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SLD #12 - L’interview de Geoffrey Dorne, spécial design résilient

SLD #12 - Geoffrey Dorne, spécial Design Résilient

Après une première interview avec Geoffrey Dorne en 2018 pendant Blend Web Mix à Lyon, nous avons profité de l’évènement l’UX Deiz #10 – Concevoir demain en 2019, à Rennes, pour qu’il nous partage sa vision d’un design plus résilient.

Publié le 25 février 2020

Damien et Amélie en compagnie de Goeffrey Dorne

Geoffrey Dorne nous expliquera comment est ce que nous pouvons être un designer plus engagé et tourné vers les autres, il nous partagera également ça définition d’un design plus résilient et engagé autours d’exemples et de projets qu’il mène au quotidien.

Bonne écoute !

Damien Legendre : Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Salut les designers, alors cette fois on va retrouver à nouveau Geoffrey Dorne qu’on avait déjà eu plaisir d’interviewer Blend à Lyon en fin 2018. Et cette fois ci on le voit dans le cadre de sa venue à UXRennes où il a donné une conférence sur le thème de concevoir demain qui est le grand thème de la soirée. On avait envie de revoir Geoffrey. Cette fois-ci avec Amélie. Bonjour Amélie.

Amélie Poirier : Bonjour

Damien Legendre : Amélie qui designer aussi à Lunaweb aussi et qui a pris la place pour aujourd’hui de Guillaume, Guillaume qui était la à Blend et donc du coup aujourd’hui on avait envie d’aller un peu plus loin par rapport au sujet que l’on avait évoqué avec Geoffrey en 2018. Autour de la résilience et du designer qui se veut plus tourné vers ses semblables et du coup on aimerait aborder des sujets comme Comment est ce que nous en tant que designer on peut apporter dans notre métier des aspects plus engagés plus tournés vers les autres. On s’est notamment tu parles de ce design que tu veux résilient et engagé. Est ce que tu saurais nous donner une définition de ce design? c’est quoi la définition du designer résilient et engagé ?

Geoffrey Dorne : Merci de me recevoir à nouveau ce podcast et puis très content d’être reçu par LunaWeb on est très bien reçu, je tenais à le dire déjà voilà. Alors qu’est ce que c’est qu’être engagé. Qu’est ce que c’est d’être résilience. C’est des termes qui méritent d’être définis. L’engagement on peut tous s’engager pour des causes pour des missions pour des projets dans sa vie en général. Ce n’est pas une obligation mais un certain degré d’engagement. On s’engage pour sa famille pour ses proches ou on s’engage aussi pour un métier une vocation. Il y a beaucoup de façons de beaucoup de façons de le faire. Pour moi en tout cas dans le design la façon dont moi je le témoigne et dont je le vis. C’est d’abord le fait de s’engager dans le design c’est d’abord dire non. C’est un designer qui dit non. C’est le premier pas. L’engagement c’est de refuser. Après on dit oui on accepte des projets etc. Mais moi la première marche c’est justement d’arrêter  de monter tout le temps les escaliers et juste de s’arrêter de dire non ça c’est la première étape alors qu’on est en freelance on pourrait croire que c’est plus facile que quand on est en entreprise. Et encore ce n’est pas forcément vrai. En entreprise on a des interlocuteurs on peut discuter avec son staff on peut discuter avec son patron on peut discuter avec les clients etc. Quand en freelance on peut aussi parfois juste avoir besoin d’argent et se dire OK si je dis non je ne mange pas à la fin du mois. Donc ce n’est pas toujours facile dans les deux cas. Malgré tout pour moi c’est la première