Aller au contenu principal

SLD #8 - L’interview de Geoffrey Dorne

SLD #8 - Geoffrey Dorne, designer @Design&Human

Pour ce 8ème épisode, notre podcast nous a emmené, fin 2018, à Blend Web Mix, à la rencontre Geoffrey Dorne. L’occasion de faire le point sur notre métier de designer et le mettre en perspective avec changements climatiques et sociaux de demain.

Publié le 20 mai 2019

Interview de Geoffrey Dorne à Blend web Mix 2018
Guillaume et Damien avec Geoffrey, au cœur de l'Amphithéâtre du centre des Congrès de Lyon.

Blend Web Mix où nous semblons avoir pris quelques habitudes a été en 2018, l’occasion de faire la rencontre de Geoffrey Dorne. Suite à sa conférence « Pour un Design de l’indépendance », nous avons passé avec lui un moment au cœur de l’amphithéâtre du Centre des Congrès de Lyon pour une interview qui vous invite à bouger les lignes.

Guillaume Genest : Bonjour à tous et à toutes et bienvenue dans ce nouveau numéro de Salut Les designers, le podcast design de l’agence LunaWeb. Aujourd’hui nous enregistrons un nouvel épisode dans le cadre de Blend Web Mix. L’édition 2018. Et nous avons le plaisir de recevoir Geoffrey Dorne.

Salut Geoffrey !

Geoffrey Dorne : Bonsoir, enfin bonjour. On n’est pas le soir encore.

Guillaume Genest : En même temps ils écouteront ça le soir ou le matin. On ne sait pas. Et puis voilà on va être ensemble pendant 40 minutes à peu près pour échanger sur le design tous ensemble. Et puis tout simplement, première question pour toi est ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Geoffrey Dorne : En quelques mots, donc je m’appelle Geoffrey Dorne, je suis designer. J’ai créé un atelier design qui s’appelle DesignandHuman et ça fait 13ans que je suis designer et je suis indépendant depuis 13 ans. Je fais beaucoup de projets de design graphique, de design numérique, de design d’interface, de plein de choses très différentes. Le seul truc que je ne fais pas pour l’instant c’est du mobilier, des chaises, des architectures tout ça.

Guillaume Genest : De l’objet quoi.

Geoffrey Dorne : Oui de l’objet je ne fais pas encore. Il y a assez d’objets c’est bon.

Damien Legendre : Donc tu nous dis que tu es designer depuis 13 ans. C’est quoi ce qui originellement t’a amené vers ce métier là ?

Geoffrey Dorne : Au tout départ, ça remonte très très très très loin quand j’étais gamin, je passais mon temps dans ma chambre à dessiner. Donc je faisais des bandes dessinées; je recopiais des Lucky Luck. Voilà je passais beaucoup de temps à dessiner, j’aimais vraiment ça. Et puis je bricolais aussi beaucoup avec des ampoules, des piles, des machins de l’aluminium, enfin je faisais des circuits avec du carton. J’ai toujours aimé faire ça tranquille dans ma chambre. Voilà j’étais content. Et puis un jour il y a eu un ordinateur qui arrivait à la maison et même avant mon père avait des ordinateurs. Les Commodore 64 de l’époque, portables, ça valait une fortune. Et ça m’a tout de suite vraiment fasciné. Je me rappelle sur le Commodore, Mimi la fourmie qui allait se balader dans un petit paysage. Il y avait du vieux son en 8 bits, c’était assez exceptionnel. Et puis un jour j’ai eu donc l’ordinateur à la maison et là on n’avait pas Internet, mais déjà la puissance de l’outil ordinateur, ça m’a vraiment passionné. Et après le code et après Internet et quand j’ai passé mon bac on m’a dit « Geoffrey qu’est ce que tu veux faire ? » Au fond de moi je me disais je veux faire de l’ordinateur et je faire du dessin. Je veux que personne ne m’emmerde. Et donc je suis devenu designer.

Guillaume Genest : Et ça a commencé comment du coup, ce métier de designer pour toi justement après tes études ?

Geoffrey Dorne : Alors en fait après mon bac, j’ai fait un an pour préparer le concours des arts décoratifs de Paris. En me disant « bon c’est quoi la meilleure école pour être designer ? ». Ce n’est pas forcément la meilleure, il y en a plein mais pour moi à l’époque c’était vraiment la meilleure que je visais. Donc je préparais le concours, j’ai passé le concours, j’ai eu le concours et donc je suis arrivé à Paris, parce que je suis originaire du nord de la France, donc j’ai débarqué à Paris un petit peu. Et en fait, dès la deuxième année des études j’ai commencé à travailler en indépendant. J’étais à la Maison Des Artistes, à la MDA pour faire un petit logo par ci, un petit site par là et donc commencé tout doucement à faire des premières factures à voir un peu comment ça marche un devis un client. Donner ses sources ou pas ? Tous ces sujets là. Et donc voilà, j’avais 20 ans et ça a commencé tout doucement comme ça. Je suis resté à la Maison Des Artistes, jusqu’à il y a six ans et après j’ai créé une structure en fait. J’ai créé une société pour avoir les mains plus libres et faire plus de choses.

