliorer de manière continue. Ça va être super intéressant.

Sinon je fais beaucoup de veille, justement pour me former mais aussi pour partager. Je commence à écrire des articles de blog sur le sujet du design accessible. Et je donne des conférences, donc ça aussi ça prend un certain temps à préparer, mine de rien. Voilà en gros. Ah oui, et puis l’autre aspect, c’est que je suis aussi la designer d’Access42, c’est-à-dire que, en interne, je m’occupe de tous nos supports de communication, nos sites web, etc. Par contre, nous on ne produit pas de design, de code pour nos clients. On est vraiment plus en mode accompagnement, audit et formation, mais on ne crée pas des sites à part les nôtres.

Guillaume : Comment on fait justement pour avoir un suivi ? Est-ce que vous avez un suivi, par rapport à vos audits et à la manière dont ça va être transformé après pour être plus accessible ou pas forcément ? Est-ce qu’on vous sollicite pour faire une sorte de second audit, après avoir mis en œuvre les recommandations ?

Marie : Alors, à priori oui en général, ça fait partie de nos prestations. Après, il y a différents types d’audits, tu vois. Il y a des audits vraiment de certification d’accessibilité. Parce que les sites publics de l’État ont l’obligation légale depuis 2005 d’être accessible. Donc ça, quand justement il y a un organisme public qui veut, si tu veux, officialiser son accessibilité, parce qu’ils y sont obligés par la loi, là c’est un audit vraiment très approfondi, quoi. Où il y a plusieurs phases d’aller-retour et tout. Mais après on fait aussi des audits, on va dire, d’accompagnement. Donc ils sont plus en amont, même pour des clients privés, et dans ce cas là, oui il y a au moins une deuxième repasse pour vérifier ce qui a été fait. Donc en général cela concerne plutôt le travail des développeurs. Sachant que, comme je disais tout à l’heure, il y a des audits de maquettes graphiques qui eux, interviennent bien plus en amont et qui à mon avis son assez nécessaires. Parce que si tu n’y a pas pensé ou tu n’as pas fait gaffe sur tes livrables, et que imagines, tu confies tes maquettes à des presta et qu’ensuite tes erreurs d’accessibilité, ça va faire boule de neige. Et plus tu attends pour auditer, plus ça va coûter cher. Soit à toi, soit à ton client. Parce qu’en gros, si un jour ton client dit « Tiens est-ce que mon site est accessible ? » et qu’il commande un audit, et qu’on lui dit bah « en fait non vous avez 20 % de conformité » et qu’il faut défaire des briques, ben là ça va vraiment coûter cher de refaire. Donc plus tôt tu prends le problème de l’accessibilité en compte, enfin plus tu prends en compte cette problématique tôt, mieux c’est. Voilà.

Damien : Donc justement, si toi tu voulais nous partager à nous quelque chose, est-ce que tu aurais une seule méthode ou un seul outil vraiment à nous suggérer ?

Marie : Genre si tu veux quoi, commencer à prendre en compte l’access ?

Damien : Ouais, pour travailler, ouais voilà, c’est ça. Pour travailler un peu plus l’accessibilité sur ce qu’on peut faire au quotidien. Soit en tant que designers ou pour nos collègues front-end.

Marie : Alors là je dirais, c’est encore autre chose. Parce que pour le coup, il y a déjà beaucoup de ressources pour ce qui touche l’intégration et le développement, notamment javascript, avec les composants riches.