étape. La deuxième étape ensuite c’est tout simplement comment on dit non et pourquoi on dit non c’est de dire voilà on dit non parce que le business model du client est contre productif par rapport à nos engagements il va détruire la biodiversité le vivant. Donc on va dire ok. Non je ne veux pas le faire ou alors dans ce cas là on va redesigner ton business model on va travailler ensemble. On peut dire non aussi parce que je ne sais pas le projet il est sexiste ou parce que le projet, il est contre certains idéaux etc. Dans ce cas là on peut dire non aussi pour ces raisons là. Et après comment on dit non on peut dire non de façon très polie en disant: Je n’ai pas le temps. Pardon je suis débordée. Je n’ai pas le temps je refuse. Ou alors on peut dire non. En essayant d’expliquer pourquoi en faisant de la pédagogie ce n’est jamais très évident d’expliquer non pourquoi je ne veux pas travailler sur tel ou tel projet. Parce que ce projet ne correspond pas à mes valeurs ou à mes engagements. Ce sur quoi je milite depuis 20 ou 30 ans 10 ans 2 ans et au final d’arriver à expliquer ça je pense c’est pas évident mais c’est un souci de droiture aussi et on se sent beaucoup mieux. Donc pour moi aujourd’hui sur la question du design engagé et aussi sur le design resilient. J’avais noté à peu près 4 quatre points principaux le design résident déjà c’est un design qui ne rend pas accro on n’est pas là pour rendre accros les utilisateurs les gens les gens pour qui on travaille. Si on fait du design qui va les rendre dépendants. Pour moi c’est pas du design résilient. La résilience c’est pouvoir revenir à un état normal c’est pouvoir absorber les coups durs les chocs etc.. Si on rend les gens accros ils sont dépendants et ils vont avoir besoin de nous de notre travail de sans cesse des services que l’on va produire. Pour moi ça c’est le premier point qui est critique. Le deuxième point sur le design Résilience c’est un design qui rend intelligent. Donc ça rend l’utilisateur plus sensible plus intelligent peut être parfois plus compétent plus rêveur plus poétique. En tout cas ça va augmenter entre guillemets l’utilisateur a la personne pour qui on travaille et ça ne va pas on va dire le réduire. Réduire les gens ont les dé-capacitant en enlevant leur capacité à faire des choses. Troisième point c’était le design qui permet aux gens de se passer de design. Si on fait un beau projet au bout d’un moment la personne se dit ça y est j’ai plus besoin de ce que tu as conçu pour moi. Je suis grand j’arrive à faire sans c’est gagné. On est content on se dit OK je vais pouvoir me libérer. Je vais aller faire autre chose. Et ça c’est important de se dire ok. Comment les gens vont pouvoir se passer de nous passer se passer du  service que j’ai conçu se passer du travail que j’ai fait et peut être de pouvoir continuer sa route. C’est toujours gênant quand on est un peu freiné ou bloqué. Et puis bon le dernier point sur la question du design résidence c’est le design qui favorise le vivant la diversité, la diversité des opinions des gens, la biodiversité du vivant en général la diversité du végétal de l’animal tout ça. Pour moi c’est ça qui me fascine dans ce design résilient parce que plus il y a de diversité plus quand il y a un choc quand une perturbation et on en connaît de plus en plus et bah plus le système peut se rétablir à peu près convenablement. Et quand je parle de système, je parle du vivant pas forcément un système capitaliste ou un système économique en place ou politique plutôt le système du vivant en général.