Damien Legendre : En treize ans, tu as du voir le métier de designer évoluer. On voit aussi que tu as des engagements très personnels par rapport aux métiers de design. Est ce que tu pourrais nous expliquer quelle est ta vision de ce métier de designer aujourd’hui ?

Geoffrey Dorne : En effet c’est un métier qui évolue, qui évolue beaucoup et comme je le dis souvent il y a autant de définitions de ce que c’est que le design que de designers. Personne n’est d’accord et c’est ça qui est génial. C’est que tout le monde a sa propre définition. Je trouve ça très beau. Et donc mes étudiants, il y a longtemps parce que j’enseigne à côté, ils voulaient devenir directeur artistique. Puis après ils voulaient devenir startuppers-entrepreneurs et maintenant ils veulent devenir UX designer. Ça aussi c’est assez intéressant à observer. Et dans cette évolution pour moi ce sera un peu le sujet de la conférence que je vais donner à Blend dans l’après midi. C’est que le design évolue. Évolue pas toujours dans le bon sens toujours selon moi. Sur l’utilisation, on va dire, purement marketing du design qui sert parfois juste à faire vendre des produits. Que ce soit des produits numériques, des produits immatériels ou des produits tangibles. En fait pour moi dans cet avenir là, je ne vois pas vraiment de débouché au design. En me disant « Ok bon on continuera, ça existera encore beaucoup », j’essaye de me dire « OK quelles sont les perspectives pour un designer demain dans un monde sans pétrole dans un monde hors capitalisme, dans un monde qui va être très très très différent ». Et j’ai des étudiants qui viennent me voir souvent pour me dire « voilà j’ai travaillé pour des grands groupes, ça me plait pas, c’est pas mes valeurs ou je parle inconnu, je travaille pour des startup ça me plait pas, il n’y a pas d’argent donc je gagne mal ma vie, je suis un peu exploité et ça ne marche pas ». Et puis on m’a dit que je pouvais être entrepreneur mais au final, j’y arrive pas, c’est trop dur, je n’ai pas les épaules pour, je n’ai pas le réseau et en même temps, je veux travailler pour mes convictions. Et donc, il sont un peu le nez, le bec dans l’eau comme on dit. Ils ne savent pas trop comment faire, où se diriger. Donc des fois, ils créent des petits studios entre eux. Ils travaillent pour la communication publique, ou pour des trucs culturels etc. Mais pour moi, l’avenir du design, il est en train de se dessiner dans ces enjeux là, dans ces interstices qui sont en train de se créer. Et aujourd’hui c’est un réel besoin et j’ai des étudiants qui sont un peu schizophrènes, qui font des trucs pour BETC et en même temps, ils détestent tout cet univers là, mais ils le font pour payer leur loyer. Donc à un moment donné, il y a des choix qu’ils vont devoir faire qui seront des choix éthiques, des choix moraux, des choix sociaux.

« "Il y a autant de définitions de ce que c'est que le design que de designers" »

Damien Legendre : Tu perçois une recherche d’éthique en fait dans la démarche des designers.

Guillaume Genest : De sens ouais.

Geoffrey Dorne : Plus de sens ouais. Il n’y a pas de design éthique. Il n’y a pas un design éthique, puis le reste c’est pas éthique. C’est surtout argumenté, il n’y a pas une éthique. C’est un concept et c’est une approche. Mais c’est vraiment cette recherche de sens, de dire « à quoi je sers en fait ? » J’ai un métier, je peux faire plein de trucs, dans ce cas là tous ces trucs, je les appliquent à quoi ? Et donc ça pour moi, c’est vraiment une démarche que j’ai personnellement depuis que j’ai créé ma structure il y a un petit bout de temps maintenant et que j’essaie de mener à bien et de me dire, avec mes outils de designers, « comment je vais pouvoir la réaliser, la concrétiser ? » C’est assez fascinant de rentrer dans cette démarche là, parce que tout à coup, on a l’impression qu’on va s’effondrer, on ne va plus gagner d’argent, ça va être la fin, on ne va plus pouvoir travailler. Mais en fait non en tant que designer, on est malins, on trouve des idées, des astuces. On trouve une résilience, on trouve des façons d’approcher un petit peu son métier et ses compétences différemment . Et donc, j’essaye de me dire qu’on peut toujours y arriver et je me dis toujours que j’ai été étudiant dans une chambre de bonne avec très peu d’argent. Au pire je peux toujours revenir dans un stade comme avant et j’étais heureux quand même. Donc ce n’est pas dangereux d’un point de vue très personnel. Il y a la famille et les amis, il y a un filet social en France, tout ça c’est des risques on va dire qu’ils sont mineurs en quelque sorte.

