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L’éco-conception peut-elle limiter l’impact environnemental d’Internet ?

Interview – De plus en plus de voix militent pour un web écolo, recourant aussi peu que possible aux ressources non renouvelables, notamment lors du développement des sites. Doux rêve ou nécessaire frugalité ? Manuel Taraud, développeur front-end de l’Agence, fait le point sur ce virage qu’Internet pourrait prendre grâce à l’éco-conception.

 

 

Publié le 03 mars 2021 par Guirec Gombert

L'éco-conception pour limiter l'impact environnemental d'Internet

[Mise à jour mai 2022 : nous avons créé un espace dédié à l’éco-conception web et la sobriété numérique collectant toutes nos productions]

5G, sites gourmands en énergie fossile, obsolescence programmée de nos outils numériques… Le poids d’Internet dans les émissions de gaz à effets de serre est de plus en plus important, dépassant désormais le bilan carbone du secteur aérien. Si rien n’est fait, son empreinte environnementale pourrait même doubler d’ici 2025. Face à ce constat, l’éco-conception est-elle une réponse envisageable ? Explications.

Quel est l’impact du numérique sur l’environnement ?

Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, on estime que le numérique représente 4 % des émissions de gaz à effet de serre. Cela englobe l’intégralité de la chaîne : de l’électricité nécessaire au refroidissement des serveurs en passant par les infrastructures type antennes relais ou encore les métaux rares qu’on retrouve dans nos portables.

Si ce chiffre peut sembler énorme c’est parce qu’on ne voit pas toujours comment fonctionne Internet. Pour résumer, chaque fois que vous faites une recherche sur le web, l’ordinateur envoie cette requête à votre box qui la redirige dans le réseau vers le bon serveur, passant par tout un tas de routeurs et autres dispositifs… Multipliez cela par les presque 7 milliards de recherches effectuées chaque jour dans le monde et vous comprenez un peu mieux l’impact environnemental du numérique.

> Allez plus loin avec notre article : L’écoconception, pour des interfaces plus vertueuses

Interview Manu Eco-conception

D’autant qu’au cours des 30 dernières années, le poids moyen d’une page web a augmenté de plus de 110 %, nécessitant encore plus de ressources énergétiques…

C’est juste : à la base, les pages web étaient très basiques contenant principalement du texte. Quand Internet s’est démocratisé, les usages ont explosé et pour se démarquer de la concurrence, les créateurs de sites ont ajouté des images, des vidéos, autant d’éléments qui alourdissent le poids moyen des pages et demandent davantage d’énergie pour y accéder.

Pourtant, en termes de performance, il est préférable de concevoir des sites « allégés », non ?

Oui, mais… La puissance des connexions Internet permet de pallier ce problème. Même avec beaucoup de photos, un site est accessible en quelques millisecondes. Aujourd’hui, pour Google, ce qui compte dans le référencement, c’est que les sites soient responsives et rédigés avec un contenu unique, de qualité.

La question de leur poids est surtout pointée du doigt par ceux qui s’intéressent à l’éco-conception. La crise sanitaire et écologique que nous traversons leur donne raison et on peut imaginer que le poids total d’une page web devienne, un jour, un critère direct de référencement.

Chiffres-pollution-internet-lunaweb

« Un site éco-conçu n’empêche pas de se faire plaisir sur la mise en page »

Précisément, comment l’éco-conception peut-elle limiter l’impact environnemental des sites Internet ?

Il est possible de réduire la taille d’un site en limitant les données, comme les photos et vidéos, mais il est aussi possible d’abaisser le nombre de requêtes. Je m’explique : lors de la phase de construction d’une page web, les développeurs doivent interroger la base de données pour récupérer l’information à afficher. Il arrive que plusieurs requêtes soient effectuées pour récupérer différents types de contenus, ce qui à pour conséquence de solliciter le serveur à plusieurs reprises.

Pour éviter cela, il est possible de mettre “en cache” la page après la première construction afin de la délivrer directement aux prochains utilisateurs, sans repasser par le processus de construction.

Autre possibilité : le rendu du site. Typiquement, en évitant d’utiliser certaines propriétés et animations gourmandes, ou en les optimisant, il est possible de limiter les calculs de rendus complexes et ainsi réduire l’utilisation de nos processeurs et donc l’obsolescence des téléphones, dont la fabrication fait exploser notre impact environnemental.

En termes de design, un site éco-conçu n’a-t-il pas une apparence un peu trop cheap pour les utilisateurs ?

Il y a clairement des éléments que l’on va éviter d’utiliser à outrance : les très grandes photos illustratives et les vidéos seront remplacées par des images vectorielles bien moins lourdes à charger. Mais cela n’empêche pas de se faire plaisir sur la mise en page. Simplement les contraintes ne sont pas les mêmes.

Il faut aussi réfléchir à la pertinence de tous les éléments d’un site et se demander si, par exemple, il est vraiment utile d’ajouter un moteur de recherche.

