SLD #35 · Karine Bardary, experte en accessibilité web et FALC

SLD #35 · Karine Bardary, experte en accessibilité web et FALC

Dans cet épisode de Salut les Designers, Justine et Ynès accueillent Karine Bardary, experte en accessibilité numérique et notamment en Facile à Lire et à Comprendre, aussi appelé FALC.

Publié le 10 novembre 2025

Bonjour à tous et à toutes et bienvenue dans ce nouvel épisode de Salut les Designers !

Le Facile à Lire et à Comprendre ainsi que le langage clair sont des approches de l’écriture de contenus encore peu connues est pourtant d’une grande utilité pour un grand nombre de personnes. Nous pensons notamment aux personnes ayant des difficulté avec la lecture, qui parlent peu le français ou qui ont un handicap mental. Les contenus en FALC ou langages clairs permettent de ne pas exclure toute une partie de la population d’un accès à une information utile et précieuse.

Vous le savez, à l’Agence, nous nous intéressons beaucoup à l’accessibilité numérique. Justine et Ynès ont donc souhaité questionner Karine Bardary, qui travaille sur le sujet au sein de Com’access dont elle est co-gérante, sur les bonnes pratiques et le cadre légal qui encadre ces outils.

Bonne écoute à tous et à toutes !

[EXTRAIT]

Karine Bardary : Pour citer un exemple, on a pas mal de ministères qui font rédiger des documents en Facile À Lire et à Comprendre et qui les mettent sur les sites web, mais simplement, on ne sait même pas qu’ils existent et c’est très difficile d’aller les chercher pour les personnes qui en ont besoin. Il faut être prudent quand on utilise l’écriture inclusive, pour qu’elle reste inclusive et qu’elle ne finisse pas par exclure certains publics. J’ai pu lire des textes produits par l’IA qui ne respectaient pas les règles du FALC correctement.

[Musique]

Justine : Bonjour à toutes et à tous, je suis Justine, UX Researcher et bienvenue dans Salut Les Designers, le podcast de l’Agence LunaWeb. Aujourd’hui, je suis accompagnée par Ynes, notre chargée de communication à l’Agence. Pour cet épisode, nous avons le plaisir de recevoir Karine Bardary, experte en accessibilité numérique et en Facile À Lire et à Comprendre, co-fondatrice de Com’access et gérante d’AccesSite. Bonjour Karine et merci d’avoir accepté notre invitation.

Ynès : On va revenir après sur les termes de “Facile À Lire et à Comprendre” et “langage clair”. Est-ce qu’avant, tu peux nous dire ce qui t’a amenée aux sujets liés à l’accessibilité numérique ?

Karine Bardary : Oui, alors à la base, j’étais pas du tout dans ce domaine-là puisque je suis chimiste. J’ai travaillé longtemps dans l’industrie pharmaceutique et puis je me suis recyclée vers l’informatique en tant que chef de projet informatique toujours dans l’industrie pharmaceutique. Et à un moment donné, j’ai perdu mon emploi et j’ai eu une forte envie de créer mon entreprise, de ne plus dépendre d’un gros groupe ou de qui que ce soit. Et l’idée de de la société en question est venue de mon mari qui est fortement malvoyant et qui bataille régulièrement avec des sites web mal conçus ou pas conçus du tout d’ailleurs. Du coup, c’est lui qui m’a donné cette idée en 2010 de me dire “fais de l’accessibilité numérique, il y a sans doute pas mal de travail”. Et voilà, donc je me suis formée en 2011 auprès de l’association BrailleNet à l’époque qui n’existe plus maintenant et je me suis lancée.

Justine : OK, est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est que le Facile À Lire et à Comprendre, donc le FALC en langage, en acronyme ?

Karine Bardary : Oui, donc le FALC, Facile À Lire et à Comprendre, en effet, c’est une méthode qui permet de simplifier le langage et de le rendre compréhensible par tous. Donc principalement le FALC était créé à la base pour les personnes en situation de handicap mental. C’était une demande de la Convention des Nations Unies et donc c’est huit pays européens qui ont travaillé avec l’association Inclusion Europe pour créer une méthode et un langage qui soit adapté aux personnes en situation de handicap mental. Donc le FALC existe depuis 2009. On a surtout vu le FALC exploser à partir du Covid, au moment du Covid, puisqu’on se souvient tous de l’attestation dérogatoire de déplacement en Facile À Lire et à Comprendre, qui était bien plus simple que celle que les autres personnes devaient remplir. Et donc, on se rend compte, en effet, que le FALC il est utile à plein d’autres personnes, donc aux personnes en situation de handicap mental, mais à plein d’autres personnes : les personnes qui maîtrisent pas bien le français, les personnes âgées, les enfants qui apprennent à lire. Donc ça peut être assez large comme utilisation.