Damien Legendre : Est ce que tu-as des exemples concrets de ce que tu appliques au quotidien pour donner du sens justement à ton travail et la façon dont tu veux aujourd’hui ?

Geoffrey Dorne : Oui, il y a plein il y a plein de façons de le faire. Moi par exemple, je refuse de travailler pour énormément de structures. Plus, j’affiche justement ces convictions et cette orientation, moins je suis contacté par ces structures. Total, des groupes pharmaceutiques, des trucs sur le pétrole, des trucs qui produisent des objets qui polluent. Voilà, tout ces trucs là, des banques, des trucs comme ça. Ils ne viennent même plus me contacter et donc c’est tant mieux, ça m’évite de dire « non » à chaque fois et d’expliquer pourquoi. L’autre jour j’ai eu un petit SMS d’un ami qui me demandait si je voulais travailler pour Unilever. Je lui ai envoyé un lien vers la page Wikipédia de Unilever, sur l’exploitation des enfants, sur la pollution et je lui dis « non merci c’est très gentil de me le proposer mais je ne travaille pas pour ce genre de structure ». La première démarche pour moi c’est de dire « non ». Ensuite c’est de dire « ok dans ce cas là, qu’est ce qu’il reste ? » des ONG et des assos, certaines entreprises, qui fonctionnent encore avec le système capitaliste mais qui ont peut être des façons de travailler, des approches et un service rendu qui est je pense nécessaire et important d’un point de vue social. Donc, c’est aussi d’utiliser ma force de travail avec ces structures là. Et l’argent que je gagne avec ces structures là, j’essaie de me verser le salaire minimum qui me suffit pour pouvoir avoir un toit sur ma tête, manger et puis payer mon loyer. Et puis le reste, j’essaie d’utiliser l’argent de mon entreprise pour pouvoir adhérer à des associations, pour financer des assos. Donc faire des fuites de capitaux en quelque sorte, de dire « j’ai de l’argent ne fait pas le réinvestir, je vais le donner. Je vais le jeter entre guillemets, d’un point de vue purement comptable. Je le fais disparaître d’un système économique. Et après, il y a aussi tout simplement faire des projets donner son temps gratuitement. Cela dit le travail gratuit c’est pas bien moi j’adore le travail gratuit. Je pense que 50% des projets que je fais, c’est des projets gratuits. Là je travaille pour Bibliothèques Sans Frontières, j’ai travaillé avec l’AFPAD qui est une association pour les droits et notamment les droits des femmes. Voilà, je fais plein de projets gratuits et je trouve ça génial. Je travaille pour aussi une ONG qui s’appelle WOWW qui est sur les exactions et les viols de guerre. On réalise des outils et tout ça. Et en fait ça, ce sont des gens qui n’ont pas forcément l’argent pour faire réaliser des projets avec des designers des développeurs et tout. Et donc c’est l’occasion de dire « ok j’ai la Croix-Rouge qui m’a donné un peu d’argent pour faire un travail. Cet argent j’en prends une partie pour travailler pour des trucs gratuitement. Et pour moi, ça crée un genre de système assez agréable. Et puis voilà. Après des exemples il y en a plein mais voilà à peu près les premières premières pistes quoi.

Guillaume Genest : Tout à l’heure, tu parlais des étudiants avec qui tu travailles. Est- ce que tu portes ce message de dire que le design n’est pas une fin en soi. Les méthodologies issues du design ne sont pas des fins en soi mais plus des outils, pour résoudre des problématiques quoi.