« "Le design Résilience c'est un design qui rend intelligent" »

Amélie Poirier : Okay, c’était très complet.

Geoffrey Dorne : J’essaye. Concret

Amélie Poirier : On avait envie de savoir aussi comment est ce que tu as appliqué dernièrement cette problématique de design résilient dans ton dernier projet ou tes derniers projets. Est ce que tu as des exemples à nous donner ?

Geoffrey Dorne : Peut être quelques exemples très concrets. En effet déjà c’est un vrai combat c’est jamais gagné c’est une lutte, c’est difficile, il faut se battre, ce n’est jamais parfait. Et donc j’essaye dans les différents projets que je mène ou de rendre un petit peu plus autonome les gens et la façon dont on peut travailler. Donc là récemment j’ai travaillé avec une classe d’étudiants en design pour travailler avec eux autour d’outils d’émancipation citoyenne. On est venu me chercher pour faire Workshop dont l’objectif était de créer des prototypes numériques interactifs. C’est un peu le deal et donc on a essayé d’être avec les étudiants sur comment se passer de Google Maps pour se déplacer dans une ville. Est ce qu’on peut le faire? Comme on le fait? avec des images etc.. Comment on peut se passer des sites de rencontres pour rencontrer des gens? Parce que oui pour eux c’est une vraie problématique. Comment est ce qu’on peut faire en sorte que les gens apprennent à mieux se servir des dispositifs électroménagers qui sont déjà chez? les frigos ou les machines à laver etc.. Comment est ce qu’on optimise? Voir comment est ce que plus tard on peut s’en passer? Dans une classe ça a été un petit peu perturbant parce que les étudiants n’avaient pas l’habitude de se dire d’entrer dans cette pensée là et puis aussi de se dire OK derrière il n’y a pas forcément de business model, on ne travail pas forcément pour un client. On ne travaille pas forcément pour rendre les gens un peu addicts accros avec des mécaniques un peu parfois pernicieuses. Là l’idée c’était au contraire de libérer les gens pour qui on travaille. ça c’est un exemple de projet récemment aussi sur la question de résilience. Je travaille avec une avocate dans une association sur les droits des femmes et on est allé interviewer différentes femmes avec des parcours souvent complexes, compliqués avec des questions de divorce des questions, de parentalité très complexes, des questions de chômage etc. Puis parfois tout ça s’est mélangé donc ça crée des situations encore plus complexes. Donc on a fait beaucoup d’interviews on a essayé pu recueillir beaucoup de insight, de la matière, des informations. Et l’idée c’est de pouvoir faire resurgir des choses et quelque chose qu’on a fait resurgir qui nous a paru assez marquant c’est que beaucoup de ces femmes n’avaient pas forcément accès ou connaissance de leurs droits. En France on a plein de droits qui sont parfois très très bien. Et l’idée ça été de pouvoir créer comme ça un système de petits jeux de cartes, de cartes à jouer toute simple avec des illustrations ou des citations, des citations sur les droits des femmes les articles de loi avec des numéros d’urgence sur le divorce sur les femmes battues sur les droits d’accès au logement etc. Et donc de pouvoir aussi distribuer dans cette association ces petits jeux de cartes. Pour dire voilà maintenant vous pouvez vous emparer les distribuer autour de vous aussi sur une carte où toutes les cartes peu importe où jouer aux cartes parce que c’est un vrai jeu de cartes si on veut. Et puis tout à coup de se dire Ok maintenant c’est bon j’ai compris certaines informations je n’en ai plus besoin donc je peux le donner à quelqu’un d’autre. C’était un deuxième projet dans le troisième projet je travaille que Framasoft qui développe beaucoup de logiciels libres en France notamment. Et là on travaille sur un outil c’est le début un outil pour que les engagés puissent s’organiser. Donc les engager c’est au sens large ça peut être pour une manif, pour une révolution, aussi une réunion d’association ou alors une fête de quartier quelque chose de plus modeste plus simple. L’idée c’est tout simplement de faire en sorte que les gens puissent s’engager concrètement librement sans forcément donner leur nom, leur genre, leur vraie identité. Parce que voilà et aussi qu’il puisse sortir de Facebook parce qu’actuellement ils le font sur Facebook et a beaucoup de contraintes de censure etc etc. L’idée, c’est de dire : Vous êtes autonome, on va vous rendre le plus autonome possible avec vos outils qui existent déjà mais vous allez faire autrement et de façon peut être plus libres. Et là en ce moment, dernier élément, il y en a plusieurs mais un des derniers que j’ai choisi pour travailler sur l’émancipation et on va dire la résilience. Là je travaille sur une revue qui je travail sur le design de cette revue qui va aborder les questions de l’effondrement de la société thermo-industrielle. Comment est ce qu’on peut créer une résilience collective, individuelle on va dire physique et aussi psychologique ou parfois spirituel. Et d’aborder on va dire toutes ces questions qui peuvent être parfois un peu lourdes etc. Mais au travers d’articles, d’interviews etc etc. Pour qu’on puisse aussi se préparer un peu à ça plus sereinement et puis peut-être plus autant son cœur que son cerveau.

« "J'essaye dans les différents projets que je mène, de rendre un petit peu plus autonome les gens et la façon dont on peut travailler" »

Damien Legendre : Les exemples que tu donnes c’est des exemples qui sont engagés déjà par nature. En fait on sent que les sujets sont des sujets qui sont tournés vers les gens de toute façon, on aurait quand même tendance à imaginer que sur des projets où les enjeux financiers sont plus lourds où on a vraiment une logique très commerciale, mercantile, capitaliste de marquer que c’était un peu plus dur d’essayer d’amener ces projets vers plus d’engagement plus et plus de résilience peut-être que tu as rencontrer des échecs ou même des succès en particulier, tu as des exemples en tête ?