Pour ce qui est de l’UX et du design, tout à l’heure j’ai parlé du « guide pour les concepteurs », donc je te dirais juste : choisis une thématique, par exemple sur ton prochain projet ou ton projet en cours, je ne sais pas. Imagine t’es en train de concevoir des formulaires, bah voilà. Tu te dis « bah tiens je vais commencer à regarder ce qui se fait niveau accessibilité des formulaires, qu’est ce qu’il faut faire, etc. ». T’auras juste une fiche à lire dans ce guide, et je pense que ça va déjà te donner des trucs concrets à faire. Parce que l’exemple que je donnais vendredi, qui est assez parlant, c’est juste quand un certain format de données qui attendrait dans un champ, par exemple un champ de type date, bah dans l’étiquette du champ, en général le label, tu indiques déjà quel est le format attendu. Tu vois c’est une petite habitude à prendre. Et dans un message d’erreur, tu donnes un exemple de saisie réelle. Ça c’est pour permettre aux personnes justement, qui ont un handicap mental et qui ont vraiment du mal à comprendre ce qu’on attend d’elles, d’être guidées et de corriger leurs erreurs. Tu vois c’est des petites choses comme ça, donc je pense oui, prends le problème par problématique, parce que si tu te dis, mais c’est bien hein, moi aussi j’ai tendance à être tout feu tout flamme. Mais tu risques de te décourager si tu te dis « Bon allez, prochain projet, je veux qu’il soit parfaitement accessible ! » Je veux dire c’est un objectif noble, mais pas très réaliste.

Vaut mieux se dire petit à petit, et essayer de former autour de toi aussi, tu vois. Quand tu apprends un truc, enfin j’imagine que vous chez LunaWeb, vous faites, je sais pas, des petites réunions, ou même au quotidien vous partagez des ressources et tout. Bah juste expliquer pourquoi vous avez fait certains choix, ben tu vois plus tu vas faire, et plus ça va rentrer dans tes habitudes. Mais vraiment oui, le « guide du concepteur », je pense que vraiment pour des UX il n’y a pas mieux, en tout cas pour le moment.

Guillaume : Je pense que c’est important aussi de préciser que du coup, la démarche de design accessible, elle est évidemment pluridisciplinaire. Là nous on est deux designers à te parler, mais derrière évidemment il y a toute la partie intégration, développement front-end, qui va être aussi impactée par ça. Nous en tant que designer et en tant que responsable de l’aspect de l’interface, on a évidemment des éléments à travailler pour le rendre plus accessible en termes de contraste, etc — Tu partageais un petit outil vendredi sur justement, la mesure de ce contraste-là — pour obtenir un certain critère accessible. Mais évidemment quand on est non-voyant, bah l’interface on ne la voit pas. Donc là, c’est plutôt le côté technique qui prend le relais pour justement, alimenter les lecteurs d’écran et donc retranscrire le site d’une manière propre et efficace.

Donc c’est, je pense, qu’il y a peut-être aussi ce côté un petit peu flou, quand c’est assez peu connu ce côté accessible, de se dire par quel morceau je le prends : « Bah non mais c’est un problème technique, c’est parce que le contenu n’est pas bien dans le code, il n’est pas bien hiérarchisé » on va dire, « Bah non c’est un problème graphique, parce que là tu vois il n’y a pas de contraste », c’est évidemment un peu des deux, je pense. Mais c’est à doser aussi et donc c’est un peu le rôle de chacun de faire attention à ces petits morceaux-là, qui au final créent une expérience accessible.

Marie : Ouais, tu as tout à fait raison. C’est vrai que l’accessibilité c’est pas la responsabilité d’un seul pôle, d’une équipe. C’est clairement la responsabilité de toute une équipe, de toute une chaîne de production. Et ça commence au niveau des décideurs. Je veux dire toi, avec la meilleure volonté du monde t’auras beau vouloir ton site accessible, autant il y a des choses que tu peux facilement faire, qui vont pas te prendre plus de temps. Mais plus tu montes dans, comment dire… Parce qu’il y a certains niveaux d’accessibilité, tu vois. Il y a trois niveaux. Il y a le niveau « A », le niveau « AA » et le niveau « AAA ». Le niveau « AA », on va dire, c’est l’objectif à atteindre. C’est l’objectif légal, quoi. Mais le niveau « AAA », il va répondre à des besoins plus spécifiques et ça peut demander des ressources un peu plus lourdes. Par exemple, il peut y avoir un besoin d’audio-description de vidéos. Ça c’est pour les personnes aveugles. S’il y a des sous-titres, c’est déjà un niveau d’accessibilité. S’il y a une transcription aussi, mais l’audio-description ça permet de leur expliquer vocalement tout ce qui est montré à l’écran mais qui n’est pas décrit oralement. Donc si elles n’ont pas ce rendu-là, elles ne vont pas se rendre compte. Imagine s’il y a deux personnes dans une pièce et il y en a une qui donne un couteau à l’autre — je prends toujours des supers exemples (rire) —, et ben, si c’est pas verbalisé, la personne aveugle ne le saura pas. Ça peut être un élément de l’intrigue hyper important. Donc là tu peux avoir besoin d’une audio-description qui va dire « Paul a donné un couteau à Jacques ». Bref, et ce genre de choses tu vois, l’audio-description par exemple, ou la traduction en langue des signes, il est évident que c’est pas toi ou moi qui allons faire. Ce sont des sociétés spécialisées qui s’en occupent, qui sont spécialisés là-dedans et ça ce sont des budgets supplémentaires. Donc ça il faut clairement que ce soit prévu en amont, on va dire, même au niveau de la gestion projet. Donc oui, il y a clairement, on va dire, la responsabilité se diffuse sur tous les parties prenantes du projet.