Geoffrey Dorne : C’est ce que je leur dis. La phrase que je leur dis c’est que le design c’est l’outil de nos engagements. C’est à dire que chaque étudiant, alors moi j’en ai de plus en plus qui sont végans, d’autres qui sont militants sur les droits des femmes, d’autres qui sont réfugiés aussi. J’ai un étudiant qui a postulé pour l’école et on va le prendre. Il le sait encore. Mais voilà, qui est réfugié d’Afghanistan et en fait tout ça, je leur dis « voilà, le design c’est des outils, toi au fond toi t’as des convictions, t’as des trucs, t’as des valeurs, tu veux porter des trucs ». Utilises ces outils pour faire naître ces valeurs.” Et c’est génial en tant que designer, on est capable de faire des sites, des visuels, de faire rêver les gens, de leur faire croire, comprendre, leur raconter des histoires, leur faire manipuler des choses. Il y a plein plein plein d’outils géniaux dans le design. Leur faire aussi avoir des démarches de réflexion. On va utiliser ces outils pour tout ça et on va voir après comment on trouve un équilibre aussi personnel, professionnel dans ces valeurs. Et ça je pense que j’essaye de transmettre ça, tout en leur disant dès le début de l’année. Parce que je suis directeur pédagogique d’une petite école qui s’appelle l’Étape Design. Ce sont des étudiants qui sont décrocheurs, qui n’ont pas le bac, qui ont des parcours un peu compliqués parfois. On les les forme au design numérique, au webdesign et je leur dis d’abord, vous mettez de la nourriture dans votre assiette. D’abord vous mangez avant d’aller militer ou lutter en crevant la dalle et en vivant dans la rue. Ça marche pas. D’abord essayez de manger. Donc ouais, vous allez faire des petites bannières pour des trucs, des petits logos pour des boîtes qui vous intéressent pas mais c’est pas grave. Commencez déjà, faites vos armes, trouvez une espèce de stabilité et après en parallèle on va développer une activité militante décalée un peu gratuite. Il y a des façons de faire. Mais je leur dis, « partez pas comme des foufous dans tous les sens parce que ça va vous faire du mal quoi ».

Damien Legendre : En ce qui concerne le métier de designer. Donc toi tu nous a dit que tu formais des gens à devenir les designers de demain. C’est quoi pour toi, les qualités qui font un bon designer aujourd’hui ? Ça peut être subjectif.

Geoffrey Dorne : C’est forcément subjectif. Qu’est ce qui fait qu’un bon designer aujourd’hui ? Alors je pourrais répondre, C’est l’empathie, c’est la curiosité, c’est le savoir faire etc. En vérité j’en sais rien. Je ne sais pas ce que fait un bon designer. Qu’est ce qui fait un bon designer, ça veut dire quoi un bon design aussi ? Est-ce que c’est un mec ou une nana qui produit bien le travail, qui délivre ou bien qui kerne bien sa typo et qui fait ça proprement. Est-ce que c’est quelqu’un qui fait bouger le mouvement du design ? La pensée du design en général. Est-ce que c’est quelqu’un qui va innover, qui va bosser pour des start-up, qui va essayer d’imaginer des trucs de demain ? Je ne sais pas ce que c’est un bon designer en vrai. C’est assez difficile de répondre à ta question, mais j’espère en tout cas que chacun se demande comment être, entre guillemets, bon dans son métier en fonction de ses propres valeurs. Et avec les miennes en tout cas, j’essaie d’être un bon designer. C’est à dire de reprendre les mots de Alain Findeli qui est un professeur à l’université de Nîmes. Il dit que le design c’est là pour maintenir ou améliorer l’habitabilité du monde. Le fait de dire qu’on vit ensemble sur un gros caillou et donc on va essayer de maintenir le fait qu’on arrive à vivre ensemble et cette habitabilité. Et dans toutes ses dimensions. Sociales, éthiques, environnementales politiques etc. En tout cas j’essaye d’être un bon designer pour contribuer à  cette habitabilité du monde en général et ça passe par chaque petit projet que je fais. C’est minuscule tu vois, mais au moins, ça va dans le sens que j’estime être bon ou en tout cas bénéfique pour la collectivité.

« "J'espère en tout cas que chacun se demande comment être, entre guillemets, bon dans son métier en fonction de ses propres valeurs" »

Damien Legendre : On peut imaginer que être bon dans son domaine, que ce soit en design ou autre chose c’est aussi se dire qu’on est capable de se mettre dans une démarche d’amélioration perpétuelle.

Geoffrey Dorne : Tout à fait.

Damien Legendre : Toi est-ce que tu as des façons, des leviers que tu actives, pour réussir à faire en sorte de toujours t’améliorer et peut être pas de rester à la page, mais en gros de toujours…

Guillaume Genest : Te remettre un petit peu en question aussi.