Justine : Et quelle différence on fait alors entre le FALC et le langage clair ?

Karine Bardary : Alors le FALC et le langage clair, ils ont tous les deux le même but, c’est rendre la communication accessible au plus grand nombre. Ce que je disais tout à l’heure, c’est que le FALC, c’est principalement pour les personnes en situation de handicap mental. Le langage clair, il va s’adapter à tout le monde, en fait. Donc le langage clair, il est un peu moins restrictif en termes notamment de présentation, de langage que le Facile À Lire et à Comprendre, qui va avoir une mise en page et et des règles assez cadrées et assez strictes.

Ynès : Et selon toi, à quel moment il faut envisager l’écriture de contenu en FALC quand on fait de la conception, on refond un site web ?

Karine Bardary : Comme pour tout ce qui concerne l’accessibilité, il vaut mieux prendre en compte le Facile À Lire et à Comprendre et l’écriture de contenu en FALC au début d’un projet, évidemment, puisque si on le prend plus tard, ça va obliger à tout réécrire. Donc il vaut mieux dès le départ se dire “bah tiens, ce serait bien que j’écrive soit en langage clair, soit en FALC” et puis partir directement sur cette sur cette optique-là, c’est un gros gain de temps.

Ynès : J’imagine. Est-ce qu’il existe des contraintes et obligations légales autour du FALC notamment ?

Karine Bardary : Il y a pas vraiment de contraintes légales autour du FALC puisque le FALC, il était dans une version du RGAA, le référentiel général d’accessibilité. Il était dans la version 3, il a été supprimé dans la version 4, donc c’est plus une exigence vraiment légale. En revanche, le Référentiel Général de d’Amélioration de l’Accessibilité, il se base sur les Web Content Accessibility Guidelines qui, elles, mentionnent le point du langage clair, enfin du langage facile en tout cas, dans un des critères qui est le critère 3.1.5, qui est le niveau de lecture. Mais donc c’est un critère de niveau triple A, donc c’est pas forcément les critères requis à la base. On peut aussi dire que la Convention des Nations Unies elle précise dans l’article que toutes les personnes handicapées ont droit à la liberté d’expression et d’opinion. Donc ça fait partie aussi des points qui peuvent pencher pour faire du Facile À Lire et à Comprendre.

Et on peut aussi noter que depuis 2021, les professions de foi des candidats aux élections doivent être rédigées en Facile À Lire et à Comprendre.

Donc ça c’est une exigence qui n’est pas toujours respectée encore, mais qui commence à se démocratiser et à se voir.

[Musique]

Justine : Et est-ce que tu pourrais nous donner des astuces, des outils ou, au moins, les étapes concrètes pour rédiger en FALC ?

Karine Bardary : Oui, alors avant tout, il va falloir un minimum analyser son texte en se posant un certain nombre de questions. “À qui je m’adresse ?” Parce que on va pas s’adresser tout à fait pareil, tout à fait de la même façon si on s’adresse à des enfants en situation de handicap mental ou si on s’adresse à des adultes. Donc il faut déjà savoir quelle est notre cible. Il va falloir savoir également quelle information on veut transmettre. Qu’est-ce qu’on veut dire ? Qu’est-ce qu’on veut que la personne fasse avec notre information ? De là va dépendre la façon dont on va organiser son texte, les informations qu’on va conserver. Parce que certaines fois dans des textes qu’on adapte en FALC, on va supprimer des informations qui ne sont pas nécessaires et qui sont plutôt perturbantes qu’autre chose. Donc on va les enlever, on va les exprimer différemment. Voilà, donc une fois qu’on a analysé ce texte et qu’on a toutes nos grandes étapes, et ben on va utiliser les règles du FALC : il y en a plus d’une cinquantaine. Donc ça va être des règles de lexique, ça va être des règles de syntaxe, ça va être des règles de structure et de présentation et des règles de sémantique, donc par exemple, quels exemples on va donner pour faire comprendre mieux le texte, quel pictogramme on va utiliser, toutes ces choses-là. Et le dernier point, qui est le plus important évidemment, ça va être la validation par des personnes en situation de handicap mental. Donc on vérifie auprès d’un groupe de personnes ou au moins une personne en tout cas, mais c’est mieux si c’est un groupe de personnes, si le texte est compris par ces personnes et si elles ont des problèmes vis-à-vis de ce texte. Et c’est la condition sine qua non pour pouvoir mettre le petit pictogramme FALC que vous connaissez sans doute, le petit bonhomme bleu et blanc sur votre document et dire que c’est du Facile À Lire et à Comprendre.