Geoffrey Dorne : Alors pour moi c’est une grille de lecture. C’est vrai qu’il y a des projets qui dont le but n’est pas justement l’émancipation et ça va à l’inverse de ça. Donc personnellement j’essaye de pas ça me demande beaucoup beaucoup d’efforts de lutter contre ça. Je préfère ne pas travailler pour essayer de retourner totalement mon système parce que pour moi c’est éreintant et c’est extrêmement compliqué et fatigant. Donc ça je ne peux pas par contre des fois il y a des entre deux en disant tiens il y a un petit champ un peu libre un terrain un peu libre comme pour l’école, il m’on laissait un peu libre. J’aurais pu dire on fait des applications pour la santé, le sport ou pour n’importe quoi d’autre. J’ai choisi ce sujet là, il y a l’UNESCO aussi, récemment ils m’ont contacté pour faire des ateliers avec des enfants. J’aurais pu dire voilà on va faire redorer l’image de l’Unesco auprès des communautés je ne sais pas quoi etc. Là on a travaillé avec les enfants sur la réalisation d’un petit livre pour que eux puissent eux mêmes écrire leur Déclaration des droits de l’homme et de la femme et de l’enfant. C’était assez c’était assez mignon joli en même temps ça leur permettait tout de même d’avoir les reines et les guides pour choisir. Mais c’est vrai que sur des structures d’entreprise il faut arriver je pense à expliquer tout les, on parle beaucoup de Dark patterns aujourd’hui d’arriver à expliquer aussi que instinctivement parfois une entreprise va c’est dire. Bon bah voilà si on veut un retour sur investissement de notre notre produit notre service il faut que les utilisateurs prennent un abonnement et que chaque mois ils s’abonnent. Et peut être qu’au bout d’un moment ils auront oublié de se servir d’un service mais ils vont rester abonnés à notre truc et donc nous on gagne de l’argent etc. il y a des modèles un peu comme ça en se disant voilà c’est ça peut peut être fonctionner. Pour moi j’essaie toujours de quand je me retrouve devant ce genre de structure ou de service au système. Toujours dire : moi à votre place et vous les utilisateurs si vous étiez à la place de vos utilisateurs. Comment est ce que vous ressentez ça. Est ce que ça vous plairait. Honnêtement et c’est là où l’on parle d’honnêteté de valeurs etc. et parfois les entreprises parfois peuvent pivoter ou aligner certaines choses.

Damien Legendre : Tu développes un peu la partie empathique de leur cerveau.

Geoffrey Dorne : C’est ça c’est ça totalement voir après. Là je travaille en ce moment avec Dot qui est une structure qui travaillent sur le légal design, ils sont à Helsinki et à Paris et en fait, voir ça peut devenir un atout ou un avantage de dire voilà nous on va vous montrer le legal design. C’est pour rendre aussi les contrats des choses comme ça qui sont parfois un peu lourdes, lisibles, clairs, intelligible pour des gens comme des gens normaux comme vous et moi. Et puis de dire voilà on essaye pas de m’entourlouper ou de m’avoir etc. J’ai quelque chose de très clair très lisible et ça par le design on peut le mettre en place et en fait si raconte ça c’est tout simplement parce qu’en fait si demain une structure ou une entreprise qui dit voilà nous on met en avant que dans nos contrats c’est clair c’est net. Il n’y a pas l’entourloupe et tout est expliqué simplement. Au moins vous savez ce que vous signez bah ça peut faire partie de la valeur d’entreprise, ça peut faire partie des valeurs de la structure donc d’arriver à détourner ce qui pourrait être une faiblesse ou quelque chose un petit peu tremblant en une force, une revendication sans faire du greenwashing ou bullshit washing ou tout ce qu’on veut mais en disant voilà peut être qu’on peut faire pivoter une structure mais là encore ça demande beaucoup de beaucoup d’efforts.

Damien Legendre : Tu l’as peut-être déjà cité mais du coup parmi les projets dont tu as parlé il y en a un dont tu es particulièrement fier ou c’était peut-être un autre dont tu nous en as pas parlé.

Geoffrey Dorne : Est ce qu’il y en a un sur lequel je suis vraiment fière ?

Damien Legendre : Celui dont tu as envie de parler à chaque fois parce que c’est celui qui t’as vraiment réussi à aboutir toute la chose.

Geoffrey Dorne : C’est une bonne question, en général je reviens pas fier. J’ai pas de fierté sur les projets. Quand la mission est arrivée jusqu’au bout et que le client est content les utilisateurs sont contents. C’est bon je passe à autre chose et mission. Il n’y en à pas en particulier c’est en général je passe très vite quand le projet terminé et tout s’est bien passé j’oublie tout et j’avance.

Damien Legendre : C’est peut-être pas fierté qui était le bon terme mais en gros c’est celui où t’as vraiment un sentiment que la mission est remplie ça a été ça à servi au final.

Geoffrey Dorne : Bibliothèques sans frontières par exemple c’était un chouette travail c’était un travail pro bono. Donc je n’ai pas été payé pour ce travail mais c’est un travail où j’ai donné mon temps et l’idée c’était tout simplement de faire une interface pour rendre accessible des contenus multimédia, numériques, textes, mooc, vidéo, apprentissage. Plein de choses de contenu numérique dans une box Wi-Fi comme une Pirate Box qui diffuse un réseau Wi-Fi dans les Ideast box des bibliothèques qui sont mis sur la route des réfugiés, dans des camps de réfugiés etc. Donc l’idée c’est de faire une interface qui fonctionne en anglais, en arabe, en français et qui soit la plus simple et la plus qui rend les gens les plus autonomes possibles sans qu’elle soit toujours portée par quelqu’un etc.. On a bossé j’ai fait le taf ils sont contents ils sont en train de développer tout va bien jusqu’ici ça roule.