Après tu disais tout à l’heure un truc sur lequel j’ai envie de rebondir. Tu disais : « il y a des aspects purement graphiques qui concernent plutôt, on va dire, le design UX ou UI en général », et des aspects techniques tu disais, par exemple : « pour les personnes aveugles ou déficients visuels, ça va être plus de la technique ». Mais en fait ça dépend vraiment des critères. Par exemple, je reprends l’exemple de l’infographie, ou imagine, tu as un site sur lequel tu montres visuellement un plan, par exemple, un plan pour accéder aux bureaux de LunaWeb, par exemple. Si c’est une image statique, tu vas avoir besoin d’écrire ce texte, de prévoir ce texte. Ça peut être juste un « toggle » (NDR : un élément permettant de basculer d’un état A à un état B). Tu n’es pas obligé d’afficher le texte pour tous les utilisateurs. Il y en a plein qui vont voir l’image, ça leur suffira. Mais tu as des utilisateurs, notamment les personnes aveugles, qui vont avoir besoin de lire le texte et donc dans ce cas-là, il faut juste que le texte soit présent dans ton code HTML, dans ta page. Ça c’est ton travail de concepteur de le prévoir. De te dire « Bah là, il y aura un bouton « toggle », il va avoir cette tête-là, il y aura cet intitulé-là, etc. ». Enfin je veux dire, ça c’est pas aux intégrateurs, ni de prévoir l’intitulé, ni machin, tu vois ce que je veux dire ? Donc en fait, effectivement c’est un travail d’équipe, c’est-à-dire que toi, tu dois prévoir ces choses-là. Je veux dire même les intitulés ou les textes, à priori, c’est pas à un intégrateur de décrire l’image, tu vois. C’est plus un travail de conception. Alors c’est peut-être de la conception éditoriale, mais ça reste quand même en amont, on va dire, du travail technique, donc c’est pour ça il y a quand même… Mais encore une fois, le guide dont je te parlais là, vraiment, allez lire une fiche, n’importe laquelle au hasard, et tu verras c’est vraiment exhaustif, en fait. De tous les trucs qu’il faut que tu prennes en amont dans la conception. Et après évidemment, il y a des choses qui devront être gérées par les intégrateurs et les développeurs. Par exemple, dans une page web, c’est bien de mettre ce qu’on appelle des liens d’évitement. Par exemple, ce sont des petits liens que tu mets tout en haut de ta page, qui permettent d’accéder directement au contenu.

Bon bah ça, tu les prévois sur tes maquettes fonctionnelles ou graphique, mais après effectivement il faut que ce soit implémenté correctement côté intégrateurs et développeurs. Mais ça après, chacun ses responsabilités, quoi. Après toi évidemment tu vas, j’imagine, je sais pas si tu as l’occasion de faire ça sur chaque projet… Dans ceux que vous développez vous sans doute, mais il faut après vérifier que, je sais pas, tes codes hexadécimaux, bah c’est bon, c’est tes bons codes hexadécimaux, il n’y a pas eu une petite pétouille au niveau de l’intégration. Enfin tu vois des choses comme ça, un peu en inspecteur des travaux finis.