Geoffrey Dorne : Vous avez des bonnes questions. Pour moi je pense que en effet, j’essaye surtout de ne pas être à la page. Parce il y a beaucoup de trucs qui sont à la mode, les tendances, etc. Je les suis d’un œil, parce que je trouve toujours ça intéressant, parce que ce que c’est souvent le reflet de notre société. C’est le reflet d’une époque, donc c’est important de le voir, de comprendre aussi d’où ça vient. Et ensuite sur l’espèce de formation que j’essaie d’avoir moi pour continuer à évoluer, j’utilise aussi, je vous parlais tout à l’heure de l’argent que j’utilisais pour des associations etc. Pour faire des projets gratuits. J’utilise aussi ça pour me former. Et aujourd’hui je me forme, je fais des ateliers pour apprendre le travail du bois, faire de la coutellerie, des ateliers d’apiculture, de la permaculture aussi. Là en ce moment, j’apprends la langue des signes et tout ça avec l’argent de ma boite. Et je me dis que c’est une approche qui vient compléter mon approche de designer. Je fais évidemment, c’est mon gros travers, je fais évidemment des liens entre tous ces trucs là et le design, des outils du design, l’approche du design, la langue des signes. J’ai écrit un article sur mon blog là dessus et ça parle. La langue des signes est tellement puissante sur comment on décrit par exemple pour décrire un objet, ou une couleur etc. On décrit l’usage de l’objet. On ne décrit pas sa forme d’abord. D’abord on décrit son usage. Et c’est du design en quelque sorte. L’objet c’est d’abord l’usage. Et donc voilà, j’ai fait plein de parallèles entre la langue des signes et le design. En apiculture, c’est pareil, sur la communication des abeilles entre elles et en fait j’essaie de me former dans des choses qui peuvent en apparence être loin du design mais qui pour moi me nourrissent et viennent me dire qu’en fait l’avenir du designer, peut être il va se situer évidemment à l’extérieur du design et il va se situer dans des bulles de résilience, des bulles d’autonomie, des choses qui vont être utiles pour le vivant, pour la communication pour les gens etc. Et peut être que le designer de demain, c’est aussi le designer qui a cette démarche de favoriser le vivant, d’accompagner le vivant, le vivant dans son ensemble et pas que le vivant humain, mais le vivant aussi biologique dans sa globalité. Peut être que c’est ça en fait un designer pour aujourd’hui, pour demain, c’est peut-être une autre vision du design qu’on peut avoir.

Guillaume Genest : Moi j’aimerais revenir un tout petit peu en arrière, entre guillemets, parce que tout on disait que c’était potentiellement compliqué de donner une définition du designer. Parce qu’il est pluriel, mais ce qui est aussi compliqué quand on évolue dans ces métiers là et peut être que tu as eu le cas de figure en travaillant notamment dans le milieu associatif, c’est de faire de la pédagogie autour de ces méthodes pour dire aux gens bah on va travailler de cette manière là et vous allez voir ça va être bien » et parfois ça peut être des méthodes qui sont assez différentes de ce à quoi ils sont habitués. Est-ce que toi tu as trouvé des solutions. Quelque part, est-ce que tu as designé ton expérience avec ces milieux associatifs ou est ce que ça t’a paru assez simple finalement de mettre en place des méthodes de travail ?

Geoffrey Dorne : Pour les aider à comprendre la démarche du designer. En fait souvent, il y a des clichés sur le design dans les assos et même dans les entreprises beaucoup, ou des ONG, peu importe. II y a des clichés sur le design : « Tu fais des trucs sur Photoshop c’est joli et puis on n’en parle plus ». Et ça existe encore vraiment. Souvent on en rigole quand on est entre nous, entre designers. Mais c’est encore très très tenace et très très réel. Et en fait, en effet la pédagogie c’est une grosse partie du temps du travail, du temps de projet. Qui dit pédagogie dit aussi du face à face, de la discussion de l’échange, du débat. Et dans cette approche pédagogique, c’est d’être transparent sur ces outils, de dire je ne suis pas la personne qui sait. Ce n’est pas mes outils à moi. Mais voilà je mets des trucs sur la table ,je mets des méthodologies, je leur dis voilà « le double diamant, voilà comment ça fonctionne ». On a des phases de divergences, de convergences, d’apprentissages, de prototypages, de livraison du service du produit, de l’outil, l’identité visuelle etc. Enfin, il y a plein d’étapes, on en parle. Et surtout dans cette pédagogie j’essaye d’embarquer les gens avec qui je travaille avec moi. L’autre jour on travaillait sur un projet pour la détection de l’ostéoporose chez les femmes ménopausées. Et donc c’est avec des gens qui font de la recherche et tout ça et c’est hyper intéressant. Donc je leur dis « voilà dans ma boîte à outils de designer,  il y a les études ethnographique et puis on va aller aussi faire de la recherche de terrain ». Et donc on est allé faire l’observation passive dans l’hôpital Cochin à Paris et on est allé aussi interviewer les gens, échanger avec eux, se poser avec eux pour pouvoir parler. Et une fois qu’on fait ça avec un designer, avec les chercheurs avec d’autres personnes, on crée une culture commune. On a une démarche commune et on y va tous ensemble. Et c’est ça qui est ça qui est génial en fait, c’est de mettre tout le monde dans cette même barque et d’embarquer tous ensemble dans cette démarche qu’on appelle du design n’est en fait qui est une démarche de projet et en général c’est plutôt cette approche là que c’est de mettre et de dire « tout est transparent, je peux vous montrer comment je peux le faire moi même ». Alors peut être j’irai plus vite, peut être j’ai la bonne façon de pratiquer mais ce n’est pas du design propriétaire des outils ou des méthodes. C’est emparez-vous et faites le vous même aussi. Pour moi ça, ça répond à une démarche de rendre les gens autonomes. Si demain l’asso a plus besoin de moi, je suis super content. Si elle arrive à faire du bon boulot en me disant « c’est bon on a trouvé, on est autonome et on y arrive ». Bah c’est super cool. Tant mieux les gars je vais pouvoir aller faire d’autres trucs aussi. Et c’est dans la démarche pour moi du designer aussi de rendre les structures avec lesquelles on travaille les plus autonomes et indépendantes. Qu’elles n’aient plus besoin de design en quelque sorte.