Justine : Et justement, pour que ce soit un petit peu plus concret pour nous, est-ce que tu pourrais nous faire une démonstration d’un texte complexe transformé en FALC ?

Karine Bardary : Un texte qu’on aime bien et qui est assez amusant, c’est un texte de l’administration française dans toute sa splendeur. “Le versement de l’administration est subordonné à la subrogation de l’État dans les droits du demandeur à l’encontre du locataire. Cela signifie que le paiement avec subrogation éteint la dette du locataire défaillant à l’égard de la société bailleresse, mais la laisse subsister à l’égard de l’État.” Donc une fois qu’on a lu cette règle, on est assez content. Maintenant, je vais vous la lire en Facile À Lire et à Comprendre. “Quelle est la règle ? L’État paye le loyer au propriétaire à la place du locataire. Le locataire ne doit plus payer le loyer au propriétaire, mais le locataire doit rembourser directement l’État.” Et pour que ce soit encore plus clair, on peut même ajouter à la fin pour bien montrer à l’utilisateur ce qu’il doit faire : “vous devez rembourser l’État avant le mardi 15 février 2026”, par exemple.

Justine : Et par rapport à ça justement, quelles sont les erreurs les plus fréquentes ou les idées reçues qu’il y a sur l’accessibilité numérique ou que tu as pu entendre dans le cadre de ton métier ?

Karine Bardary : En ce qui concerne le FALC ou le langage clair, il y a encore beaucoup de freins, notamment des remarques qui nous sont faites en disant que ça appauvrit le langage, c’est très enfantin, “franchement, on va pas on va pas faire un texte en Facile À Lire et à Comprendre, on a l’impression de d’infantiliser tout le monde”. Mais dans les faits, on se rend compte que c’est pas du tout ça en fait. Que le FALC il est vraiment utile et que les gens sont vraiment contents de pouvoir avoir des informations compréhensibles, pour eux du moins. On peut avoir des situations qui sont un petit peu spéciales, par exemple, je vais visiter un musée en famille. Je peux être contente de voir un livret de visite en Facile À Lire et à Comprendre, plutôt que d’avoir un livret de visite qui va être compliqué, qui va lasser tout le monde au bout de peu de temps. Là au moins, on va à l’essentiel rapidement grâce au Facile À Lire et à Comprendre. Donc ça peut être utile à tout le monde d’avoir un livret de visite en Facile À Lire et à Comprendre.

[Musique]

Ynès : Jusqu’ici, on a beaucoup parlé des sites internet, est-ce que tu vois cette approche de la rédaction se développer aussi sur d’autres supports ? Je pense notamment aux supports print.

Karine Bardary : Ouais, on voit de plus en plus de collectivités locales territoriales qui commencent à adapter leur communication en Facile À Lire et à Comprendre. Alors ça peut être certaines parties des journaux municipaux par exemple, certains articles. Alors c’est pas la totalité des journaux évidemment, mais c’est quelques petits articles ou bien des programmes d’exposition, des programmes de spectacle. Voilà, donc ça on commence à les voir apparaître de plus en plus. Bon, il y a encore beaucoup de travail mais ça commence à avancer sur ce sujet-là.

Ynès : On questionne beaucoup l’écriture inclusive depuis quelque temps. Son importance n’est plus à prouver, mais les formes qu’elle peut prendre prêtent beaucoup à débat, il y a zéro consensus sur le sujet. Est-ce que toi tu aurais un positionnement sur la question ?

Karine Bardary : Oui, en effet,

en l’absence de consensus, il faut être prudent quand on utilise l’écriture inclusive pour qu’elle reste inclusive et qu’elle ne finisse pas par exclure certains publics.