Guillaume : Une recette quoi quelque part.

Marie : Oui voilà, une recette.

Damien : Du coup toi, ton job aujourd’hui, c’est de faire en sorte qu’il y ait un maximum de sites bien conçus, accessibles au plus grand nombre etc. Et du coup, admettons que ce « plan » arrive un petit peu, devienne un succès finalement. Que tu arrives à faire ce pour quoi tu es payée, ce pourquoi tu travailles. Ce serait quoi demain le vrai design accessible selon toi ? Comment est-ce que cela pourrait évoluer si aujourd’hui déjà on était capable d’avoir des agences ou des concepteurs de sites qui arrivent à faire des sites accessibles ? Comment est-ce qu’on pourrait aller plus loin si on arrivait déjà à emmagasiner les critères que vous essayez d’apporter ?

Marie : Alors je ne suis pas sûre de bien comprendre la formulation de la question. Parce que bon déjà un internet 100% accessible, je sais pas où il faut signer mais il faut signer tout de suite ! (rire). Alors moi j’avais plus compris la question initiale, que tu m’as envoyé par mail, par : « Quel est l’état de l’art de l’accessibilité ? », en fait, « Quels sont les développements techniques en matière d’accessibilité, qui vont venir », tu vois. Je peux plus te dire ça. Je ne peux pas trop te dire quelles vont être les futures prérogatives de designers qui feront l’accessibilité, s’ils ont déjà tout bien fait, enfin. C’est trop de l’utopie.

Mais en tout cas en termes de développements techniques, de ce qui se fait pour rendre le web, enfin internet, de plus en plus accessible, on parle pas mal d’intelligence artificielle. Par exemple, tout ce qui est synthèse vocale et reconnaissance faciale. Donc ça c’est un point, avec la mobilité et les interfaces tactiles qui sont complètement d’actualité. Après c’est vrai que moi à titre personnel, j’ai des gros doutes que du jour au lendemain l’intelligence artificielle rende tout accessible. Genre par exemple, tu vois sur YouTube, il y a déjà de l’intelligence artificielle qui sert à sous-titrer automatiquement les vidéos. Parce que sous-titrer des vidéos ça peut être un gros taf. C’est comme écrire la transcriptions d’un podcast, ça peut prendre des heures.

Guillaume : ÇA prend des heures ! (rire)

Marie : On est d’accord ! Donc à priori tu dis c’est chouette, YouTube a prévu ça, il y a un robot qui va écouter ce qui est dit et qui va essayer de retranscrire sous forme de sous-titres automatiques ce qui est verbalisé. Mais le problème c’est que les personnes sourdes te le diront, elles le disent d’ailleurs, qu’en fait c’est souvent incompréhensible, parce que déjà ça dépend de la prononciation qui est faite, de la prise de son. Et dans chaque langue, en particulier dans le français, on a plein d’homonymes, tu vois. Si tu prononces « les poules du couvent couvent », je sais pas si l’intelligence artificielle va réussir a bien synthétiser le truc quoi. Et souvent ça n’a aucun sens. Enfin je sais pas moi, souvent j’active les sous-titres, juste par curiosité et pour la recherche pour mon boulot et il y a des phrases où ça passe très très bien et il y a des moments où tu es complètement perdu dans les limbes.

Donc je pense qu’on pourra pas se passer complètement des humains, sur ce côté-là. C’est bien qu’il y ait de la recherche dans ce sens-là mais il ne faut pas qu’on utilise ça comme, enfin, pour se dire « Ouais mais de toute façon, d’ici quelques années, les robots feront ça très bien, mettons de côté le sujet de l’accessibilité pour le moment ». Non je pense vraiment qu’on a une responsabilité là-dessus et ne pas se reposer sur nos lauriers, quoi. Comme je le disais tout à l’heure, s’il y avait une baguette magique, automatique, qui rendrait tout accessible, le web serait déjà accessible. On voit que c’est pas le cas, il y a pleins de critères qui sont relativement simples et malgré tout ils sont pas pris en compte, tu vois. Donc faut encore beaucoup de boulot là dessus.