Damien Legendre : Ouais, savoir s’effacer. Tu nous a parlé tout à l’heure des étudiants actuels qui cherchaient à devenir designers. Toi aujourd’hui la pratique de l’expérience le design d’expérience utilisateur que tu l’intègre à ton travail de design.

Geoffrey Dorne : En fait elle est intégrée dans le design de façon globale. Alors on met un mot dessus. C’est important quand on met des mots sur des choses on les fait apparaître on les fait ressortir on les met on les met en surface. C’est important que les gens puissent dire qu’il y a de l’expérience et donc il y a des utilisateurs et des humains. Il y a des gens qui appellent à reconnaître et puis qu’est ce qu’on va leur faire vivre. On appelle ça expérience et ça je trouve ça bien de pouvoir en parler le mettre en avant. Le montrer parce que ça devient tout à coup un enjeu et tout tous les gens autour de la table. On va faire ça pour les utilisateurs. ça veut dire que je vends pas de prestation UX. Des fois j’ai des clients qui ont entendu parler de ça et qui sont un peu inquiets et qui me disent “Mais vous faites de l’UX’? Oui, mais ce n’est pas écrit sur votre site ou pas sur Facebook sur Twitter.”

Je dis oui je fais de l’expérience utilisateur et on va travailler ensemble. Et j’en oublie. J’en parle quand il y a besoin d’en parler mais sinon on en fait tout le temps avec en effet du fait que ça a été mis en avant en exergue ça a été théorisé aussi. On parle beaucoup plus maintenant des méthodes et principes des outils et ça vient démocratiser aussi cette importance d’approche utilisateur et de l’expérience. Moi j’aime bien dire quelle histoire on va faire vivre aux gens pour qui on crée. Je me méfie du mot parce qu’évidemment il est à la mode. J’ai des étudiants qui ont 22 ans et sont UX/UI designer sénior voilà c’est tout de suite. En fait c’est un problème dès qu’il y a des choses comme ça qui sont mises en surface elles deviennent des buzz word et tout le monde se les approprie et c’est pareil pour les questions d’éthique. C’est pareil pour les questions de human centered design. C’est pareil pour tous ces sujets là. Le privacy by design aussi on a des entreprises comme Palented. Je pense que vous connaissez des logiciels de surveillance notamment. Eh bien ils parlent ils viennent parler d’éthique ils font des conférences sur l’éthique tout ça. Tout ça c’est phagocyté. C’est aussi à nous de désigner de remettre les faits réels des faits tangibles sur ces mots là. Qu’est ce que c’est que lui que en vrai génère les choses et d’en parler ouvertement ne soit pas juste du branding ou du buzz word me critiquant très souvent de lui. Qu’est ce qui fait qu’il y a des énarques qui se prennent la tête entre eux parce qu’il y en a qui en parlent d’autres qui disent maintenant que c’est juste du design. Nous on fait du Design Doing On ne fait pas du design Thinking voilà une espèce de division de guerre qui est totalement inutile.

Guillaume Genest : Chapelles qui se créent.

Geoffrey Dorne : Oui voilà. Je comprends que ça existe. Socialement humainement ça ne m’étonne pas mais je pense que c’est beaucoup d’efforts pour très peu d’effet.

« "J'aime bien dire quelle histoire on va faire vivre aux gens pour qui on crée" »

Guillaume Genest : Alors tu parlais de l’observation passive à l’hôpital Cochin. Est ce que là on est clairement dans du coup de la recherche utilisateurs de l’observation extérieure. Est ce qu’il y a d’autres choses comme ça que tu mets en place pour aller au plus près des gens qui vont vraiment utiliser les services les produits les sites que tu vas réaliser.