Par exemple, on conseille d’utiliser des formules épicènes ou des formules englobantes. Au lieu de “les Français et les Françaises”, on va dire “la population française”. On conseille également d’éviter des mots nouveaux qui ne sont pas compris par les personnes qui ont du mal à lire ou par les personnes également qui utilisent des synthèses vocales. Donc ça par exemple, ça va être des mots avec des points médians qui sont pas toujours très clairs pour les gens. Donc les “Français·es” avec le point médian ou des pronoms qui sont pas encore vraiment passés dans le langage commun, le “iel” par exemple, qui peut poser problème à la lecture pour des gens qui à la base ont des problèmes de lecture, forcément.

Justine : C’est un sujet qui ne fait pas le consensus comme disait Ynès et justement un autre sujet qui prend un petit peu de place en ce moment, c’est l’IA. Toi, qu’est-ce que tu penses de l’IA en ce qui concerne l’accessibilité ?

Karine Bardary : Alors en ce qui me concerne, je n’utilise pas l’IA pour un certain nombre de raisons. Bon, c’est pas le sujet du podcast, donc je m’étendrai pas là-dessus, mais mes associées l’utilisent parfois. Donc c’est clair que l’IA peut peut-être faire gagner du temps en terme d’adaptation de Facile À Lire et à Comprendre. Je pense qu’il faut vraiment être très vigilant sur la qualité des textes produits, notamment sur les l’utilisation des règles. Bon, j’ai pu lire des textes produits par l’IA qui ne respectaient pas les règles du FALC correctement. Donc pour le moment, à mon sens, l’IA ne remplace pas l’expertise humaine et peut-être ne la remplacera jamais. On verra, l’avenir nous le dira.

Justine : C’est en effet une question qu’on se pose beaucoup à l’Agence. Merci beaucoup Karine d’avoir partagé ce moment avec nous aujourd’hui. Avant de te quitter, on voulait te poser une dernière question, notre traditionnelle question. Dans le monde qui t’entoure, personnellement ou professionnellement, qu’est-ce qui t’a bluffée ou marquée dernièrement ?

Karine Bardary : Alors d’abord merci de m’avoir reçue. Et pour répondre à ta question, en fait, j’interviens en mécénat de compétences pour une association qui s’occupe de l’insertion professionnelle des migrants. Alors cette association, je vais faire un petit peu de pub, c’est l’association Kodiko qui a une antenne sur Rennes. Et donc chaque bénévole est en binôme avec une personne migrante et essaie de l’aider à trouver un emploi ou à trouver une formation. Et ces migrants ont des niveaux de français très disparates. Certains sont francophones et d’autres non. Et bah la première réunion que j’ai faite avec l’association, j’ai été assez marquée par un questionnaire que nous devions remplir, donc nous bénévoles et puis la personne migrante qu’on accompagnait, qui était difficile à comprendre. Alors même si les salariés de l’association font leur possible pour être clairs et pour avoir des informations faciles à comprendre, le questionnaire, il était très long, très difficile à comprendre. Et le réfugié dont je m’occupe qui a un niveau de français assez faible, ne comprenait strictement rien. Donc ça a été un calvaire de remplir ce document. Et là, je me suis dit “mais il faut vraiment faire quelque chose”. Donc j’ai contacté, enfin, j’ai discuté avec les salariés de l’association et la bonne nouvelle, c’est que on va faire des sensibilisations au Facile À Lire et à Comprendre pour les salariés de l’association et puis peut-être après pour les bénévoles et bon voilà. Donc c’est un beau projet de mécénat de compétences qui sort du domaine du handicap et qui montre que le FALC peut être utile à plein d’autres gens.

Justine : Effectivement.

Ynès : Merci beaucoup Karine d’avoir partagé ce moment avec nous. On est ravies d’avoir pu en apprendre plus sur le FALC, le langage clair et l’accessibilité des contenus de manière plus globale.

[Musique]

Justine : Et bien, il ne nous reste plus qu’à vous remercier d’avoir suivi ce nouveau podcast. On espère que cet épisode vous a plu. En attendant le prochain, n’hésitez pas à écouter ou réécouter les épisodes précédents et à vous abonner à la newsletter du podcast pour retrouver l’ensemble des ressources de nos épisodes et les conseils de nos invités. Vous pourrez retrouver tout ça sur le site salutlesdesigners.lunaweb.fr.

[Musique]