Damien : Tout ça ce sont des choses qui finalement, bon ok peuvent au final servir l’accessibilité, mais qui ne sont pas du tout conçus pour ça à la base, en fait. Les Google Now et tout ce qu’on vient de citer finalement, on n’y est pas.

Je pense aussi à Brut qui donne de l’info, notamment sur Twitter, etc, où finalement il te sous-titre des vidéos plutôt bien, enfin, du coup tu peux regarder toute l’information sans écouter le fichiers, enfin le fichier audio. Mais l’intérêt à la base, je suppose que c’est juste que les gens ne veulent pas allumer leur son au bureau par exemple. Au final pourtant pour les personnes qui ont des problèmes d’audition, bah typiquement ça peut leur servir. Donc il y a pleins d’exemples finalement comme ça.

Marie : Ouais c’est vrai il y a des bénéfices on va dire, induits de l’accessibilité, qui peuvent rejaillir sur un public plus large. Après faut se méfier, enfin… Il faut un peu se méfier de ce discours. Enfin je veux dire, si tu lis n’importe quel article actuel consacré à l’UX et à l’accessibilité, parce que c’est un peu redevenu un sujet à la mode on va dire, tu verras que dans 90% des cas on va te dire « On va mettre l’accent sur ça, sur les bénéfices de l’accessibilité pour les personnes valides » et on va beaucoup insister sur le fait que l’accessibilité je cite « Ce n’est pas que pour les personnes handicapées » et moi personnellement ça me choque beaucoup en fait. Je comprends pas bien pourquoi les besoins des personnes handicapées, qui sont des besoins juste cruciaux quoi, réels et quotidiens ne suffiraient pas pour qu’on daigne concevoir accessible.

C’est vraiment un problème éthique, quoi, de présentation des choses. Donc oui, il y a bien sûr, quand tu fais un site accessible ça améliore, on va dire, globalement l’ergonomie du site. Par exemple, l’accessibilité ça sert notamment aux personnes âgées quoi, dont les capacités changent avec l’âge. Et vu la démographie actuelle, bah il va y avoir de plus en plus de personnes âgées, donc c’est sûr qu’on fait bien de prendre les devants. Mais par exemple quand on dit : « Ah l’accessibilité, ça ne sert pas que aux personnes handicapées » bah mine de rien, je me demande si on contribue pas à invisibiliser encore plus les besoins de ces publics là.

Et il y a certains besoins concrets de personnes handicapées qui ne servent pas aux valides par exemple. Dans ces cas là ça veut dire quoi, ça veut dire que si tu as tout argumenté sur les bénéfices induits de l’accessibilité pour les personnes valides et que certains critères ne concernent pas les valides, ben on va te dire « bon bah ceux-là on s’en fout » et donc tu vas de nouveaux exclure certains types de handicap ? Donc c’est pour ça, ce genre de discours il est à manier vraiment avec des pincettes.

Je pense qu’en fait, bien sûr c’est bien de le citer, mais je pense ça ne devrait pas être le premier argument qu’on donne quand on essaie de sensibiliser les gens à l’accessibilité. Faut vraiment, et ça je pense que les concepteurs UX peuvent bien le comprendre, revenir vraiment aux besoins des utilisateurs en situation de handicap. Pour moi c’est vraiment le truc crucial, de comprendre comment ils naviguent sur le web, les difficultés qu’on leur pose quand on conçoit de manière pas accessible, voilà.

Guillaume : En fait moi ça me fait venir une réflexion et peut-être aussi là où c’est compliqué pour des designers qui ne sont pas forcément familiarisés avec ça (moi le premier) c’est que l’accessibilité en tant que tel, on en perçoit vraiment les bénéfices pour les personnes en situation de handicap ça c’est clair et net. Mais en fait je pense que ce qui est difficile c’est de se représenter ces personnes en situation de handicap et de se représenter l’éclectisme et la diversité de ces profils.