Geoffrey Dorne : En effet toute la recherche en fait c’est quand j’ai été étudiant après les arts décoratifs j’ai fait un laboratoire de recherche en design, étudiant chercheur en design et avec des sociologues, de sémiotique, des chercheurs en sciences cognitives et aussi une dame qui s’appelle Stéphane Brabant et qui est anthropologue elle fait des ethnographies. Elle m’a appris la petite formation et nous a appris les principes l’ethnographie comment pratiquer la recherche de terrain les entretiens utilisateurs ça c’est important. En face à face faire des interviews comment conduire une interview une interview de quelqu’un ou une interview d’expert. Aussi c’est différent de comment bien formuler les questions aussi pour savoir quels matériaux on a besoin et puis après il y a aussi tout le monde parle de Shadow Wing on parle aussi d’aller observer tout ça. Et tous ces outils un petit peu on va passer l’ethnographie d’essayer de comprendre ça je fais des cartes aussi d’opportunité ou de commande en anglais. Voilà des avec des observations et de se dire voilà à partir d’une observation peut être imaginer des projets de design des choses à faire. Et après tout ça c’est intégré dans mon quotidien. Donc en fait le sais pas une démarche que je dis Bon allez je me lance je vais faire ça mais c’est fluide c’est dedans je suis indépendant. En fait c’est tout le temps connecté dans ma tête et là par exemple on est à Blend et il y a des observations des gens dans les conférences ils posent leurs ordis d’une certaine façon. Puis il y a les interactions sociales liées à des usages un peu nouveaux. Tout ça fait partie du quotidien de designers et tous matériaux ils se connectent tout à coup quand on a un nouveau projet quand on voit quelque chose d’autre on y arrive mais j’ai fait pareil. Si moi quelqu’un qui faisait ça autrement. Et moi ça me fascine et ça demande d’avoir aussi de l’empathie ou même de l’amour pour les gens de dire ils sont là je les aime bien et j’essaie de comprendre pourquoi ils font ça. J’adore parler tout à coup avec des gens que je connais pas du tout qui font des métiers et qui sont très loin du miens et de mes connaissances et de leur poser des dizaines de questions parce que c’est des univers à chaque fois avec des façons de penser de façon d’être au monde d’approcher les communautés et là ce matin c’était un peu loin pour venir ici. J’ai pris un taxi et le mec me disait que qu’il avait une application WhatsApp et ils ont un groupe Whatsapp entre les chauffeurs vont se dire où est la police. C’est comme ça parce qu’il y a il y a Waze, Coyote des applis évidemment le mieux c’est peut être ça on est entre nous on peut exclure des gens pour l’inclure et on dit oui à la police et ça on peut le trouver en discutant en observant et voilà tous ces éléments là me fascine.

Damien Legendre : Ils ont hacké un service une micro communauté.

Geoffrey Dorne : Tout à fait. Alors j’ai parlé de signal pour WhatsApp et Facebook ce n’est pas très secure mais vous savez il existe d’autres outils un peu plus chiffrés tout ça. Donc si je ne voulais pas faire de parano un petit peu.

Guillaume Genest : Du coup tu nous offre une transition assez parfaite parce que tu as sorti un livre il y a quelque temps car Citizen qui anime un podcast aussi qui s’appelle Stock. C’est quoi ton rapport avec justement cette dimension de hacking et de peut être utilisation de choses existantes pour parvenir à des fins plus peut être justement éthique ou faire détourner des fonds détournés en général.

Geoffrey Dorne : En fait le hacking ça remonte à super loin. Ben justement quand j’étais petit et qu’on avait les ordis et il y a eu internet avec mon frère on faisait des conneries. Mon frère il a un blog que vous connaissez peut être Korben.com. On bricoler on allait sur RC récupérer des IP on faisait des trucs avec des trojans mais gentils on n’était pas des gros méchants mais on s’est beaucoup amusé avec ça. En fait c’est toujours resté en moi j’ai une fascination aussi assez forte pour l’esthétique du hacking le code ver sur un fond noir tout ça je trouve ça assez fascinant. Et plus tard j’ai aussi compris la pensée du hacker. En tout cas j’essaie de l’apprécier dans son ensemble et de me dire faire des choses détourner des objets détournés des interfaces détournées plein de choses c’est de la créativité et c’est extrêmement extrêmement beau. Alors on parle de hacking pour le code informatique souvent mais en fait c’est une approche aussi globale. En fait j’ai toujours gardé ça en moi ce qui fait que le projet de diplôme que j’ai fait quand j’étais étudiant s’appelait hacking citoyen et c’était des projets sur comment éblouir une caméra de surveillance avec la lumière infrarouge. Comment protéger des cartes à puce RFID. Comment identifier les caméras de surveillance dans Paris avec un outil mobile. Plein de choses. C’était en 2008 je crois en mon Dieu et plein de choses justement qui étaient dans cet esprit dans cet esprit là. Et puis ça m’a jamais quitté. Et aujourd’hui quand on fait des projets design je me dis si on les laisse ouverts. Peut être que demain ils seront réapproprié détourner bidouiller et modifier en quelque sorte et ça me plaît de me dire que de permettre aux autres de faire des choses qui sont qui naissent d’un besoin d’une envie quelque chose de détourner et créer cette liberté là c’est assez précieux je pense que c’est une approche. Les gens ne savent pas mais on a dû couper la musique de tout l’amphi pour enregistrer le podcast on est allé sur la table de mixage et on a coupé avec la musique de l’amphithéâtre.