Amélie Poirier : C’est vrai que quand on entend parler tu interviens dans plein de domaines différents. Est ce que tu penses aujourd’hui à un design résilient, c’est universel, est ce que ça peut s’appliquer à tous les domaines?

Geoffrey Dorne : C’est une très très bonne question. Merci de me la poser. Pour la question de la résilience, pour moi la question de la résilience donc le fait pareil que l’on puisse se relever quand il y a un choc, qu’on puisse se rééquilibrer quand quelque chose qui perturbe l’ensemble. Ce n’est pas forcément universel c’est plutôt le local c’est plutôt ancré sur un territoire, ancré sur une communauté, ancré sur des gens. Souvent on imagine le design universel comme une solution à tout le monde en même temps c’est un peu une utopie. Pour moi c’est un reflet aussi de la globalisation, de la mondialisation de ce dire on va faire les mêmes produits pour tout le monde alors que au contraire il faut faire des produits ou des services etc… qui soient spécifiques pour des communautés pour des lieux, pour des cultures, pour des âges, même si parfois on peut mélanger les âges, on peut mélanger les cultures, on peut mélanger les communautés. C’est hyper intéressant mais le côté universel, pour moi il est utopique et je pense qu’au contraire, ça peut sembler être une bonne idée mais pour moi une fausse bonne idée. J’aime bien essayer de concevoir des systèmes pour vraiment prendre en considération toute la partie en amont c’est à dire faire une analyse ethnographique observer les usages comprendre le territoire les gens leurs besoins et à partir de là commencer à transformer toutes ces observations très locales voire hyper locales sur des choses très concrètes tangibles. Après si demain ce qui est fait localement avec des gens, on les met en licence en créative commun je sais que ça peut servir à l’autre bout du monde par d’autres personnes. Tant mieux mais en général j’essaie jamais d’atteindre une certaine universalité parce que à chaque fois c’est très différent. Pareil la résilience c’est par rapport à des chocs à tous les chocs sont différents, ça peut être un effondrement économique, ça peut être des gens qui tombent malades, ça peut être juste des problèmes politiques, il peut y avoir plein plein plein de choses et ça on peut jamais l’anticiper. Donc j’essaye de c’est pour ça  je me dis il va y avoir du boulot tout le temps pour plein de designers parce qu’on a autant de territoires que de designers et on va manquer de designers pour tous ces territoires. Et je pense aussi qu’il faut s’attacher aux lieux et aux gens sur le lieu pour prendre le temps aussi pour éviter de tomber sur des statistiques ou des chiffres ou des courbes et tout ça et plutôt être dans du qualitatif comme on dit.

« "Je pense aussi qu'il faut s'attacher aux lieux et aux gens sur le lieu pour prendre son temps et aussi pour éviter de tomber sur des statistiques, des chiffres ou des courbes pour être plutôt dans du qualitatif." »

Damien Legendre : On est un peu curieux de te connaître, on voit que tu aimes les projets engagés et si on t’ouvre un peu à la porte de tous les projets, tu peux faire ce que tu veux sur terre. C’est quoi le projet engagé ou résilient qui fait vraiment kiffer sur lequel travailler.

Geoffrey Dorne : C’est une bonne question pour moi le prochain projet qui me ferait kiffer de travailler c’est comment arriver à ne plus être designer en quelque sorte. Voilà comment est ce que dans ce métier on peut le transformer jusqu’à ce que se poser la question est ce que c’est encore du design ou pas? Aujourd’hui je travaille le bois et d’autres choses j’essaye de travailler la permaculture, d’évoluer dans des chemins de traverse qui sont parfois très loin du design. Et pourtant je garde mon cerveau designer et mes capacités de designer. J’essaie d’ouvrir ça très très largement et puis aussi de rétribuer le design de dire OK il y a certaines choses qui sont pour moi ne sont peut être plus du design. Si demain est ce qu’on fait du design qui va détruire la planète, qui va détruire des populations qui va faire des guerre. Est ce qu’on a encore le droit d’appeler ça du design. Est ce que ça mérite le mot design. C’est une question que je me pose. Et puis après sur les questions de projets dont je rêverais c’est aussi revenir à des choses qui sont non numériques.