Là depuis le début on cite des choses qui sont assez évidentes, les personnes qui sont malvoyantes ou aveugles, les sourds voilà, mais en fait il y a beaucoup beaucoup beaucoup — tu parlais tout à l’heure des personnes DYS, dyslexiques, etc — il y a beaucoup de profils différents et c’est vrai que ça demande à vraiment rentrer dans le sujet pour en percevoir la complexité et la diversité.

Là dessus je pense que c’est aussi ça qui fait un peu peur, de se dire « Ah oui mais si je mets le doigt là dedans en fait, je vais me rendre compte quoi, je vais me rendre compte du travail à accomplir » donc mieux vaut ce qui est effectivement « mal » (NDR : les bénéfices induits de l’accessibilité pour les valides), mais peut-être que ça vient de là aussi un petit peu, la non-accessibilité encore globale de pas mal de productions.

Marie : Ouais, c’est vrai. C’est vrai que quand tu commences à mettre le doigt dedans, tu te rends compte de tout le monde, de l’univers énorme à côté duquel tu es passé pendant des années. Mais en même temps, je trouve ça cool intellectuellement de se dire : « Ouais ! J’ai encore tout ça à apprendre ! ». Enfin je veux dire, on arrive tous à un moment de notre vie à des seuils de compétences, moi c’est ce que je ressentais en tout cas. Par exemple l’année dernière quand j’étais encore intégratrice et je ne pouvais pas, j’avais pas la liberté de rendre aussi accessibles que je voulais les produits que je consommais. Et à partir du moment où je suis rentrée chez Access42 et j’ai fait : « Ça y est, je suis de nouveau une padawan (NDR : un élève) je suis de nouveau débutante dans un domaine » et franchement c’est, intellectuellement c’est hyper stimulant. Parce que je me dis, c’est à la fois de la recherche et de l’expérience utilisateur, enfin tu t’intéresses vraiment aux autres, à l’humain enfin. Je veux dire c’est trop facile sinon de rester finalement dans un entre-soi et autocentré en tant que concepteur. Parce que tu vois nos équipes sont pas hyper diversifiées, quand on y pense. Tu t’en rends bien compte quand tu participes à des conférences, tu vois les gens qui participent c’est toujours un peu des gens qui sont faits sur le même modèle. Pour autant j’adore participer à des conférences, mais c’est bien aussi de s’intéresser à d’autres gens, d’autres modes de pensée, de fonctionnement.

« "C’est trop facile sinon de rester finalement dans un entre-soi et autocentré en tant que concepteur." »

Genre, je ne sais pas, c’est tout con mais là par exemple j’ai découvert un blog écrit par une nana aveugle qui parle de son quotidien en tant que meuf aveugle. Tu vois genre comment elle se maquille. Comment tu te maquilles quand tu es aveugle ? C’est tout bête. Où par exemple je demandais à Sylvie : « Mais comment tu fais pour choisir les couleurs de tes vêtements en fait ? » enfin tu vois, ce sont des choses comme ça. Ou quand tu donnes un billet de banque à un commerçant ? Comment tu es sûr que tu lui files un billet de 20 et pas de 50 ? Plein de petites choses comme ça. Et en fait ils ont plein d’outils les personnes aveugles, ils ont plein de petits outils dont on ignore totalement l’existence quand on n’est pas nous même, on n’a pas de personnes aveugles dans notre entourage. Et tu vois tout ça ce sont des choses hyper intéressantes et je pense que vraiment la rencontre de ces utilisateurs là est nécessaire.