Guillaume Genest : La plus grande des salles de Blend.

Damien Legendre : On s’excuse auprès de Blend Web Mix.

Damien Legendre : Du coup ça nous amène tranquillement à notre dernière question qu’on a l’habitude de poser à chaque fois ce podcast. On est très curieux de savoir de connaître la dernière chose qui ce n’est pas forcément autour du design comme tu l’as et des choses qui viennent d’autres choses que le design mais que tu es tu es amené à ton métier. Est ce qu’il y a un truc en tête qui te viens là tout de suite ?

Geoffrey Dorne : Le dernier truc qui m’a bluffé c’est le jeune dont je parlais tout à l’heure qui postule à l’étape design pour faire une formation de Webdesign. Afghan qui vient d’Afghanistan et il m’a raconté son trajet il m’a dit qu’il avait appris sa langue parce que là il est passé en Allemagne en Suède en Norvège il est revenu en Allemagne en Angleterre et la il est en France. ça m’a bluffé aussi puisqu’il a fait de la prison en France il est resté une cinquantaine de jours en prison. Il était à Porte de la Chapelle dans les camps de migrants et de réfugiés. En fait il m’a vraiment raconté son parcours il m’a bluffé. Il avait un sourire il avait la banane. Il était trop content il était là et voilà je veux faire du design numérique ou de design parce que c’est important ça me plaît. Et puis je veux avoir un métier et ce qui m’a bluffé c’est sa résilience. Le mec il a vécu des trucs je pense, je n’ai pas eu le quart ou le millième de ce qu’il a pu vivre mais il m’a raconté un petit peu et oui cette espèce de résilience qu’il avait en lui je me dis, voilà si demain on doit faire du design c’est pour rendre les gens résilient, faire en sorte qu’il se relève quand il y a des trucs difficile et ça peut être pour des enfants, des personnes âgées, pour des adultes et pour tout le monde. Et même si demain on créait des outils de design qui rend les gens plus autonomes, plus résilient, plus fort, plus indépendant, on aura peut-être un peu contribuer à ça. Donc ça c’est le dernier truc qui m’a bluffé c’était ce type.

Guillaume Genest : Et c’est vrai que c’est intéressant, de garder en tête que en tant que designer ou en tant que personne qui souhaite aller dans cette direction là. On va acquérir des outils qui vont nous permettre d’améliorer les choses, et comme tu le disais, de porter un message et il y a Mike Monteiro qui à souvent fait des conférences assez alarmiste sur la responsabilité des designers face à tout ce que l’on peut voir aujourd’hui, toute la consommation numérique que les gens font, puis on voit aujourd’hui les dégâts cognitif que ça peut avoir et c’est vrai aussi que c’est intéressant et important de ce dire que quand on évolue dans ce métier ça doit créer du mieux parce que ça donne des outils pour manipuler dans le bon sens du terme le monde qui nous entoure et résoudre les problématiques.

Geoffrey Dorne : Les outils du designer sont assez puissant donc en effet ils peuvent manipuler dans tous les sens du terme et comme dit Mike Monteiro mais ce n’est pas le seul et il y a beaucoup de designers qui commence à comprendre ça : oui on à des responsabilité sur le monde et sur les gens et ça j’essaye de le transmettre aussi avec les étudiants avec lesquels je travaille et les clients aussi avec lesquels je travaille, aux associations, aux ONG, pour leur dire, on a des responsabilités parfois qui semble nous échapper et il faut en avoir conscience que la moindre chose on peut venir manipuler, tricher, tromper soutenir une certaine mouvance politique ou certaine mouvances capitaliste et réfléchir à ça et donc agir en connaissance de cause et ça c’est hyper important.

Guillaume Genest : Okay, on va se quitter sur ces bonnes paroles je pense.

Geoffrey Dorne : Merci à vous

Guillaume Genest : Merci beaucoup à Geoffrey

Geoffrey Dorne : Merci pour vos questions, c’était très agréable.

Damien Legendre : C’était très intéressant d’avoir ta vision sur la chose qui était peut être un peu étonnante par rapport à d’autre qu’on à pu faire car ça enrichit vraiment le format.

Geoffrey Dorne : Cool

Guillaume Genest : Complètement et puis du coup on va te libérer pour que tu puisses aller faire ta conférence à Blend

Geoffrey Dorne : Merci, à très bientôt,

Damien Legendre : Bon succès

Geoffrey Dorne : Salut