Surtout que 80 % des fonctionnalités ne sont jamais utilisées par les internautes…

Les clients ont tendance à en vouloir pour leur argent alors que, bien souvent, less is more ! C’est pourquoi, à l’Agence, nous faisons du sur-mesure et que nous ne développons que les choses demandées et nécessaires.

« À l’avenir on ne créera plus de sites inutiles et ceux qui ne captent plus d’audience seront supprimés des serveurs » 

Quand un client demande à ce que son site soit éco-conçu, quelles sont les difficultés que tu peux rencontrer ?

Tout dépend si le site existant est à revoir de fond en comble ou si c’est une création from scratch. Nous pouvons aussi nous heurter aux attentes des clients. Certains peuvent demander un site éco-conçu tout en recherchant l’effet “wow” qui empêche, au final, de réaliser une page qui soit sous la barre du mégaoctet. Cela a été le cas d’un client qui, dans une démarche RSE, voulait un site éco-conçu. Finalement, le résultat n’était pas celui attendu et il a abandonné l’idée d’un site réalisé avec les contraintes de l’éco-conception.

Est-ce que ce n’est pas en partie un problème de manque d’éducation au numérique ?

Certainement oui. C’est pourquoi il faut bien définir en amont des critères objectifs à ne pas dépasser — comme le poids maximal d’une page, le nombre maximum d’éléments dans une liste avant la pagination, etc. — dans le but de pouvoir identifier les contraintes que l’on se fixera par la suite et faire en sorte les respecter.

Tu as un exemple de site éco-conçu qui offre cet effet “wow” ?

Moi je suis surtout sensible à l’effet « wow » technique. Je peux te citer le site Solar.lowtechmagazine, hébergé sur un serveur qui fonctionne à l’énergie solaire. Si l’ensoleillement est insuffisant, il n’est pas accessible. Les images du site sont également extrêmement compressées.

Solar-lowtech-magazine

C’est un modèle difficile à dupliquer et à vendre à des clients…

Disons que c’est un parti pris extrême. Mais il est possible d’utiliser des serveurs qui sont mis sous l’eau pour leur refroidissement et de développer un site peu gourmand grâce à un design allégé. C’est l’interface très épurée de Google versus celle de Yahoo! très chargée.

Tu pourrais nous citer un autre site éco-conçu davantage grand public ?

Bien sûr : le site Kaïros, fondé par Roland Jourdain pour gérer ses projets sportifs de voile, est un site web basse consommation sympa et design !

Dans le « monde d’après », à quoi pourrait ressembler la conception de sites web ?

Sans me projeter dans l’inconnu, des projets de réglementations sont déjà envisagés pour réduire le poids des sites, notamment ceux des administrations publiques. Le scroll infini, très énergivore, pourrait ainsi être interdit.

J’imagine également qu’à l’avenir on ne créera plus de sites inutiles et que ceux qui ne captent plus d’audience seront supprimés des serveurs. L’éco-conception finira peut-être par être imposée même si l’usage actuel du numérique ne me donne pas raison…

Tu penses quand même que les entreprises devront se mettre au développement de sites éco-conçus ?

Ce qui est certain, c’est qu’il y aura de plus en plus de critères à respecter, comme l’imposition d’un poids maximum pour une page web. Pour le reste… La mise en place de la 5G montre bien que les politiques ne sont pas prêts à imposer des limites fortes. La logique est au contraire d’aller vers un numérique toujours plus performant, à rebours de la logique de frugalité de l’éco-conception.

« La démocratisation toujours plus poussée d’Internet n’aura pas un impact très positif sur notre futur » 

Aux entreprises qui seraient intéressées par un site éco-conçu, que leur dirais-tu ?

Déjà que c’est une façon d’anticiper : d’ici quelques années elles n’auront peut-être pas d’autre choix que de lancer un site éco-conçu. Pourquoi perdre de l’argent à le refaire plus tard ? D’un point de vue marketing, il est aussi dans leur intérêt de communiquer sur de telles valeurs.

Les consommateurs n’ont-ils pas aussi un rôle à jouer dans l’émergence de sites éco-conçus ?

Probablement, mais encore faut-il les informer. Combien d’entre-eux savent qu’une requête Google équivaut à allumer une ampoule de 60 watts pendant 17 secondes, qu’une heure de vidéo représente la consommation d’électricité d’un réfrigérateur pendant un an ou que les data center installés en France consomment autant d’électricité qu’une ville de 50 000 habitants ?

Une fois cela dit, changer nos habitudes n’est pas chose facile…

Tu es bien pessimiste…

Nous n’avons jamais autant parlé d’éco-conception qu’en 2020, donc j’ose espérer des changements mais la tendance actuelle est à une démocratisation toujours plus poussée d’Internet, ce qui n’impactera pas notre futur de manière très positive.

 

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Rédigé par

Guirec Gombert
UX Writer (ne travaille plus chez LunaWeb)