Tu vois, quand ils font des démos des systèmes de technologies d’assistance, des choses comme ça. Tu vois genre vendredi soir (NDR : Pendant l’UX Deiz #7) quand Sylvie a fait sa démonstration avec NVDA, il y a plein de gens après coup qui sont venus me voir, en mode ça a été une révélation pour eux quoi. Parce qu’ils n’imaginaient pas du tout tu vois. Ce sont des trucs, si tu n’es pas concerné par ça, tu ne cherches pas un peu par toi même, tu n’en entends jamais parler. Surtout que l’accessibilité c’est encore très peu enseigné dans les cursus numériques ! Ça va venir mais c’est encore assez rare, donc forcément ça crée des concepteurs et des conceptrices qui ne sont pas sensibilisés à ces questions et qui du coup, totalement inconsciemment, vont créer l’inaccessibilité. Donc je pense que c’est un ensemble de choses en fait, ça va venir. Mais effectivement il faut accepter de se remettre en question et je dirais aussi mettre parfois de côté son ego quand par exemple des utilisateurs ou quelqu’un d’autre, un expert ou une experte, te dis : « Là tu vois ton composant il n’est pas accessible » alors que c’est un truc sur lequel tu as vachement bossé, que tu adores, une fonctionnalité que tu adores et tout. Mais genre si concrètement ça pose un problème d’accessibilité à des utilisateurs, ben faut juste le modifier, le corriger et faire mieux la prochaine fois. Je vois vraiment ça comme une sorte de parcours à étapes, en mode « Ah bah là c’est cool », par exemple le jour où tu auras ton premier retour d’utilisateur handicapé qui dira : « Mais c’est trop bien, ça fonctionnait du premier coup ! » tu seras vachement fier de toi. Ça m’est arrivé il y a pas si longtemps et je m’étais dit : « C’est trop cool ! ».

Guillaume : C’est concret ouais.

Tu vois quand j’ai écrit les transcriptions pour mes conférences, c’est justement un de mes confrères, Yann, qui m’avait donné ce conseil là quand je devais donner ma conférence à Paris Web en 2015 j’avais créé un fichier Keynote. Et keynote de base ne fait pas du tout des trucs accessibles. Et moi l’accessibilité me tient à cœur donc je lui avais demandé : « Comment je peux rendre ma conférence accessible quoi, je ne veux pas mettre des gens de côté ». Il m’avait dit : « Ben, soit tu crées des slides totalement accessibles, soit tu t’embêtes pas et — enfin si tu t’embêtes quand même — tu crées une transcription de tout ce que tu vas dire et tu donnes l’url au début de la conférence. Comme ça les personnes qui auront besoin elles peuvent y aller, elles vont suivre plus facilement ». Et c’est ce que j’ai fait. Et quand je l’ai fait, j’ai mis l’url dans mon diaporama, l’url est affichée sur l’écran, j’ai été vachement applaudi parce que en gros j’avais été la seule de Paris Web à y avoir penser, enfin en gros c’était ça. Et à la fin de ma conférence, il y a une amie sourde, Emmanuelle, qui m’a remercié. Elle a eu le cran de prendre le micro et de me remercier pour ça, parce que justement elle avait pu suivre comme tout le monde ma conférence. Et maintenant systématiquement quand je fais une présentation comme ça, je pense à faire la transcription, parce que je sais que ça peut aider des personnes à suivre ce que je vais dire en temps réel. Et tu vois moi, je suis assez fière de ça tu vois, je me dis : « oui bon ça me fait un petit peu plus de boulot » mais finalement ça m’aide aussi moi à structurer bien ma pensée, a réviser si j’en ai besoin. Tu vois, cette transcription c’est les notes que j’avais vendredi sur mon téléphone. Donc en fait j’ai pas vraiment doublé au travail, j’ai juste été un peu plus rigoureuse sur la présentation, la façon dont j’ai tourné mes phrases, etc. Et au final tu as un gain utilisateur qui est énorme quoi.

Et pour les gens qui n’étaient pas là vendredi soir, malheureusement pour eux (rire), ben il reste une url sur le web et ils peuvent consulter quand ils veulent, tu vois si tu as besoin de retrouver un lien et tout. Enfin, je ne sais pas, ce sont des petites choses comme ça ou tu te dis, quand tu vois le bénéfice utilisateur du truc, tu dis : « Woaw, mais c’est trop bien j’ai bien fait de faire ça » et ça t’encourages vraiment, tu dis ok je suis en train de m’améliorer là niveau conception.