Revenir sur du letterpress, sur du travail du bois que je racontais un peu toute à l’heure sur de l’affiche à la main etc. Toujours dans cette idée de localités, de faire des choses avec les gens sur place de façon locale et aussi pour anticiper la suite et aussi pour rejoindre des choses très simples physiques, concrètes, matérielles. Donc voilà un petit peu dans l’idéal vers là où j’aimerais me diriger tout doucement.

Amélie Poirier : Une question également avec examiner nous en tant que designer en agence. Est ce que tu aurais des suggestions ou des astuces à nous donner pour rentrer dans ces problématiques d’un design engagé et résilient.

Geoffrey Dorne : Alors ça c’est une vraie question que l’on me pose souvent sur la question de l’agence ou de dire voilà Geoffrey toi t’es freelance parfois tu peux faire un petit peu comme tu veux etc. En agence par exemple j’ai un ami qui dans une entreprise et ils sont en holacratie c’est à dire qu’il n’y a pas de manager il n’y a pas de patron et décide ensemble de quel projet il faut rentrer ou pas dans l’entreprise ils décident ensemble des salaires de chacun donc ça permet aussi de créer un vrai dialogue avec des vrais enjeux. Et enfaite ils décident vraiment de façon extrêmement horizontale toutes les décisions donc demain si ici vous décidez par vote commun et tout le monde a la même voix en disant tiens il y a tel client qui veut nous rejoindre qui veut nous faire travailler. êtes vous d’accord ou pas. Oui Non. Ce serait intéressant au moins ça crée des débats ça crée des sujets.

Damien Legendre : C’est de l’horizontalité aussi.

Geoffrey Dorne : Complètement complètement, ça c’est pour moi c’est un premier point à aller creuser du côté de l’holacratie. Il y a des très beaux, il y a une charte y a pas mal de choses qui sont écrites là dessus. Ensuite en parlant de charte justement pour moi ce serait intéressant qu’une structure comme la vôtre comme des agences puissent écrire une charte et s’y tenir. Dire voilà nous on s’engage à ça à reverser 20% de nos revenus à telle structure ou à la réinvestir dans des multiplicités public et social etc. De dire voilà on affiche ça on va le tester c’est du prototype, on est en agence on essaie des choses etc. Et puis on essaie de s’y tenir de dire voilà on va refuser tel produit tel projet on va s’engager sur ça etc. Pas mal de structures le font et je pense que si demain le fait de l’afficher et d’en faire une certaine valeur ça peut être intéressant et surtout ça crée de la cohésion dans l’entreprise. Ce n’est pas juste nous on est fort dans nos compétences techniques mais aussi on est fort dans l’esprit de notre entreprise dans les valeurs que l’entreprise porte. Et ça ça crée de la cohésion. Ensuite il y a aussi une question qui est hyper délicate quand on est en agence c’est l’action de la croissance infinie. C’est jusqu’où on n’arrive à trouver cet équilibre. Est ce qu’une entreprise qui se dit bon bah voilà aujourd’hui vous êtes 18. Demain il va falloir si vous voulez continuer à faire 24 50 200. Toujours agrandir agrandir agrandir et y voir de plus en plus de contraintes de faire de plus en plus de choix parfois douloureux compliqué. Est ce qu’on peut trouver un équilibre? Moi c’est une question que je me poserais en tout cas en agence c’est à dire OK on veut rester 10 pas plus. Comment on fait pour les 10 vive bien puisse faire des projets convenables et mettre en avant notre charte, notre éthique, nos valeurs etc. Et toujours garder cet équilibre là sans chercher une croissance toujours exponentielle parce qu’une croissance exponentielle pour moi c’est ce qui cause toujours un effondrement au bout d’un moment ça grimpe, ça grimpe, ça grimpe et puis un jour boum ça retombe et donc d’arriver à trouver cet équilibre. En tout cas en agence il serait intéressant d’arriver à le créer autant dans les projets, que dans la charge de travail, que dans les finances aussi d’une entreprise. Je me dis que c’est aussi possible et voir aussi que travailler plus pour décroître plus c’est comment est ce que notre entreprise va se stabiliser? voire elle va trouver cet équilibre et on va travailler pour ça on va mettre des efforts pour arriver à créer cet équilibre parce qu’en fait ça demande beaucoup d’efforts à avoir un équilibre plutôt que d’aller toujours à fond pour augmenter toujours tout de plus en plus.