Guillaume : Ok !

Damien : Une petite dernière question avant de te laisser, c’est la question qu’on pose habituellement aux autres personnes qu’on a pu interviewer, qui fait sourire en général, c’est : est ce que tu peux nous dire ce qui t’a bluffé dernièrement, dans ton environnement professionnel ?

Marie : J’adore cette question, c’est vraiment cool ! Alors moi ce qui m’a bluffé je dirais c’est la façon dont s’organise le boulot chez Access42.

Déjà c’est une société coopérative, assez rare, et surtout on n’a pas de hiérarchie en fait, on gère chacun, chacune, notre travail comme on veut, parce qu’on est grand, on organise notre temps notamment comme on veut. Et tu vois moi qui suis en télétravail, c’est d’autant plus important parce que j’ai pas forcément exactement des horaires de bureau. Moi je suis vachement du matin, ça peut m’arriver de commencer à bosser à 7h du matin si je suis inspirée et de finir à 15h si besoin tu vois, et j’ai pas besoin de demander la permission. Pareil si j’ai besoin de poser des congés je les pose. Juste la seule responsabilité que l’on a, c’est de s’arranger pour déléguer et veiller à ce que le travail soit fait en notre absence.

On touche tous le même salaire, même notre gérant, Jean-Pierre, alors que pareil il a beaucoup d’années d’expérience. Tu vois il n’y a pas de « niveaux d’échelon » on va dire, salariaux et ça me change vachement par rapport aux agences, ou dès que tu poses la question des salaires c’est un peu « classé secret défense ». Je sais que j’ai déjà participé à des discussions un peu houleuses dans des boulots précédents voilà. Et le dernier truc je dirais qui me bluffe tous les jours c’est que bon, on est que neuf chez Access42, mais on est tous relativement proches et mes collègues ils sont hyper solidaires, ils me soutiennent. Tu vois par exemple dès que je propose une idée où je me lance dans un truc ou je suis ultra stressée parce que je vais devoir faire une conférence, et que voilà c’est toujours vachement impressionnant, bah ils me soutiennent beaucoup tu vois. Ils m’encouragent à faire des trucs ils calment mes angoisses si tu veux, alors que concrètement ça fait que six mois que je suis parmi eux tu vois. Donc ouais ça fait vraiment du bien d’être dans un environnement de travail on va dire calme, posé, bienveillant, ou t’as de la place pour proposer des choses, où on t’écoute, ou tu peux prendre des initiatives enfin voila. J’ai vraiment une chance énorme d’être dans cette boîte et de creuser, je veux dire, un sujet qui m’intéresse depuis longtemps enfin… meilleur boulot quoi ! (rire)

Guillaume : Est ce que vous recrutez du coup ? (rire) Parce que là, tout le monde va se précipiter chez Access42 !

Ok bah merci on va conclure du coup sur ces bonnes paroles, merci Marie de nous avoir donné un peu de ton temps pour parler de cette thématique là, de l’accessibilité qui fait clairement partie de l’expérience utilisateur et inversement. C’est vrai que c’est pas du tout quelque chose qui doit être à la marge et on espère tous, que voilà petit à petit, ça va devenir un peu plus partagé par l’ensemble de la profession

Marie : Peut-être juste un truc, je ne l’ai pas dit mais ça peut être juste bien de se former en fait, tout simplement parce que c’est vrai que toi tu peux lire des trucs, t’auto-former etc mais rien ne vaut je pense une bonne formation à des familles. Tout simplement pour être immergé pendant un ou deux jours dans cette problématique là, voir des exemples concrets, pourquoi pas des démos, etc. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer ça quoi, formez-vous, c’est bien ! (rire)

Damien : C’est noté !

Guillaume : Effectivement oui ! Et puis Damien et moi on se retrouve dans un prochain numéro de Salut les Designers ! voilà, sur des sujets divers et variés mais qui seront, on l’espère tout aussi intéressants et il nous reste à vous dire au revoir !

Damien : Au revoir !

Marie : Au revoir, merci.