« "Aujourd'hui je travaille le bois et d'autres choses j'essaye de travailler la permaculture, d'évoluer dans des chemins de traverse qui sont parfois très loin du design." »

Damien Legendre : C’est intéressant que tu parle d’effondrement. C’est un peu dans la suite logique des questions que nous on avait en tête c’est que effectivement c’est un sujet dont on parle beaucoup tu avais notamment parlé d’un bouquin à ce sujet à Blend.

Geoffrey Dorne : Comment tout peut s’effondrer de Raphaël Stevens.

Damien Legendre : Exactement et du coup on commence à sentir ça tangible on sent que cet effondrement il est un peu inéluctable il va arriver et du coup nous on est un peu en train de se demander okay c’est quoi comment vivre l’humain dans tout ça? Mais aussi quel va être notre place à nous de designer là dedans. Nous on a un peu l’intuition en parlant avec toi et aussi parce que ce que l’on n’aura peut être pas besoin forcément de nous parce que les gens vont réussir à débrouiller tout seul et que tout ne cool pas du design. C’est quoi ton avis la dessus ?

Geoffrey Dorne : C’est une vaste question vous avez trois heures !.

Damien Legendre : C’est ça c’est un problème de philo mais je pense qu’au BAC qu’ils vont la pomper celle-là.

Geoffrey Dorne : Dédicace à tous les étudiants qui nous écouterons. Bon déjà sur la question de l’effondrement tout ne va pas s’effondrer, tout ne s’effondrera jamais. Aujourd’hui on a les animaux qui disparaissent, on a les poissons et les insectes 50% ont disparu en je ne sais pas combien d’années mais les humains aussi disparaissent doucement. Nous on est à Paris on est en France. Moi j’habite à Paris et vous êtes à Rennes ça va mais il n’y a pas de pays en guerre. Il y a des changements climatiques assez douloureux les zones désertiques dans lesquels les gens ne peuvent plus aller ça aussi a s’effondre tout doucement tout doucement. Malgré tout il va toujours rester un gros caillou qui est la terre. Il y aura des plantes. Va peut être rester des trucs quand même après tout ça il restera quelques insectes et tout ça. Mais voilà donc moi l’idée c’est de me dire OK qu’est ce qu’on fait ? Est ce qu’on fait du design pour ralentir tout ça pour ralentir cet effondrement ? Du design qui va aller faire en sorte que les humains disparaissent moins vite, peut-être encore un peu d’insectes pendant un certain temps les animaux, les poissons, les oiseaux etc. Puissent continuer d’être le plus longtemps possible donc la on freine le plus possible cet effondrement on peut faire du design dans ce sens là. On peut œuvrer, militer, donner de l’argent, faire des projets en ce sens ça ça peut être une voie. La deuxième aussi c’est de dire OK sinon on fait du design pour ce qu’il va rester c’est à dire pour la Terre au global donc est ce qu’on fait du design pour planter des trucs qui dans 200 ans 300 ans mille ans vont resurgir vont repousser vont exister et donc pour favoriser tout ce que j’ai tout à l’heure sur la diversité du vivant. Et puis en ce qui concerne les humains Bah pour moi. Voilà est ce qu’on va encore avoir besoin de designers ou d’agences de design etc. Oui si l’objectif du designer c’est justement d’émanciper les gens. Si tout à coup on se dit voilà le designer permettent l’émancipation de chacun du collectif. De rendre les gens vraiment le plus résistant possible. Bon bah là on a besoin de designer pour former ces gens pour leur donner les outils pour faire ça pour leur montrer les processus pour arriver vers là pour créer du collectif. Il y a beaucoup de design d’intelligence collective, on appelle ça donc pour voir comment est ce qu’on peut échanger en faisant du dialogue non agressif pour créer de la cohésion pour créer de l’intelligence vraiment commune.

Et ça pour ça il y a beaucoup de process de design, il y a beaucoup de formes de design. Le design numérique peut aussi aider là dedans, le design d’interface peut aider là dedans, le design d’objet aussi. Et pour moi tout ça c’est, si on le prend sur une échelle très court terme c’est vraiment le fait d’accompagner l’autonomie individuelle et collective l’échelle d’un peu plus long terme c’est de ralentir cet effondrement du vivant dans son ensemble et puis une échelle sur plus long terme, c’est comment est ce qu’on va favoriser la repousse la repousse pour plus tard pour demain et ça ça peut passer par plein de choses demain vous qui faites du Web vous pouvez créer un système de capsules numérique qui reviendra peut être dans 200 ans sur la terre ou dans mille ans et avec du contenu précieux que l’on est en train, on va perdre plein de trucs malgré tout et comment est ce qu’on va garder ça? Ou alors est ce qu’on va créer des systèmes qui vont tout simplement essaimer des graines régulièrement tout le temps dans des endroits qui pourraient s’effondrer ou alors tout simplement on continue notre métier mais c’est au travers du clients avec qui on travaille qu’on essaie d’induire en tout cas cette sensibilité là. Je pense qu’il y a pas mal de façons de faire mais en tout cas tout s’effondre pas, tout ne va pas disparaître. Donc autant essayer peut être de préserver ce qui va rester un petit peu ou alors de ralentir cette grosse disparition qui peut paraître vachement lourde inquiétante etc. anxiogène bon voilà alors autant le vivre le mieux possible et en tout cas l’aborder de façon à peu près sereine même si c’est pas évident serait.

Damien Legendre : C’est plus philosophique et plus douce.

Geoffrey Dorne : Oui bien sûr sinon on peut se battre très fort c’est très dur mais on perdra à la fin. Clairement quand on voit Coca-Cola qui a annoncé qu’il allait mettre moins de plastique dans leurs bouteilles parce que tout simplement il passe de 1L5 à 1L25, les gens les applaudissent alors qu’en fait la bouteille coûte le même prix et donc…

Damien Legendre : Il faut toujours être en plastique pour autant finalement.

Geoffrey Dorne : Bien sûr et ça reste toujours n’importe quoi, voilà donc pour moi c’est des, on peut se battre contre tout ça énormément il y en a qui vont le faire ça va être très fatiguant mais pour moi c’est un combat presque perdu d’avance sur ce côté là. Donc autant aller de l’avant et parler d’anticiper la suite.

« "Sur la question de l'effondrement tout ne va pas s'effondrer, tout ne s'effondrera jamais." »

Amélie Poirier : Et du coup pour clôturer cette interview on voulait toujours danser chez nous pour alimenter un podcast. Si tu avais des personnes à nous donner en référence ou tu apprécie leur travail ou bien des problématiques qu’ils développent à nous conseiller.

Geoffrey Dorne : Alors ils sont nombreux mais j’en ai choisi trois. Je vais les faire par un ordre dans lequel je les ai connu d’abord il y a Etienne Mineur qui est un designer qui est pour moi une des personnes qui m’a toujours inspiré dans le design, Etienne Mineur, c’est quelqu’un d’extrêmement généreux qui fait du design qui mélange l’interactivité et le papier, qui mélange, qui a créé une maison d’édition qui s’appelle Les éditions Volumiques et ils font des jeux et font des livres ils font des choses toujours un peu étranges et Etienne il est toujours dans la création mais au sens noble du terme. Il sait aussi bien dessiner, que coder faire des sites, que de trouver des idées dans tous les sens. Pour moi c’est un des pères du design français contemporain. Donc n’hésitez pas à le contacter de ma part par occasion peut-être qu’il pourra vous répondre. Ensuite il y a Julie Stephen Cheng avec qui justement j’ai travaillé dans le même atelier que Etienne Mineur ont étaient tous ensemble dans le même atelier. Elle est un peu plus jeune que moi. Elle travaille beaucoup aussi sur la magie des lieux donc elle crée des personnages qui viennent s’approprier des lieux des personnages numériques ou des personnages de papier des personnages illustrés et elle développe tout un univers qui vient réenchanter un petit peu la façon dont on voit les choses. C’est souvent un univers animiste donc on remet du vivant dans des espaces qui ne sont pas forcément vivants. Je trouve ça assez beau. La dernière personne c’est Jérémie Fontana qui a un très bon ami à moi et qui essaye beaucoup d’humilité de défendre des valeurs sur les questions de vie privée notamment et dans son entreprise qui en est holacratie justement. Il essaye de militer activement au sein de l’entreprise sur les questions de vie privée et dans tous les projets sur lesquels il travaille. Il essaie toujours de rappeler à ses clients avec qui ils bossent que oui la question de vie privée et de respect des utilisateurs, c’est hyper important et donc c’est un vieux hacker et on s’entend très bien aussi sur ces sujets là donc n’hésitez pas non plus à le contacter de ma part ça sera avec plaisir.

Damien Legendre : Bon en tout cas merci beaucoup pour cet échange, c’était au moins aussi intéressant que la dernière fois.

Geoffrey Dorne : C’était un plaisir pour moi aussi. Merci beaucoup.

Damien Legendre : Et on se dit à ce soir du coup pour l’UX Deiz et puis au plaisir de se revoir.

Geoffrey Dorne : Également.

Amélie Poirier : merci.